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La “crise de la masculinité”, un mythe tenace. Entretien avec Francis Dupuis-Déri

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Francis Dupuis-Déri

Francis Dupuis-Déri est un chercheur franco-canadien, professeur à l’université du Québec, à Montréal (UQAM). Il s'intéresse aux mouvements sociaux et, notamment, à l'antiféminisme et au masculinisme. 

Dupuis-Déri est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment La crise de la masculinité ; autopsie d'un mythe tenace (Editions du remue-ménage & Points, 2018) et Althusser assassin, la banalité du mâle (Editions du remue-ménage, 2023), et a codirigé Antiféminismes et masculinismes d'hier à aujourd'hui (PUF, 2019). 


Voxeurop : Qu’est ce que la masculinité ? 

Francis Dupuis-Déri : La “masculinité” est une représentation, un modèle, et je dirais même une référence idéologique, toujours pensée consciemment ou inconsciemment dans un rapport hiérarchique inégalitaire avec la féminité. 

Il n’y a pas de pensée de la masculinité sans pensée de la féminité, il n’y a pas de masculin sans féminin. Pourtant, depuis quelques années, on se questionne beaucoup sur la masculinité, mais le plus souvent de manière déconnectée de la féminité. Or, que ce soit implicitement ou explicitement, la masculinité est présentée et perçue comme supérieure à la féminité, en termes de rationalité (les hommes seraient plus rationnels que les femmes, jugées trop émotives), de capacité d’action et de création (les femmes sont plus passives, dit-on), d’autonomie (les femmes seraient plus dépendantes), de force, d’agressivité et de violence (les femmes seraient plus douces, pacifiques, bienveillantes). 

Tout cela est une construction idéologique, fondée sur des stéréotypes puisés dans des textes religieux ou de la vulgarisation scientifique, simpliste et souvent fallacieuse, au sujet d’une préhistoire fantasmée, d’un déterminisme supposé des gènes ou des hormones, mais cela a néanmoins un impact sur le réel, sur la socialisation, sur les attentes qu’on se fait des gens, de nous-mêmes, etc. 

Comment définir cette soi-disant “crise de la masculinité” ?  

Comme je l’explique dans La crise de la masculinité, c’est un discours qu’on entend depuis au moins l’Antiquité romaine en Europe, et aujourd’hui partout sur la planète, et qui laisse entendre que les hommes vont très mal à cause des femmes qui prendraient trop de place, qui prendraient “notre” place d’homme, et à cause des féministes qui nous critiqueraient méchamment … L’homme serait une victime des femmes, et la solution serait de revaloriser une masculinité conventionnelle, qui aurait été malmenée par la féminisation de la société. 

Le discours de la crise de la masculinité a toujours pour effet de justifier une distinction forte entre le masculin et le féminin, et de valoriser le masculin conventionnel tout en discréditant le désir ou la volonté des femmes d’être libres et égales aux hommes. Il est bien important de noter que ce discours victimaire des hommes peut s’exprimer quel que soit le régime politique, juridique (y compris le droit de la famille et du travail), économique et quel que soit la culture et la religion dominante. Ce discours peut aussi s’exprimer dans les pays les plus pauvres ou les plus riches. Aujourd’hui, les hommes les plus riches et les plus puissants du monde, comme Elon Musk, Mark Zuckerberg et Donald Trump, prétendent qu’il y a une crise de la masculinité.

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est l'antiféminisme, et en particulier le masculinisme ? 

Dit simplement, l’antiféminisme est une force qui s’oppose au désir ou à la volonté des femmes d’être libres et égales aux hommes. La sociologue Mélissa Blais explique bien que comme toute force politique ou tout mouvement social, l’antiféminisme connaît plusieurs courants et se mobilise sur plusieurs fronts de lutte. Par exemple, l’antiféminisme catholique est très mobilisé contre le droit à l’avortement, au nom de Dieu. 


“Le féminisme est un des mouvements sociaux les plus pacifiques, même très modéré, considérant les injustices et les violences historiques et actuelles auxquelles les femmes font face”


L’antiféminisme “masculiniste” se fonde sur l’idée d’une crise de la masculinité pour justifier le respect de rôles genrés et d’une division sexuelle du travail. L’antiféminisme d’extrême droite croise le masculinisme, le suprémacisme blanc et la xénophobie, au nom de la défense de la famille, pilier de la nation. 

