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Une envie de désert

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En cette époque de fracas et de désordre, notre collaboratrice ouvre des carnets portant sur l’idée de désert. Au gré de ses routes récentes, elle nous fait pénétrer dans des immensités de sable, de neige et de mer, antidotes à l’agitation du temps. Premier de six articles.

Avril dernier, au Sahara occidental, à l’extrémité sud du Maroc. Je suis assise au sommet d’une petite dune, devant trois déserts, de sable, de mer et de ciel, fondue dans la substance du monde. J’avais besoin d’un désert. Quelque chose de nu, de sobre, de lisse, presque ascétique, à perte de vue. Pour tout dire, j’avais besoin de me mettre à distance des mèches orange, des gueules à tronçonneuse et des matamores à cravate ou à tailleur. M’abstraire un moment des drones, missiles et engins d’assaut. Envie d’autre chose que de l’esbroufe et de la guerre. D’un horizon sans irritants et sans fin. Envie de me promener crinière au vent, dans un long souffle du ciel que nul obstacle n’entrave. De me perdre sur une terre plane, sans aspérité, silencieuse.

Je suis venue au Sahara occidental, que vient lécher l’Atlantique. J’y suis venue pour le désert où je rêvais de déserter. Pour une ville, Dakhla, construite au milieu des sables, dans un coin du monde qui revêt depuis peu une grande importance géopolitique. J’y suis venue aussi pour une huître ! Oui, une huître du désert ! Enfin, pour Saint-Exupéry, dans l’espoir de croiser son petit prince sur les dunes. Mais je reviendrai sur tout cela.

Désert. Ce seul mot nous fait partir en songe. Depuis toujours, les déserts attirent, intriguent, mystifient. Qu’ils soient de sable ou de neige, les déserts sont habituellement associés au silence, à l’amplitude, à l’infini, au danger aussi. « Le désert sert en quelque sorte de révélateur à l’être humain, en ceci qu’il l’oblige au dépouillement, à l’essentiel, et le débarrasse de tout ce qui encombre la vie », écrit Rachel Bouvet, professeure à l’UQAM1. Un passage à vide qui entraîne parfois une renaissance, de nouvelles épousailles avec soi. « Les trois religions du Livre sont nées dans le désert : est-ce un hasard ? » s’interroge l’écrivain Jean-Pierre Valentin, un habitué du Sahara. « Le désert, c’est Dieu sans les hommes », écrivait Balzac.

Les déserts de la géographie

Il y a toutes sortes de déserts. Ceux auxquels nous pensons plus spontanément sont en général de sable, les déserts chauds. Mais il y a aussi des déserts froids, de glace et de neige. Mais, au fait, qu’est-ce qu’un désert ? Le Muséum national d’histoire naturelle de Paris définit ainsi ces vastitudes, présentes sur tous les continents, qui représentent un tiers de la surface de la Terre : « des milieux ouverts, exposés à l’aridité et aux températures extrêmes ». Pluies très rares, comme au Sahara (20 mm d’eau par année) et au nord du Canada (25 mm par année). Et des écarts de température considérables. Dans le désert d’Afrique du Nord, par exemple, il peut faire 50 degrés le jour et 0 degré la nuit. Le National Geographic précise que 20 % seulement des déserts sont recouverts de sable. Et puis, vous pensez que le Sahara est le plus grand de la planète ? Hé non ! Le plus grand est un désert froid, l’Antarctique, qui compte 14 millions de kilomètres carrés.

Retour sur ma dune au pied des vagues. Un chien sauvage, familier des lieux, inoffensif, me reluque. De mon promontoire, aux confins de deux immensités, de sable et d’eau saline, il me semble expérimenter un petit morceau de plénitude — « un moment d’être », écrivait Virginia Woolf.

Parler du désert, c’est aussi parler de désertification. Certaines régions du monde se désertifient à un rythme affolant. Ce phénomène résulte principalement de la déforestation et des besoins quotidiens des populations. La cuisson et le chauffage avec des combustibles ligneux sont encore le lot de millions de personnes. Ce à quoi s’ajoutent les effets du réchauffement du climat. Le désert est en train d’avaler tout rond une partie du monde.

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

Il y a quelques années, je m’étais intéressée à ce phénomène particulièrement sensible en Afrique. Je m’étais rendue dans trois pays que le Sahara ne cesse de grignoter. Au Mali, le fleuve Niger, principe vital du pays, se sédimente, son lit rétrécit. Au Sénégal, 20 % des ressources végétales ont disparu depuis les années 1980, une véritable hécatombe. Au Maroc, on a détruit des milliers d’hectares de forêt pour se livrer à la culture maraîchère intensive, au cœur de laquelle se trouve la célèbre clémentine. Le Sahara lui-même s’est agrandi, parce que le sud du Sahel est devenu plus sec et s’est transformé en désert.

