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Öland est une île située au large de la côte suédoise. Protégée par l’UNESCO, elle est habitée depuis près de 5 000 ans et abrite des sites archéologiques datant de la préhistoire. Conformément à la coutume des insulaires, le paysage agricole et les traditions qui remontent à l’âge du Fer ont été préservés. L’île est donc devenue une destination touristique prisée, offrant à ses visiteurs de nombreuses activités : balades à cheval, découverte de vieux moulins en bois et, bien sûr, baignade le long des plages.
Toutefois, cette dernière activité est de plus en plus compromise : les eaux côtières idylliques d’Öland sont régulièrement envahies par “une vase toxique aux allures de rhubarbe”, plus communément et formellement appelée “prolifération d’algues”. Un phénomène qui, en plus d’être inesthétique et malodorant, coupe toute envie de se baigner ou même de rester sur la plage. Mais ce n’est pas tout : d’après les biologistes marins, ces algues peuvent contenir un micro organisme appelé cyanobactérie et s’avérer toxiques, en particulier pour les enfants et les chiens.
Ces proliférations d’algues peuvent donc avoir des conséquences désastreuses sur le tourisme et l’économie locale, et leur impact ne se limite pas à Öland. Des études menées en Suède ont montré que les entreprises locales enregistraient une baisse des réservations en raison de la prolifération d’algues autour de l’île de Gotland. En 2005, sur l’île d’Öland, la prolifération d’algues avait entraîné des pertes d’environ onze millions d’euros pour les secteurs du tourisme et de la pêche.
Des opérations de nettoyage sont parfois organisées par les municipalités locales, mais elles peuvent s’avérer très coûteuses : la municipalité de Strömstad (qui borde le passage maritime de Skagerrak, entre le Danemark, la Norvège et la Suède) estime leur coût annuel à 70 000 euros. Pour ce qui est de l’île d’Öland, située dans la mer Baltique, des chercheurs de l’Institut de recherche marine de Lituanie soulignent que si aucune mesure n’est prise, les eaux côtières deviendront bientôt impropres à la baignade.
Mais prendre des mesures contre quoi exactement, et comment ? Plusieurs facteurs provoquent la prolifération d’algues malodorantes et gluantes dans une zone spécifique. Dans la mer Baltique, il s’agit surtout d’un processus appelé eutrophisation, dont le nom est probablement dérivé du mot grec eutrophos, qui signifie bien nourri. Malgré une étymologie aux consonances positives, le processus d’eutrophisation n’a rien de réjouissant : il désigne de vastes zones marines privées d’oxygène, également appelées “zones mortes”.
Ces zones mortes se forment lorsque des excès de nutriments, tels que les nitrates ou le phosphore – largement utilisés dans l’agriculture intensive – s’écoulent dans la mer par le biais des eaux souterraines, de l’atmosphère et surtout des rivières. Ces excès de nutriments servent d’alimentation à certaines algues et bactéries, qui finissent par former une couche superficielle qui empêche les rayons du soleil d’atteindre les eaux plus profondes et ainsi de nourrir les bactéries consommatrices d’oxygène. Ces phénomènes créent des zones où l’oxygène se fait de plus en plus rare, ce qui complique la survie de toutes les formes de vie qui en dépendent.
Il n’est donc pas surprenant que le Baltic Sea Centre (BSC) de l’Université de Stockholm considère l’eutrophisation comme le problème environnemental le plus grave auquel la mer est confrontée aujourd’hui. Les conséquences d’un tel phénomène ne se limitent pas aux dommages causés aux sites touristiques côtiers : les humains, mais aussi les animaux marins, sont touchés. Le long de la côte finlandaise, par exemple, l’appauvrissement en oxygène et la perte de clarté de l’eau causés par l’eutrophisation sont liés à la majorité des cas de perte de biodiversité, ce qui contribue à la réduction drastique, voire à la disparition, de certaines espèces de poissons, notamment les sandres, les flets, les poissons à chair blanche et de nombreux types de plantes marines. Une catastrophe causée par l’homme : d’après les estimations des scientifiques, les niveaux d’oxygène dans la mer Baltique n’ont jamais été aussi bas depuis 1 500 ans, probablement en raison de l’écoulement des nutriments dans la mer.