L’antiféminisme de gauche, ou anticapitaliste, répète depuis des générations que les enjeux des femmes sont secondaires, et que les féministes devraient se fondre dans un mouvement de masse ou un parti unifié pour combattre le patronat et le capitalisme, et qu’elles ne doivent surtout pas critiquer le sexisme et les violences sexuelles dans les organisations progressistes, puisque ça divise les forces …

J’ai l’impression que les discours masculinistes qu’on entend aujourd’hui sont similaires à ceux entendus par le passé : avant le mouvement #Metoo, avant que les mouvements féministes gagnent en importance … Y a-t-il une différence ? 

Le masculinisme reprend souvent le même argumentaire général, à savoir que les hommes vont mal à cause des femmes qui prennent trop de place, qui ne restent pas à la place qu’on veut leur assigner : objet sexuel, conjointe docile, mère au foyer. Mais selon les contextes, les symptômes de la crise peuvent être différents. 

L’historienne Eve-Marie Lampron a bien montré (dans son chapitre du livre Le mouvement masculiniste au Québec : L’antiféminisme démasqué, 2015) que des discours masculinistes s’exprimaient dans tous les camps politiques pendant la Révolution française, les Républicains accusant le roi Louis XVI d’être efféminé et sous la domination de la reine Marie-Antoinette, les Monarchistes accusant les Républicains de permettre à “leurs” femmes de défiler dans les rues en pantalons et avec des têtes plantées au bout de piques. On sait aussi qu’avant que le divorce ne se libéralise, on disait que les hommes étaient dominés par leur épouse dans le mariage, véritable prison pour les maris. Depuis que le divorce s’est libéralisé, on dit que ce sont les ex-conjointes qui après la séparation continuent de dominer les hommes, en leur extorquant une pension alimentaire. 

Mariés ou divorcés, les hommes peuvent donc se prétendre dominés par les femmes. Le discours de la crise de la masculinité s’est aussi exprimé dans le mouvement du Black Power dans les années 1960-70, pour critiquer les afro-féministes qui domineraient la communauté, comme l’ont bien analysé Angela Davis, Patricia Hill Collins, ou bell hooks. 

Des thèmes sont constants depuis au moins 20 ou 30 ans, comme la thèse selon laquelle les hommes ne peuvent plus draguer et que les femmes contrôleraient les relations sexuelles, ou encore celle voulant que les problèmes scolaires des garçons soient la preuve d’une crise de la masculinité, même si les hommes réussissent mieux que les femmes sur le marché de l’emploi, après l’école. 

Aux Etats-Unis, on répète depuis les années 1990 que les “angry white men” (“hommes blancs en colère”) seraient victimes d’une terrible injustice économique en faveur des femmes et des minorités afro-américaines et migrantes, qui leur voleraient leur emploi ... On a aussi expliqué la victoire électorale de Donald Trump en disant que ces hommes “ordinaires” étaient les grands perdants de la désindustrialisation. 

Pourtant, quand on regarde calmement les données, les Etats qui ont le plus fortement appuyé Trump, comme le Nebraska (78 %) et le Wyoming (74 %) sont marqués par un écart de salaire à temps plein annuel, entre les hommes et les femmes, d’environ 20 000 dollars, en faveur… des hommes ! Et pourquoi ? Précisément parce que les emplois fortement masculins, comme en usine, dans les mines, en foresterie ou le camionnage, offrent de bien meilleurs salaires que les emplois considérés comme féminins. 

On le voit, le discours de la crise de la masculinité est ancien et il véhicule souvent les mêmes faussetés de génération en génération. Des recherches menées en parallèle sur différents pays ont aussi montré que le masculinisme est fortement mobilisé depuis longtemps pour décrédibiliser les analyses et les mobilisations féministes contre les violences masculines, que ce soit au Québec, en Espagne ou en France (voir L’antiféminisme et le masculinisme d’hier à aujourd’hui, 2018).

