ENTRETIEN – Ce jeudi 10 juillet, le Parlement européen examinera une motion de censure visant la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. À l’origine de cette initiative : l’eurodéputé roumain Gheorghe Piperea. Dans cet entretien, il expose les raisons de sa démarche, qu’il justifie par un manque de transparence de l’exécutif et une érosion de la démocratie au profit de la technocratie.
Epoch Times : Il ne fait guère de doute que la Commission d’Ursula von der Leyen devrait survivre à la motion de censure que vous avez déposée. Deux tiers des suffrages exprimés sont nécessaires. Pensez-vous tout de même qu’elle pourra être adoptée ?
Gheorghe Piperea : Je me réjouis que cette motion de censure oblige certains à se regarder en face, et peut-être à voir que le reflet n’a rien de flatteur. Je suis également satisfait d’avoir contribué à faire tomber quelques masques en chemin.
Certes, il est peu probable que les voix nécessaires pour renverser Ursula von der Leyen soient réunies : c’est entendu. Mais ne vous y trompez pas : c’est le début de la fin pour elle. Lundi, son visage trahissait la compréhension que nous étions symboliquement entrés dans une atmosphère de fin de règne. Le sien.
Pouvez-vous rappeler les raisons principales justifiant, selon vous, cette motion de censure ?
Premièrement, le scandale du Pfizergate. Dans une décision rendue en mai, le Tribunal de l’Union européenne a jugé que le refus de la Commission de divulguer le contenu des SMS échangés entre Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer, échanges liés à la négociation de contrats de vaccins Covid à hauteur de 35 milliards d’euros, n’était pas fondé. En dépit de cette décision de justice, la Commission européenne persiste à refuser de les rendre publics.
Deuxièmement, les conclusions préoccupantes de la Cour des comptes européenne, qui ont mis en lumière une gestion défaillante des fonds du plan de relance et de résilience (RRF). Destiné à soutenir les États membres face aux conséquences économiques de la pandémie, ce fonds a souffert d’un manque criant de contrôle et de suivi de la part de la Commission, notamment en ce qui concerne la bonne utilisation et l’allocation efficace des ressources.
Troisièmement, le recours d’Ursula von der Leyen à l’article 122 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, utilisé pour contourner le Parlement européen afin de créer un nouvel instrument financier de 150 milliards d’euros dans le cadre de son initiative « Rearm Europe ».
Pour la première fois, la présidente de la Commission s’est exprimée publiquement afin de se défendre des accusations de manque de transparence concernant les SMS au cœur du contentieux avec le New York Times. Qu’avez-vous pensé de ses explications devant le Parlement ?
Beaucoup attendaient enfin des explications claires : Ursula von der Leyen n’en a livré aucune. Elle s’est contentée d’affirmer qu’elle avait échangé avec des dirigeants de l’industrie pharmaceutique, et que les négociations avaient été transparentes puisque les 27 États membres y auraient été associés. C’est factuellement faux. À ce jour donc, toujours aucune justification, aucune transparence, aucune prise de responsabilité.
Mais que contiennent donc ces SMS pour qu’on persiste à en interdire l’accès ? Ce ne sont, en principe, que de simples messages, et pourtant, ils semblent renfermer quelque chose d’éminemment compromettant.
Ce qui ne manque pas de sel, c’est que ceux-là mêmes qui, au nom de l’intérêt général, plaident pour des mesures aboutissant à une surveillance toujours plus accrue des citoyens, s’exonèrent, eux, de toute exigence de transparence.
L’Europe fut jadis un modèle de démocratie, de liberté et de responsabilité institutionnelle. Aujourd’hui, nous devenons une entité technocratique opaque, gouvernée par une présidente qui foule aux pieds les principes mêmes qu’elle prétend incarner.
Votre motion de censure a été qualifiée par Mme von der Leyen de « nouvelle tentative grossière de creuser un fossé entre nos institutions et les forces pro-européennes ». Que répondez-vous à cela ?
Ursula von der Leyen a manqué de respect non seulement à ses opposants, mais aux institutions elles-mêmes. Elle a balayé cette motion de censure d’un revers de main, la réduisant à un simple outil politique brandi par des forces « anti-européennes ».
Autrement dit, le message de von der Leyen est le suivant : « Si vous êtes contre moi, vous êtes contre l’Union européenne, donc forcément du côté de Poutine. » C’est là une rhétorique pernicieuse, qui correspond aux tactiques léninistes : « Qui n’est pas avec nous est contre nous. »
Si Mme von der Leyen vous a accusés d’être des « partisans de Poutine », elle est en revanche restée silencieuse sur Xi Jinping. Le lendemain, elle a prononcé un discours globalement élogieux envers la Chine, saluant un modèle économique qui, « en seulement cinquante ans », aurait « sorti plus de 800 millions de personnes de la pauvreté ». Elle a également affirmé ne pas vouloir d’un « découplage », mais au contraire « une relation plus stable ». Quelle est votre réaction ?
Très bien, embrassons donc les bottes de Xi Jinping, puisqu’il semblerait qu’il soit un dictateur respectable. Ursula von der Leyen, dans sa manière d’agir et de réagir lundi, a d’ailleurs adopté une posture qui n’est pas sans rappeler celle du dirigeant communiste chinois.
