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«Trente ans après sa mort, l’amour d’Emil Cioran pour le français est un antidote au discours de Mélenchon»

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FIGAROVOX/TRIBUNE - Le chef de LFI, pour qui la langue française «n’appartient plus aux Français», ferait bien de lire Emil Cioran, décédé le 20 juin 2025 à Paris. Celui-ci considérait la langue de Molière comme sa patrie d’adoption, loue Vincent Piednoir, journaliste et admirateur du philosophe roumain.

Vincent Piednoir a codirigé le Cahier de l’Herne Cioran (2009) et publié notamment Cioran avant Cioran. Histoire d’une transfiguration (Gaussen, 2013 ; traduit cette année en espagnol, aux Ediciones del Subsuelo).


La langue française « n’appartient plus aux Français ». Elle « s’est répandue dans le monde à la faveur du colonialisme » avant de devenir « la propriété et la conquête » de « ceux qui s’en sont servis et qui, parfois, l’ont utilisée contre les Français ». Il faut « trouver un autre mot que ‘‘langue française’’ pour qualifier notre langue ». « Si nous voulons que le français soit une langue commune, il faut qu’elle soit une langue créole », car il n’est pas « la propriété singulière de la nation française et, en particulier, certainement pas celle de ceux qui voudraient figer l’identité française dans sa langue ». « La France, ce n’est ni une langue […], ni une religion […] ».

Personne n’a oublié « l’appel du 18 juin » à la sauce mélenchonienne que le chef de LFI a lancé lors d’un colloque organisé ce jour-là, à l’Assemblée, sur l’avenir de la francophonie. Sans revenir sur la stratégie globale qui fonde ses déclarations, nous voudrions simplement lui faire observer que la langue qu’il évoque, certes nourrie de multiples apports, est moins un creuset sans racines propres qui justifierait qu’on la débaptise qu’un formidable socle commun dont le génie a précisément consisté et consiste encore à assimiler lesdits apports. Au reste, pourquoi passe-t-il sous silence ceux qui, nés en d’autres langues, ont trouvé dans la nôtre un refuge, et ont quelquefois accompli de considérables efforts par respect, par amour pour elle ?

À cet égard, un cas emblématique – parmi tant d’autres ! – nous vient immédiatement à l’esprit, qui avait jadis noté : « C’est mon défaut d’élocution, mes balbutiements, ma façon saccadée de parler, mon art de bredouiller, c’est ma voix, mes r de l’autre bout de l’Europe, qui m’ont poussé par réaction à soigner quelque peu ce que j’écris et à me rendre plus ou moins digne d’un idiome que je malmène chaque fois que j’ouvre la bouche ». Ce cas, c’est Emil Cioran qui, parce qu’il en a éprouvé la violence jusqu’au cœur de son identité, semble nous revenir d’outre-tombe tel un antidote aux séductions de l’idéologie, dont nul ne peut douter qu’elles imprègnent, ici comme ailleurs, le discours de monsieur Mélenchon. Mais pour bien l’entendre, remontons la pendule, un instant.

Trente ans après sa mort, le plus célèbre Transylvain du Quartier latin demeure on ne peut plus présent. Par le truchement de l’œuvre si singulière qu’il a laissée, certes, soit plusieurs milliers de pages écrites dans sa langue maternelle, puis d’adoption

Vincent Piednoir

Quelques mois avant le décès de Cioran, survenu le 20 juin 1995, le journaliste et écrivain François Bott rendit visite, pour la dernière fois, à celui qui, atteint de la maladie d’Alzheimer, avait été admis à l’hôpital Broca deux ans auparavant. Au ciel, dit-il, brillait un joli soleil d’hiver ; en sorte que décision fut prise de faire quelques pas dans les jardins. Soudain, Cioran retient Bott par la manche et lui glisse : « Cher ami, ne le répétez pas, mais je fais semblant d’être ici… » Formule terrible, touchante aussi, de la part d’un homme qui s’était tellement senti étranger par essence, et qui, tandis que sa mémoire et ses facultés s’estompaient, percevait encore que l’heure de l’ultime déliaison approchait.

Et cependant, trente ans après sa mort, le plus célèbre Transylvain du Quartier latin demeure on ne peut plus présent. Par le truchement de l’œuvre si singulière qu’il a laissée, certes, soit plusieurs milliers de pages écrites dans sa langue maternelle, puis d’adoption – sans oublier les fameux Cahiers retrouvés par Simone Boué, sa compagne, ainsi que ses très stimulants Entretiens. Néanmoins, au moment de livrer ce petit exercice d’admiration en forme d’hommage – lequel aurait pu se satisfaire d’un florilège de citations bien choisies, d’une peinture du maître ès paradoxes et fragments, de l’évocation du prétendu cynique et misanthrope aux amitiés fidèles et à l’humour proverbial, etc. –, il m’est apparu opportun d’essayer de dire pourquoi Cioran devrait être, aujourd’hui plus que jamais, découvert ou redécouvert, et pourquoi, de surcroît, par une certaine frange de notre jeunesse. Or, porteur de bien des leçons, cet angle-là ressortit directement à son cheminement parmi les affres de l’Histoire, à son destin – mot qu’il affectionnait. « Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait fait renoncer personne à avoir une vie », a-t-il relevé. Chez Cioran, la saillie malicieuse n’a rien d’innocent.

