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Quinze sénateurs ont participé à une visite de familiarisation en Alberta l’été dernier, avec des arrêts au Stampede de Calgary et au lac Louise. Trois sont venus avec leur conjoint. En coulisses, des membres du Sénat remettent en question la pertinence du voyage payé par les contribuables. Une révision des règles est d’ailleurs en cours.
L’initiative a été lancée par le sénateur albertain Scott Tannas. En mai 2024, il envoie un message à tous ses collègues de la Chambre haute pour les inviter à ce qu’il appelle un voyage « de familiarisation » dans sa province. L’idée est simple, explique-t-il : de nombreux membres du Sénat ne connaissent pas bien la région et bénéficieraient d’une visite de type « découverte en personne ».
Le voyage, organisé en collaboration avec le gouvernement de l’Alberta, prévoit plusieurs arrêts, entre autres une visite du Stampede de Calgary, une rencontre avec des membres de l’industrie touristique à Banff, dans les Rocheuses, un aller-retour d’une journée dans les sables bitumineux, ainsi qu’un circuit dans des exploitations céréalières et bovines de la province.

Le sénateur Tony Loffreda a pris la pose dans un tracteur lors de la visite d'une exploitation agricole.
Photo : x/TonyLoffreda
Au total, 15 sénateurs choisissent de participer au voyage du 6 au 9 juillet 2024. Six d’entre eux y amènent des employés de bureau. Trois membres du Sénat viennent avec leur conjoint et font payer la note aux contribuables, ce qui n'est pas illégal, mais fait sourciller des collègues sénateurs.
Coût total : 118 000 $, selon des données compilées et obtenues par Radio-Canada.
Sous le couvert de l’anonymat, trois sénateurs qui ne veulent pas dénoncer publiquement leurs collègues expriment un malaise face au déplacement. Ils critiquent le moment choisi pour le voyage – en plein Stampede –, mais aussi la pertinence d’une telle tournée, qui n’est pas liée au travail précis d’un comité et qui s’apparente, selon un membre de la Chambre haute, à un voyage de team building [renforcement d'équipe] estival.
Une révision est d’ailleurs en cours par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration du Sénat (CIBA) pour déterminer si les tournées de familiarisation régionales doivent faire l’objet d’un meilleur encadrement.

La sénatrice Rosemary Moodie en compagnie des coorganisateurs du voyage, les sénateurs albertains Scott Tannas et Karen Sorenson.
Photo : x/SenMoodie
Après le voyage de l’an dernier, d’autres sénateurs ont décidé d’organiser des visites de découverte à l’été 2025. Une d’entre elles est prévue à nouveau en Alberta – encore une fois durant le Stampede – et une autre au Manitoba, avec un déplacement à Churchill dans le nord de la province.
Dans une lettre envoyée à tous les sénateurs, le 30 avril dernier, la présidente du Comité directeur du CIBA, Lucie Moncion, écrivait : [L]e Comité directeur s’inquiète de l’organisation de déplacements coordonnés de groupes de sénateurs [avec des] dépenses qui diffèrent considérablement de l’utilisation habituelle des ressources du Sénat [...]. Le Comité directeur désire s’assurer que les fonds publics continuent d’être utilisés avec diligence et prudence.
Après une rencontre à huis clos jeudi dernier, le CIBA a demandé au sous-comité du budget des dépenses du Sénat d’émettre des recommandations pour mieux baliser ce genre de voyages.