La perte des forêts naturelles, cruciales pour la biodiversité de la Terre, n’est pas qu’un phénomène tropical, mais touche aussi des régions boréales. Au Canada, 177 000 kilomètres carrés de ces forêts naturelles2 ont été décimés pour les seuls besoins des marchés américain et chinois en bois et en minerais, soit l’équivalent de près de quatre fois la superficie de la grande île de Montréal.

Les déserts de l’intime

Il n’est pas que des déserts dans la géographie physique. Il en est de plus intérieurs, dans les géographies intimes. Désert affectif, absence de liens avec d’autres, quête frénétique de l’âme sœur dont le fourmillement des sites de rencontres témoigne. Et le désert affectif ne se vit pas que seul avec soi, il est parfois plus souffrant à deux ou en groupe. En cette époque de communication tous azimuts, « nos sociétés ressemblent de plus en plus à des déserts », écrit l’essayiste Michel Benoit. L’isolement social se répand, comme si nos solidarités s’ensablaient. Des études établissent un lien entre cet isolement et des problèmes de santé mentale, des risques accrus de déclin cognitif et même de mortalité.

Désert de la maladie aussi, seul à seul avec un soi dépouillé d’énergie, souffrant, parfois méconnaissable. Désert que suscitent les pathologies neurodégénératives affectant la mémoire et d’autres fonctions cognitives. « Je me sens devenir sotte », me dit un jour une résidente d’un CHSLD, autrefois enseignante avec du bagout. Son corps tenait, sa tête, plus. Ses yeux pleuraient tout seuls, « mais je ne sais pas pourquoi ». Et puis le désert du deuil, long, lent. « Un seul être vous manque, écrit Lamartine, et tout est dépeuplé. »

Il y a tant d’autres déserts. Celui des Afghanes, emmurées vivantes, captives des hommes et de leur société, à qui l’on a dénié le propre d’être une humaine. Celui des prisons. Aux États-Unis, selon le magazine Slate, 120 000 détenus croupissent en isolement total 22 heures par jour, parfois pendant des années. De quoi devenir fou. Et puis des spécialistes évoquent maintenant l’idée d’un désert de la pensée, avec l’avènement des technologies qui pensent et parlent à la place des humains. L’écrivain et philosophe Éric Sadin fera paraître cet automne un ouvrage au titre éloquent : Le désert de nous-mêmes.

Toujours sur ma dune, qu’effleure l’océan. Comment pourrais-je venir en pareils lieux sans penser à Saint-Exupéry, le pilote du désert et l’écrivain du célébrissime Petit Prince ? « Ici, je ne possédais plus rien au monde », écrit-il dans Terre des hommes. « Je n’étais rien qu’un mortel égaré entre du sable et des étoiles, conscient de la seule douceur de respirer. »

Il y a des déserts qui donnent du souffle, élargissent le regard, nous amplifient. Me revient ce titre si beau du poète et diplomate libanais Salah Stétié, Réfraction du désert et du désir. Désir de quelque chose d’autre, que recèleraient les immensités. Nous sommes nombreux à rechercher des étendues où la vue se perd, d’amples espaces où se reposer, souvent de nous-mêmes. Nombreux à appeler le grand air, le silence et la contemplation. La fréquentation des îles, des montagnes, des forêts, des lacs et des mers va en s’accroissant. La quête de lieux perdus, une plume de mouette ou une brindille entre les dents, nous aimante. Depuis nos tentes, nos yourtes, nos cabanes, on observe les aubes, éblouis. On veut cueillir des aurores boréales en janvier et de petites fraises des champs en juillet. Les pieds dans les joncs, la neige ou les feuilles mortes, on court dessous les nuages, on cherche, on cherche, chacun, chacune, son désert, où, pendant quelques secondes, tout sera apaisé.

Samedi prochain : Dakhla sous ma fenêtre


1. Désert, nomadisme, altérité. Sous la direction de Rachel Bouvet, Virginie Turcotte et Jean-François Gaudreau. Cahiers Figura, no 1. UQAM, Montréal, 2000

2. Étude scientifique basée sur des données de 2014 et menée par l’Institut pour la biodiversité et le climat de Senckenberg, en Allemagne, rapportée par Le Devoir en janvier 2023

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