Ce problème est pourtant mis sur la table depuis près de 50 ans. L’impact négatif considérable de l’eutrophisation, ainsi que le rôle de l’activité humaine dans ce processus, ont en effet été reconnus pour la première fois au début des années 1980. D’après la Commission pour la protection de l’environnement marin en mer Baltique (HELCOM), une organisation intergouvernementale et une plateforme clé pour l’élaboration de politiques environnementales visant à protéger l’environnement marin de la mer Baltique, l’apport d’azote et de phosphore dans la mer Baltique a augmenté entre les années 1950 et la fin des années 1980. Depuis lors, des mesures ont été prises et les écoulements de nutriments ont été réduits.
Si ces apports nutritifs ont diminué, l’appauvrissement en oxygène, lui, est relativement stable. Cela s’explique en partie par les spécificités géographiques de la mer Baltique, notamment le renouvellement très lent de l’eau de mer en raison de son accès restreint à l’océan. La lenteur du renouvellement signifie qu’à l’heure actuelle, des nutriments d’il y a 30 ans sont encore présents dans l’eau. Contrairement aux pressions frénétiques et instantanées des marchés mondialisés et de la surconsommation, notamment de produits agricoles, le rythme de la mer est lent. La situation ne s’est, tout au plus, pas aggravée.
Une agriculture au service de la mer
Mélancolie, frustration, espoir : tel était le mélange improbable, quoique peu surprenant, de sentiments qui régnait lors du séminaire de l’HELCOM “Sustainable agriculture for a healthy Baltic Sea” (“Une agriculture durable pour une mer Baltique en bonne santé”), organisé à Helsinki à l’automne 2024. Les participants ont évoqué l’état environnemental critique de la mer, la lenteur (voire l’absence) des progrès en matière de protection, le manque de volonté politique et d’engagement concernant la mise en œuvre des réglementations environnementales existantes visant à protéger la mer, ainsi que le fait que les délais fixés pour atteindre les indicateurs environnementaux souhaités ne seront pas respectés.
Ce n’est pas un hasard si le séminaire était axé sur l’agriculture durable. Si les explications au phénomène d’eutrophisation qui touche de plein fouet la mer Baltique sont nombreuses, la principale cause de l’apport excessif en nutriments et des dommages qui en résultent est claire : les responsables sont à chercher du côté de l’activité agricole et, plus précisément, de l’utilisation intensive d’engrais, qui sont en grande partie déversés dans la mer. C’est pourquoi, dans le dernier plan d’action pour la mer Baltique (le programme stratégique de mesures de l’HELCOM visant à assurer un bon état écologique de la mer), la majorité des 36 mesures destinées à lutter contre l’eutrophisation étaient liées à l’agriculture.
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La protection de la mer Baltique et des eaux qui s’y déversent est inscrite dans de nombreuses directives et réglementations européennes. De la directive-cadre sur l’eau à la directive “Nitrates”, en passant par la directive-cadre “Stratégie pour le milieu marin”, toutes visent à protéger la qualité des eaux souterraines et de surface, à assurer le bon état écologique des eaux européennes en général, et en particulier des mers et des océans, ainsi qu’à limiter la présence d'azote due aux pratiques agricoles.
Toutefois, ces directives ne constituent pas les seules initiatives politiques qui influencent la recherche de solutions complexes permettant d’atteindre un objectif simple, la réduction des rejets d’azote et de phosphore dans la mer. Cet enjeu est inévitablement lié à la manière dont l’UE réglemente la production agricole. Les pratiques européennes en matière d’agriculture sont elles-mêmes considérablement influencée par la politique agricole commune de l’UE, également appelée PAC. La PAC est un monstre financier, absorbant près d’un tiers du budget commun de l’UE (par exemple, le budget 2021-2027 est de 1 210 milliards d’euros, et 386,6 milliards d’euros sont alloués à la PAC).
Il s’agit également de l’une des plus anciennes politiques européennes encore en vigueur, élaborée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de pénurie et d’insécurité. À l’époque, la PAC visait à augmenter la productivité agricole, à assurer la sécurité et l’accessibilité des denrées alimentaires et à offrir aux agriculteurs un mode de vie décent. Dans ce but, la PAC s’est engagée dès le début à protéger les agriculteurs contre l’instabilité provoquée par les mauvaises récoltes ou l’ouverture des marchés.