Le CIBA s’est penché sur le voyage de familiarisation lors d’une rencontre à huis clos le jeudi 5 juin.
Photo : capture d'écran
Le malaise des conjoints
L’autre source de malaise touche à la présence de conjoints, qui ont vu leur déplacement en Alberta remboursé par le Sénat.
Moi, je suis d’accord qu’on aide les sénateurs à voir leur famille, puis qu’on paie parfois les voyages des conjoints quand ils viennent avec nous à Ottawa, lance un membre de la Chambre haute. Mais ça ne peut pas être un passe-droit pour payer des vacances dans les Rocheuses.
D’ailleurs, dans un audit réalisé en 2015 – alors que le Sénat était aux prises avec un scandale de dépenses –, l’ex-juge de la Cour Suprême Ian Binnie lançait un avertissement à ceux qui siègent à la Chambre rouge : oui, les conjoints ont le droit d’accompagner les sénateurs dans le cadre de leurs fonctions, mais l’objectif doit être la réunification familiale.
Le but du déplacement du conjoint n’a jamais été un avantage non imposable ni une corbeille de vols gratuits, écrivait-il.

Le groupe de sénateurs devant l’enseigne de la ville de Banff
Photo : x/SenMoodie
Et c’est précisément ce qui dérange Pierre Moreau, ex-ministre québécois et sénateur, qui n’a pas participé à la tournée de familiarisation l’été dernier. Bien qu’il estime que les voyages du genre puissent être bénéfiques et justifiés, il croit que les règles entourant les conjoints doivent être resserrées.
À mon point de vue, les conjoints doivent assumer eux-mêmes leurs frais. [...] [Sinon], j’ai un malaise avec ça.
Aucun des trois sénateurs qui sont venus accompagnés de leur conjoint – Paul Prosper, Rosemary Moodie et Ratna Omidvar – n’ont répondu à nos demandes d’entrevue.

Paul Prosper, Rosemary Moodie et Ratna Omidvar sont venus avec leur conjoint durant le voyage.
Photo : site web du Sénat
Une d’entre elles, la sénatrice Omidvar, a pris sa retraite quelques mois seulement après la tournée.
Dans un discours prononcé en septembre 2024 à la Chambre haute, elle racontait avoir vécu un voyage vraiment transformateur en Alberta et avoir profité de sa première expérience au Stampede pour acheter ses premiers jeans : Ce n’est pas tout à fait mon style […] mais j’ai été ravie de voir des cowboys me saluer de leur chapeau et me dire "Howdy, ma’am", comme dans les westerns.
Un voyage pertinent? Les organisateurs se défendent
En entrevue à Radio-Canada, l’organisateur de la tournée de l’été dernier, le sénateur Scott Tannas, estime que c’est aux participants de décider s’il est raisonnable pour eux de venir accompagnés de leur conjoint : Chacun doit défendre ses décisions, plaide-t-il.
Quant à la pertinence du voyage comme tel, M. Tannas justifie l'invitation de ses collègues au Stampede par le caractère significatif de l'événement, qui aide à comprendre l’esprit de l’Alberta.

Chaque sénateur a payé son billet pour assister aux courses de chariots prévues en soirée.
Photo : Reuters / Todd Korol
Il précise du même coup que les courses de chariots n'étaient qu’à la fin de la journée et que les participants ont payé leur billet d’entrée.
Leur hôtel à plus de 500 $ la nuit – la période la plus chère de l’année – a toutefois été remboursé par les contribuables.
M. Tannas rejette l’idée qu’il ait concocté des vacances sur le dos des contribuables et parle plutôt d’un programme avec un horaire chargé ainsi que des rencontres multiples.
Pour lui, il est primordial pour les sénateurs de bien comprendre les différentes régions du pays : L’an dernier, ajoute-t-il, j’ai vu passer plusieurs projets de loi privés qui me semblaient hostiles à ma province. Il a donc trouvé important d’offrir à ses collègues une occasion de mieux saisir les enjeux albertains.

