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Jafar Panahi n’avait pas eu de film à Cannes depuis 2018, année où Trois visages avait remporté le prix du scénario. Dans l’intervalle, le cinéaste iranien sexagénaire a été emprisonné en 2022, à la suite d’une condamnation de 2010 pour « propagande contre le régime », avant d’être libéré en 2023, après une grève de la faim et de la soif. De quoi freiner ses ardeurs militantes ? Pensez-vous ! Dévoilé mardi en compétition, Un simple accident, son brillant nouveau long métrage, est une fable hypercritique de la République islamique d’Iran.
Délaissant le documentaire, la docufiction et autres entre-deux métanarratif, Jafar Panahi renoue ici avec la fiction pure. Pour autant, le réalisateur de Ceci n’est pas un film, Taxi et Aucun ours poursuit son exploration de thèmes récurrents telles la corruption systémique et les limites de la liberté sous un gouvernement théocratique. Là-dessus, Panahi en connaît un rayon.
Hormis son incarcération, il a en effet été interdit de tourner en Iran des années durant, ce qui l’a forcé à travailler de manière clandestine (Un simple accident a été tourné sans autorisation). Panahi a qui plus est longtemps été privé de passeport : l’ayant recouvré, il est à Cannes en personne pour la première fois depuis 15 ans.
Photo: Miguel Medina Agence France-Presse
Le réalisateur, scénariste et producteur iranien Jafar Panahi, au centre, avec une partie de l'équipe du film «Un simple accident», à Cannes, le 20 mai 2025
Passé un brillant prologue dont on taira la teneur, mais où survient ce « simple accident » qui sert d’élément déclencheur à tout ce qui suivra, l’intrigue s’arrime au point de vue d’un homme qui, sans être à portée de vue, croit reconnaître à son pas traînant l’agent du gouvernement qui l’a torturé quelques années auparavant (sans doute lors des manifestations de 2017-2018, jamais nommées).
Or, comme le protagoniste avait les yeux bandés, il lui est impossible de procéder à une identification formelle. Qu’à cela ne tienne, voici le suspect attaché à l’arrière d’une fourgonnette.
Pendant que cette situation de départ se met en place, on songe évidemment à la pièce La jeune fille et la mort, de la dramaturge Ariel Dorfman, dans laquelle une femme pense reconnaître la voix de son ancien tortionnaire, qu’elle séquestre.
La comparaison s’arrête cependant là puisque le kidnappeur improvisé se lance, au volant de ladite fourgonnette, dans une série de rencontres avec d’anciennes victimes (dont deux femmes jouées par des actrices ne portant pas le hidjab obligatoire), en espérant toujours que la suivante reconnaîtra leur bourreau commun.
Au cœur d’Un simple accident, la question de la vengeance, avec toutes ses implications éthiques, morales et viscérales. D’ailleurs, le film lui-même pourra être perçu comme la revanche de Panahi envers ses propres tourmenteurs officiels.
Dénouement percutant
Décrit ainsi, Un simple accident pourra sembler relever du thriller, voire de la tragédie. C’est vrai dans une large mesure, mais Jafar Panahi n’en insuffle pas moins beaucoup d’humour à son film : tantôt noir (les policiers utilisant des terminaux portables afin d’encaisser des pots-de-vin), tantôt absurde (la pièce En attendant Godot, de Samuel Beckett, est explicitement citée).
Ce côté absurde est en l’occurrence exacerbé par une construction basée sur la surenchère, que ce soit la quantité de personnes que le protagoniste doit successivement approcher ou le nombre de fois où l’on tente vainement de déterminer si l’inconnu est, oui ou non, l’infâme agent.
C’est méthodique, précis et d’une efficacité redoutable. À cet égard, le dénouement s’avère percutant. Usant de son minimalisme caractéristique, le cinéaste s’en tient à un très long plan fixe à l’intérieur duquel tout ce qui doit être réglé, narrativement parlant, se voit réglé. Après ce qui aura été un quasi-road movie en ville et en périphérie de celle-ci, le contraste saisit et n’en a que plus d’impact.
Avec son abondance de dialogues, ce passage aurait pu être théâtral (on repense pour le compte à Beckett, de manière oblique), mais c’est au contraire électrisant. En un écho au prologue, l’épilogue clôt le récit avec une parfaite, mais terrible symétrie. Ce dernier plan, ce qu’on y entend… on s’en souviendra longtemps.
François Lévesque est à Cannes à l’invitation du festival et grâce au soutien de Téléfilm Canada.