Elle a osé nous accuser d’être des « marionnettes de Poutine ». Mais rappelons les faits : ce sont Gerhard Schröder et Angela Merkel en Allemagne, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron en France, qui ont entretenu des liens économiques étroits avec Moscou pour garantir à leurs pays un accès privilégié au gaz russe à bas coût.
Me concernant, je n’ai jamais eu le moindre lien économique avec Poutine, et n’en aurai jamais. Parce que je suis un démocrate, et que je rejette fondamentalement son modèle politique.
En juillet dernier, l’avocate du New York Times, Me Bondine Kloostra, a remporté, pour un autre client, une première victoire judiciaire devant le Tribunal de l’UE dans ce contentieux relatif à la transparence des contrats d’achat de vaccins contre le Covid-19. Le même jour, un autre jugement favorable, obtenu par Me Arnaud Durand, a enjoint la Commission européenne à publier les clauses indemnitaires de ces contrats. Bien que cette décision soit exécutoire depuis plusieurs mois malgré son pourvoi devant la Cour de justice de l’UE, l’exécutif européen continue de s’y soustraire. Qu’en pensez-vous ?
Je note que ces affaires ont été jugées avec un timing tel qu’il a d’ailleurs permis à Ursula von der Leyen de sécuriser un second mandat. L’affaire que vous évoquez est un autre exemple flagrant d’un mépris pour le système judiciaire et la séparation des pouvoirs. Le message que cela envoie est profondément dommageable.
Lorsqu’un tribunal rend une décision défavorable à un citoyen ou à une entreprise, que considère-t-on comme allant de soi ? Qu’ils respectent l’État de droit. Qu’ils se conforment au jugement. Qu’ils en assument les conséquences. Et que constate-t-on aujourd’hui, s’agissant de la Commission dirigée par Ursula von der Leyen ? Le Tribunal de l’UE a tranché. Et pourtant, aucune suite, aucun respect de la décision rendue. Rien.
Si vous prétendez défendre la transparence et l’État de droit, alors vous devez être les premiers à appliquer les décisions de justice, y compris lorsqu’elles ne sont pas encore définitives. C’est une question de principe. C’est une exigence d’éthique. Et c’est surtout une condition essentielle de la confiance dans nos institutions judiciaires.
Je le rappelle : la Commission se montre souvent d’une grande intransigeance lorsqu’il s’agit de dénoncer les atteintes à l’État de droit en Hongrie, en Pologne, en Roumanie… Mais quand vient le moment de montrer l’exemple, elle se dérobe.
Dans une démocratie digne de ce nom, cela est tout simplement inacceptable. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Que l’on soit présidente de la Commission ou simple citoyen, nul ne peut se placer au-dessus de l’État de droit.
Pour beaucoup, la crise du Covid n’est plus qu’un souvenir pénible qui s’éloigne avec le temps. Pourquoi considérez-vous qu’il ne faut pas tourner la page trop rapidement sur cette période ?
En tant que professeur de droit, je suis profondément préoccupé par l’érosion de la confiance des citoyens dans la démocratie, non pas en raison d’un rejet de ses principes, mais d’une défiance croissante envers ceux qui sont censés les incarner et qui, trop souvent, les trahissent.
Ce que nous avons observé depuis la crise du Covid-19 est à cet égard révélateur. On a voulu habituer les citoyens à l’idée qu’en période de crise, il serait « normal » de suspendre nos libertés, nos droits fondamentaux, notre mode de vie au nom d’une prétendue « protection ». Mais cette protection, dans les faits, a davantage ressemblé à une soumission à l’autorité qu’à une véritable mesure de précaution.
Or, pour imposer une autorité présentée comme salvatrice, encore faut-il avoir un ennemi. Hier, ce fut la guerre contre le virus. Aujourd’hui, c’est, par exemple, la guerre contre le changement climatique. Ce cadre permet d’instaurer un climat d’urgence, qui justifie la restriction des libertés.
Pendant la crise Covid, cette mécanique a permis la mise à mort de la liberté d’expression. La moindre voix dissidente était taxée de « désinformation ». L’opinion divergente, assimilée à une menace pour la santé publique.
Et pendant ce temps, que devenaient les gens ordinaires ? Broyés par les confinements successifs, les fermetures administratives et des règles incohérentes imposées d’en haut, ils perdaient leur emploi, leur entreprise, parfois leur dignité.
Aujourd’hui, les séquelles sont visibles. Une partie croissante de la population ne fait plus confiance à la science, non pas par idéologie « anti-science », mais par sentiment de trahison. On avait promis la rigueur. On a eu l’opacité, l’arrogance, le dogme. Des hôpitaux ont fermé leurs portes aux patients non-Covid, abandonnant les malades chroniques, les cancéreux, les personnes en souffrance psychique. Quant aux vaccins si vivement promus par Madame von der Leyen, ils ont été autorisés dans des délais records, sans recul sur les risques à long terme, avec une efficacité qui n’a pas correspondu à celle annoncée. Ce n’était pas de la science : c’était de la précipitation politique.
Aujourd’hui, beaucoup ne se sentent donc plus représentés par ces dirigeants politiques enfermés dans une logique technocratique, se comportant comme une élite non élue, déliée de toute obligation de rendre des comptes. C’est ainsi que la confiance dans la démocratie s’effrite. Pas à cause de ses fondements, mais à cause de ceux qui les détournent. Cependant, je viens d’un pays qui a connu quarante-cinq années de totalitarisme. Je sais ce que cela signifie. Et je n’ai aucune intention d’y retourner.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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