Le sénateur Scott Tannas en entrevue à Radio-Canada
Photo : Radio-Canada / Patrick Louiseize
Daryl Fridhandler, qui organise une tournée en Alberta cet été, abonde dans le même sens : Oui, ça coûte de l’argent, mais, vous savez, vous en avez pour votre argent, et les sénateurs vont être meilleurs et prendre de meilleures décisions s’ils comprennent mieux les enjeux.
Quelles sont les règles?
Comme les députés, les 105 sénateurs peuvent se faire rembourser les déplacements liés à leur travail parlementaire. Ils disposent tous d’une banque de points de voyages pour aller gratuitement de chez eux au Sénat, à Ottawa.
Les sénateurs peuvent aussi utiliser certains de leurs points pour des déplacements dits spéciaux, comme assister à des conférences, suivre une formation linguistique ou encore rencontrer des représentants dans une région.
Mais le règlement est clair : À tout moment, l’objectif principal du voyage doit être lié à une fonction parlementaire et les dépenses de voyage doivent être justifiables, appropriées, raisonnables et bien documentées.
Moi, je vais faire un voyage à la Baie-des-Chaleurs
Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice estime que les sénateurs gagneraient à se montrer plus prudents dans leurs dépenses, d’autant que les fonctionnaires ont vu leurs budgets de voyages réduits depuis 2023 : Je pense qu’il y a une mauvaise gestion des fonds publics là-dedans, il y a un petit peu de gaspillage aussi. Et je pense qu’on devrait resserrer les règles.

105 sénateurs siègent à la Chambre haute et sont nommés pour représenter les intérêts d’une région spécifique du pays.
Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel
L’élu du NPD craint surtout qu’on ouvre une boîte de Pandore, avec des sénateurs qui se mettent à organiser des déplacements un peu partout au Canada sous prétexte qu’il faut comprendre et découvrir différents coins de pays.
Si on peut faire ça, moi, je vais faire un voyage de familiarisation à la Baie-des-Chaleurs au Nouveau-Brunswick avec ma famille. Mais je ne suis pas sûr que le contribuable va y gagner, par contre.
La politologue de l’Université d’Ottawa Geneviève Tellier, spécialisée en finances publiques, est du même avis : Ça me semble dépasser un peu le cadre normal du travail des sénateurs. Maintenant, si le Sénat dit : "On veut travailler sur un sujet en particulier – pétrole, énergie, pêches, etc. – et on a besoin d’aller sur place”, bien ça existe déjà. Il y a une procédure, il y a des fonds [avec les comités]. Mais ce type de voyage là, à l’initiative d’un seul sénateur, sans comptes à rendre après, ça sert à quoi, à part sensibiliser? demande-t-elle.

Le Bloc québécois n'a jamais caché sa volonté d'abolir le Sénat.
Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel
Le besoin de sensibiliser – aussi sincère soit-il – fait d’ailleurs sourciller la leader du Bloc québécois en Chambre, Christine Normandin, qui rappelle que, dans la composition même du Sénat, il y a une représentation provinciale pour s’assurer que les différentes régions du pays sont entendues. Il y en a des sénateurs albertains! Ils sont censés être la voix de l’Alberta au sein des différents caucus de sénateurs, dit-elle.
L’inquiétude pour trois membres de la Chambre haute, qui se sont confiés loin du regard des caméras, c’est que les tournées de familiarisation laissent une impression de frivolité qui éclabousse le Sénat dans son ensemble.
C’est peut-être utile, ce voyage, mais ce n’est pas essentiel. Quand on est un non-élu, il faut faire particulièrement attention aux dépenses publiques. Il ne faut pas que ça dérape.
Il y a une douzaine d’années, la Chambre haute a été entachée par un scandale de dépenses entourant notamment les allocations de logement et de déplacement réclamées par des sénateurs conservateurs et libéraux.
Depuis, les règles de dépenses ont été resserrées – les sénateurs doivent notamment faire preuve de plus de transparence –, mais la politologue Geneviève Tellier conseille aux membres de la Chambre rouge, surtout ceux qui n’ont pas vécu le scandale, d’être plus blancs que blancs dans leurs déplacements.
Elle le rappelle : La pertinence du Sénat est constamment remise en question.