Le masculinisme, ou discours de la crise de la masculinité, a été dès le début un des piliers de la propagande du fascisme italien puis du nazisme, selon la thèse que l’homme italien ou aryen avait été trahi pendant la Première Guerre mondiale par l’élite libérale décadente et féminisée, et que le fascisme allait revaloriser la masculinité virile et la famille patriarcale. Les discours fascistes ailleurs, y compris en Espagne, reprenaient cette thèse de l'efféminisation des hommes et de la nation, et proposaient la même solution : une virilité guerrière et conquérante, par exemple par la colonisation (voir au sujet de l’Espagne les travaux de Marie Walin). 

 La crise de la masculinité ; autopsie d’un mythe tenace

Aujourd’hui encore, l’extrême droite participe au masculinisme, y compris sur le web, comme le révèlent bien des études

Des polémistes d’extrême droite en France comme Alain Soral et Eric Zemmour ont chacun signé des livres masculinistes, il y a bien longtemps, soit Vers la féminisation : démontage d’un complot antidémocratique en 1999 pour le premier, et Le premier sexe en 2006 pour le second, qui croisait des thèses masculinistes, homophobes et xénophobes. Ces deux idéologues associent aussi, chacun à leur manière, l’hétérosexualité et la violence, qui serait légitime, car naturelle, avec des références caricaturales et pathétiques à l’homme naturellement chasseur, conquérant, dominateur, ce qui s’inscrit dans la culture du viol.

Pouvez-vous nous aider à décortiquer des expressions qu’on entend souvent aujourd’hui telles que “féminisme radical” “féminisme totalitaire” ou même “féminazi” ?

Les anti-féministes avancent souvent masqués, c’est-à-dire en niant être antiféministes, préférant jouer le jeu de la division entre bonnes et mauvaises féministes. On dira donc que le féminisme est “allé trop loin”, qu’on en veut surtout aux “néoféministes” radicales ou extrémistes. 

Mais quand on essaie de comprendre à qui on fait référence, on réalise que c’est finalement à peu près toutes les féministes d’aujourd’hui qui sont dénigrées … 

Le discours victimaire des masculinistes laisse entendre que le féminisme d’aujourd’hui impose à la société un véritable “totalitarisme”, et que les hommes ne peuvent plus rien dire, qu’ils sont victimes d’un sexisme anti-hommes. Certains polémistes comme Mathieu Bock-Côté, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner répètent d’ailleurs depuis des années ces faussetés sur bien des tribunes, en essayant de se draper dans la posture du courageux dissident qui oserait dire la vérité, ce qui est pour le moins paradoxal, voire comique, sinon pathétique … 

Quant au terme “féminazi”, la paternité en est attribuée à Rush Limbaugh, un influenceur radiophonique réactionnaire actif aux Etats-Unis dans les années 1990. 

Quand on connaît l’Histoire et qu’on y pense sérieusement, l’expression “féminazi” est triplement scandaleuse, ou ridicule. Évidemment, c’est une insulte à la mémoire des millions de victimes des vrais nazis. Deuxièmement, l’expression est une insulte au féminisme, un des mouvements sociaux les plus pacifiques, et qui est même très modéré, considérant les injustices et les violences historiques et actuelles auxquelles les femmes font face. Par exemple, on déplore régulièrement des meurtres de femmes – des féminicides – tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint, et que font les féministes ? Rien de très radical, quand on y pense : pas d’émeutes contre les hommes, pas d’opération de vengeance (pendaisons, fusillades, villages détruits, comme l’ont fait les nazis à répétition), pas de formation de milices armées ou d’attentats meurtriers, comme le font les néo-nazis. 

On prétend toujours que les féministes “castrent” les hommes, mais en réalité elles n’en font rien, contrairement aux vrais nazis qui torturaient – et même castraient – réellement leurs victimes … Ce qu’il faut retenir, finalement, c’est que les antiféministes rivalisent d’insultes outrancières pour diaboliser les féministes et les présenter comme une terrible menace comparable aux pires catastrophes politiques du XXe siècle, alors que – je le répète – ce mouvement féministe est tout à fait modéré, considérant la situation des femmes dans l’Histoire, et encore aujourd’hui.

🤝 Cet article est publié dans le cadre du projet PULSE et fait partie d'une série sur le masculinisme et la violence de genre

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