Les politiques de la PAC, notamment ses régimes de subventions agricoles, ont souvent suscité la controverse, notamment car les écologistes y voyaient une incitation à la formation de grandes exploitations et à l’utilisation de techniques agricoles intensives, axées sur la quantité plutôt que sur la qualité des denrées alimentaires. D’après les détracteurs de la PAC, l’un des principaux problèmes réside dans la manière dont les subventions sont allouées : elles sont basées sur le nombre d’hectares que possède un agriculteur, plutôt que sur le respect d’objectifs environnementaux ou climatiques.
La répartition des aides de la PAC est également largement inégale. L’Agence européenne pour l’environnement a estimé que pour la période 2014-2020, 20 % des bénéficiaires avaient reçu 80 % des paiements directs de la PAC. Ce déséquilibre crée un écart de revenus croissant entre les grandes (et riches) exploitations et les petites exploitations, les agriculteurs n’ayant d’autre choix que de se développer ou abandonner.
Si les grandes exploitations ne sont pas, par définition, synonymes d’agriculture intensive ou non durable, et s’il existe des aides financières pour les mesures respectueuses de l’environnement, celles-ci semblent largement inefficaces. En ce qui concerne l’agriculture biologique, par exemple, le dernier audit de la Cour des comptes européenne (CCE) fait état d’une situation plutôt délicate : les Etats membres ont utilisé les fonds de l’UE de manière incohérente, et les subventions ont continué à être versées, sans que personne ne vérifie si les agriculteurs respectaient les principes de base de l’agriculture biologique, tels que la rotation des cultures ou les normes en matière de bien-être animal.

D’après le rapport de la CCE, près de douze milliards d’euros de fonds européens destinés à soutenir l’agriculture biologique ces dix dernières années n’ont pas permis d’augmenter la production de denrées alimentaires biologiques. L’objectif de 25 % de terres agricoles cultivées de manière biologique d’ici à 2030 risque fortement d’être compromis. Pour l’instant, l’Autriche est le seul pays européen à être en mesure d’atteindre cet objectif.
La stratégie alimentaire durable de l’UE tuée dans l’œuf
En 2020, l’UE a créé de grands espoirs en lançant une initiative ambitieuse, le Pacte vert pour l’Europe, visant à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. La stratégie “De la ferme à la table” (“From farm to fork”), conçue pour “réduire la dépendance aux pesticides et aux antimicrobiens, réduire l’utilisation abusive d’engrais, développer l’agriculture biologique, améliorer le bien-être animal et inverser la tendance à la perte de biodiversité”, constituait un élément central du Pacte vert. Quatre ans après, ces ambitions semblent s’être perdues en chemin. Pourquoi ?
Une partie de la réponse semble résider dans les bonnes relations entre les grands syndicats agricoles et certains décideurs européens. Il n’est pas anodin que l’un des plus grands syndicats agricoles européens, le Copa-Cogeca, se soit opposé dès le début aux réformes proposées par la stratégie “De la ferme à la table”. Le Copa-Cogeca, créé à peu près en même temps que la PAC, affirme représenter l’ensemble des 22 millions d’Européens qui travaillent dans l’agriculture, ce qui lui confère un poids politique certain.
Toutefois, de nombreux petits agriculteurs ne sont pas d’accord. Ils estiment que le syndicat représente les intérêts de l’agriculture industrielle à grande échelle et non ceux des petites exploitations ou des fermes biologiques. Certains d’entre eux, comme Jean Mathieu Thevenot, jeune agriculteur et membre du syndicat agricole français Confédération Paysanne, pensent que la sécurité alimentaire à long terme ne peut être atteinte qu’en tournant le dos à une agriculture intensive, tributaire des engrais et des pesticides. Lors d’un entretien avec Lighthouse Reports, Jean Mathieu Thevenot a déclaré que son cercle d’agriculteurs n’était pas du tout aligné avec la vision du Copa-Cogeca et considérait les pratiques agricoles défendues par ce dernier comme non seulement dangereuses pour la souveraineté alimentaire, mais également comme un obstacle à l’arrivée des jeunes agriculteurs dans le secteur.