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Car, bien avant de devenir « l’un des plus grands écrivains français dont puisse s’honorer notre langue depuis la mort de Paul Valéry » (dixit Saint-John Perse, en 1968) et l’une des voix les plus originales du scepticisme contemporain, notre « apatride métaphysique » (dixit lui-même) fut, en Roumanie, l’auteur d’une œuvre déjà inclassable, explosive en tous points et inspirée des révélations de l’insomnie. « En ce qui me concerne, je démissionne de l’humanité : je ne peux, ni ne veux, demeurer homme », déclarait-il par exemple à vingt-deux ans dans son premier opus, Sur les Cimes du désespoir (1934), titre dont usaient les journaux de l’époque pour annoncer un… suicide. Cinq ouvrages, donc, et une bonne centaine d’articles au style débraillé et créatif, traversés de bout en bout par une extrême tension entre abattement et exaltation, désir d’en finir et aspiration féroce à épouser « la Vie, [sa] divinité d’alors », fût-ce jusque dans la mort…

Beaucoup plus tard, en 1957, interrogeant son ami le philosophe Constantin Noica, il se rappellera, en français : « Vous souvient-il de ce temps où je débitais des boutades incendiaires, moins par goût du scandale que par besoin d’échapper à une fièvre qui, sans l’exutoire de la démence verbale, n’eût pas manqué de me consumer ? »

Son credo ? La table rase : « Tout réformer, même le passé ». Détruire jusqu’au souvenir et jusqu’aux tombes de ces ancêtres qui, humiliés de toujours, n’ont rien légué d’autre qu’un ethos soumis, sans orgueil, anhistorique

De fait, si lesdites « boutades », chargées de culture et de lectures, visèrent d’abord à dynamiter l’homme, la tiédeur des bien portants et pensants, la théologie comme le rationalisme, l’horizontalité desséchante du souci de la Cité, elles se muèrent brusquement, à l’automne 1933, en un discours radicalement engagé dans les « affaires humaines » : alors étudiant boursier en Allemagne (durant deux ans), Cioran exprime publiquement, de là-bas, son adhésion à l’hitlérisme, à ses valeurs « barbares », à « la frénésie qui a envahi tout un pays » et, par un retournement d’une rapidité inouïe, voit dans la forme de la dictature d’outre-Rhin un modèle à importer d’urgence en Roumanie, ce « coin de l’Europe » qui l’a vu naître, archétype de la « petite culture » condamnée à pourrir à la périphérie de l’Histoire et dont, par l’effet d’un amour à rebours, il considère la négation totale de l’essence comme un préalable nécessaire au salut, ce qui le distingue foncièrement, d’ailleurs, de la tristement célèbre Garde de Fer de Codreanu – « mouvement cruel, mélange de préhistoire et de prophétie, de mystique de la prière et du révolver », écrira-t-il –, qu’il a, pourtant, ouvertement soutenue.

À la primauté du « spirituel » se substitue, en une poignée de semaines, le goût de la « grande politique » : jusqu’en 1941 au moins, le verbe roumain de Cioran est messianique, volcanique, à mille coudées du détachement qui, après-guerre, conférera à ses textes la saveur d’une lave refroidie, enveloppée de cendre.

Son credo ? La table rase : « Tout réformer, même le passé ». Détruire jusqu’au souvenir et jusqu’aux tombes de ces ancêtres qui, humiliés de toujours, n’ont rien légué d’autre qu’un ethos soumis, sans orgueil, anhistorique. Fanatiser les masses, supprimer la démocratie et le parlementarisme, légitimer l’usage de la force – voire du meurtre – par sa seule efficacité politique, réduire à néant le culte sclérosant et stérile du « paysan éternel » en misant sur l’industrialisation et la modernisation à outrance des villes, puiser dans la révolution bolchevique et le collectivisme le moyen d’enrayer la misère matérielle de ses compatriotes, tout en usant du correctif « national » pour éviter l’absorption délétère du pays dans l’internationalisme, « arrêter tous les Roumains et les battre jusqu’au sang » pour que ce « peuple superficiel » devienne enfin « créateur d’histoire », mais aussi « jeter les étrangers [Hongrois et Juifs, au premier chef] sur un chemin sans issue », car « ne pas les haïr et ne pas les éliminer témoigne[rait] d’une absence d’instinct national », quoiqu’il précise réfuter l’idée selon laquelle « la xénophobie [serait] la clef de tous les problèmes », la solution principale aux déficiences structurelles de cette Roumanie tant aimée qu’abhorrée, et dont il exige la transfiguration immédiate… Bref, Cioran se tourne alors résolument vers l’avenir, et les choses séculières : il veut croire, et se jette à corps perdu dans la bataille idéologique. Rien là d’un réactionnaire envoûté par l’échec, ou d’un disciple de l’à quoi bon.

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La suite, on la connaît : fuyant les bords du Danube pour ceux de la Seine, Cioran troque, en pleine Occupation, sa fascination pour ce qui brandit avec insolence sa volonté de puissance, contre un attachement presque maladif à l’endroit de ce qui s’effondre à ses yeux : la France.

Aussi abandonne-t-il bientôt le roumain comme vecteur de création littéraire au profit de notre langue, si réfractaire, estime-t-il, aux effusions de son tempérament, et dont la maîtrise – ô combien aboutie – lui coûtera de titanesques efforts : « Ce serait entreprendre le récit d’un cauchemar que de vous raconter par le menu l’histoire de mes relations avec cet idiome d’emprunt, avec tous ces mots pensés et repensés, affinés, subtils jusqu’à l’inexistence, courbés sous les exactions de la nuance, inexpressifs pour avoir tout exprimé, effrayants de précision, chargés de fatigue et de pudeur, discrets jusque dans la vulgarité. […] Une syntaxe d’une raideur, d’une dignité cadavérique les enserre et leur assigne une place d’où Dieu même ne pourrait les déloger. Quelle consommation de café, de cigarettes et de dictionnaires pour écrire une phrase tant soit peu correcte dans cette langue inabordable, trop noble, et trop distinguée à mon gré ! »

Reste que Gallimard publiera, en 1949, son impeccable Précis de décomposition, qu’au fil des décennies et des livres Cioran s’affirmera comme un styliste hors pair, et que, par bien des aspects, l’œuvre de cet adepte du retrait, impitoyable contempteur du « besoin de croire qui a infesté l’esprit pour jamais », s’offrira au lecteur attentif comme une patiente et douloureuse méditation sur « le fou » qu’il avait vraiment été, jadis.

Nous sommes là bien loin de la « langue créole » ou « pas française » chantée par Mélenchon. Cioran, qui s’est tant plaint de l’indifférence des Français « au déclin de leur langue », aurait assurément reçu les propos de l’Insoumis comme une insulte

Vincent Piednoir

D’aucuns ont eu beau, depuis, crier à l’esthétisation du passé, sinon au palimpseste, il n’empêche : tandis qu’un pan de notre jeunesse rêve de déconstructions majuscules, de déboulonnage de statues et de biffures historiques massives, d’effacement de l’Occident dans la honte et l’opprobre, de régénération mondialisée de l’espèce homme à travers la vénération de la déesse Gaïa, de métamorphoses anthropologiques délirantes, de mise au pas et de remise à plat égalitariste du français, de fluidités identitaires à tous les étages, de désobéissance civile automatisée, de privatisation de la violence légitime, d’asservissement de l’intime au politique parce que de certaines « urgences» le commandent, d’une réalisation absolue du Bien dans le Temps hic et nunc, en somme – le meilleur hommage que nous puissions rendre à Cioran, loin d’un simple panégyrique, est encore de se souvenir, à ses côtés, de l’hybris dont il fut l’objet et le sujet, laquelle transforme toujours, quelle que soit l’époque, en un danger mortel pour ses semblables quiconque fait de « son idée » son « dieu », tant il est vrai que « le diable paraît bien pâle auprès de celui qui dispose d’une vérité, de sa vérité ».

Et, quitte à en être meurtris, reconnaissons avec lui que, souvent, « l’envie de devenir source d’événements agit sur chacun comme un désordre mental », qu’au fond « le progrès est l’injustice que chaque génération commet à l’égard de celle qui l’a précédée », et que « la société », hélas, est décidément « un enfer de sauveurs »« partout des larves […] prêchent »

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Une invitation à la « défascination » qui suppose d’avoir traversé bien des turpitudes liées au « fond bestial de l’enthousiasme », et qui conduira, dans son dernier livre, notre métèque devenu un « libéral intraitable » à cette pensée révélatrice de la hauteur de vue qu’il avait atteint, foulant aux pieds le moindre résidu d’idéologie : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre ». Nous sommes là bien loin de la « langue créole » ou « pas française » chantée par Mélenchon. Cioran, qui s’est tant plaint de l’indifférence des Français « au déclin de leur langue », aurait assurément reçu les propos de l’Insoumis comme une insulte, non seulement à l’égard du génie de la langue française, mais de tous ceux qui ont fait et qui font l’effort d’en pénétrer la lettre et l’esprit parce qu’ils savent, venus d’ailleurs, qu’elle est pour eux une véritable « patrie », avec ce que cela suppose de frontières, et non une coquille vide.

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