Toutefois, ces points de vue restent marginalisés, semble-t-il grâce à d’importants efforts de lobbying : une éclairante enquête menée par DeSmog a permis de documenter un calendrier intensif de réunions organisées entre plusieurs parties prenantes concernées par les politiques du Pacte vert, notamment les producteurs de pesticides et d’engrais, les syndicats agricoles (principalement le Copa-Cogeca) et un certain nombre d’hommes politiques conservateurs influents, tous membres du Parti populaire européen (PPE, droite).
Et tout cela avant que les spectaculaires manifestations menées par les agriculteurs en 2024 ne secouent l’actualité : déversements de fumier dans les rues de Prague, blocages à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine et incendies de déchets le long des routes néerlandaises. Si les manifestations ont ravagé les rues et amusé les habitants des grandes capitales européennes, 15 des 31 actions proposées dans le cadre de la stratégie “De la ferme à la table” n’ont pas vu le jour. Au contraire, la proposition de la Commission européenne visant à réduire de 50 % l’utilisation des pesticides d’ici à 2050 a été mise de côté. Illustrant ce rapide recul politique, la nouvelle vision de l’UE pour l’agriculture et l’alimentation, annoncée par la Commission européenne début 2025, ne fait plus de la protection de l’environnement une priorité.
Les efforts de lobbying ne suffisent pas à expliquer l’édulcoration des initiatives “De la ferme à la table”. En effet, le Pacte vert pour l’Europe et son pilier, la stratégie “De la ferme à la table”, ont été introduits dans un contexte politique marqué par de multiples chocs sans précédent, ce qui n’a pas aidé. La pandémie mondiale de Covid-19 en 2020 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard ont toutes deux suscité des inquiétudes en matière d’accessibilité et de sécurité des denrées alimentaires, qui ne sont pas sans rappeler celles qui ont façonné la PAC lors de sa création. Historiquement, la montée (presque) sans précédent de l’extrême droite en Europe n’a fait que rajouter de l’huile sur le feu : les partis n’ont pas hésité à instrumentaliser le mécontentement des agriculteurs à des fins politiques en vue des élections de 2024.
Lorsqu’on leur demande les points à cibler pour enrayer et inverser la tendance à l’eutrophisation massive de la mer Baltique, les chercheurs marins, les décideurs politiques et les militants évoquent généralement notre alimentation et ses modes de production, la réduction de l’utilisation d’engrais et de l’écoulement des nutriments dans les eaux souterraines, la nécessité de réduire la dépendance aux engrais en diminuant le gaspillage alimentaire, le développement de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et biologiques, ainsi que l’importance de réduire notre consommation de viande (l’élevage représente 40 % de l’ensemble de l’activité agricole de l’UE). Toutefois, ces politiques, même si elles sont mises en œuvre, risquent de se heurter aux intérêts de l’agriculture industrielle, ainsi qu’aux pressions géopolitiques et à celles exercées par le marché mondialisé.
Trouver un équilibre entre la sécurité alimentaire, les chaînes d’approvisionnement mondiales, la concurrence internationale, une rémunération équitable pour les agriculteurs européens et la protection de l’environnement est loin d’être un jeu d’enfant. De plus, le retour aux anciennes pratiques agricoles de l’île d’Öland, dans la mer Baltique, ne garantit pas une solution viable. Il est pourtant nécessaire que les politiques agricoles et environnementales représentent davantage les différents types d’expertises. Les intérêts des chercheurs et des agriculteurs qui s’engagent en faveur de pratiques agricoles plus durables doivent également être pris en compte, tout comme ceux des communautés humaines et de la faune côtière et locale qui subissent de plein fouet les conséquences environnementales et économiques des pratiques agricoles industrielles à grande échelle.
Dernier point, et non des moindres : ces politiques doivent refléter le point de vue des citoyens européens, qui sont pour la plupart disposés à soutenir des politiques plus écologiques.
🤝 Cet article a été produit dans le cadre du projet Come Together. Il a été publié à l'origine par Kurziv et Eurozine
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