VIOLENCES SEXISTES - « Let’s hear it for the man of the year. » Ne vous fiez pas à ces paroles élogieuses, cette nouvelle trend TikTok n’est pas là pour glorifier les comportements masculins exemplaires, ni même pour encenser une personnalité hors-norme. C’est même tout le contraire.

Apparue sur TikTok fin mai, au moment où Lorde dévoilait le titre Man of The Year, extrait de son nouvel album Virgin, la tendance #manoftheyear (« l’homme de l’année », en français) compte aujourd’hui plus de 100 000 vidéos, toutes réalisées par des femmes ayant la même ambition : dénoncer les comportements toxiques, voire abusifs, qu’elles ont subi dans leur précédente relation.

Toutes les vidéos commencent d’ailleurs de la même manière. D’abord une photo d’elles où elles posent, tout sourire, au son de la chanson de Lorde. Suivi d’une vidéo, d’un extrait audio ou d’un échange de SMS avec un ancien conjoint, afin d’épingler ses tromperies à répétition ou ses mensonges.

« Il m’a mise enceinte à 20 ans. Il m’a tout promis. Il m’a quittée un mois après l’avoir appris. Il m’a bloquée, ainsi que tous mes proches, sur tous les réseaux sociaux. Il est sorti avec une nouvelle fille. Et il se fiche toujours de l’impact que cela aura sur moi et son bébé », témoigne ainsi une utilisatrice dans une vidéo publiée le 7 juin sur TikTok.

Une exposition de la violence masculine dans le couple

D’autres vidéos ont un contenu encore plus violent, où les menaces, les insultes et les cris pleuvent. Attention, certains propos (en anglais) dans les vidéos ci-dessous peuvent être choquants.

La tendance a pris une telle ampleur que Lorde elle-même l’a commentée début juin sur le réseau social, visiblement choquée par les messages partagés par des milliers de femmes.

Pour Jenny Maenpaa, assistante sociale clinicienne agréée (LCSW) et fondatrice du New York City Psychotherapy Collective, un collectif de soutien en santé mentale, ces comportements violents et abusifs n’ont pourtant rien de nouveau. « Pendant longtemps, la violence psychologique, la manipulation et le gaslighting ont prospéré en silence, analyse-t-elle auprès de la version américaine du HuffPost. Cette tendance utilise l’ironie et la satire pour mettre en lumière des comportements qui disaient souvent aux femmes de “surmonter” ou de “cesser d’exagérer”. »

Pourtant, si l’on se réfère au « Violentomètre » mis au point par le Centre Hubertine Auclert, la grande majorité des comportements masculins qu’exposent au grand jour les femmes sous le hashtag #manoftheyear doivent faire l’objet d’une vigilance accrue (« t’ignore des jours quand il est en colère », « rabaisse tes opinions et tes projets », « se moque de toi en public »), voire sont bien considérées comme des violences conjugales (« te traite de folle quand tu lui fais des reproches », « pète les plombs quand quelque chose lui déplaît »).

Une forme de sororité

Pour Suzannah Weiss, thérapeute conjugale et familiale également interrogée par Le HuffPost américain, cette tendance est très importante car elle permet aux femmes « de définir les règles de ce qui est acceptable ou non dans le comportement masculin, en particulier dans un monde où les hommes prennent traditionnellement les décisions et se permettent des comportements qu’ils ne devraient jamais avoir ».

« Ce à quoi nous assistons, c’est une validation collective, un moment où les femmes disent : “tu n’es pas folle. Ça m’est arrivé aussi”, abonde Jenny Maenpaa. Ce genre de témoignage public peut être incroyablement apaisant. »

Pourtant, malgré les preuves accablantes apportées par les femmes dans leurs vidéos, nombreux sont les hommes à s’être manifestés dans les commentaires pour se dire surpris que de tels comportements existent, voire remettre la parole des femmes en question. « Je suis de son côté », commente ainsi un homme sur une vidéo où on entend clairement un homme insulter son ex-compagne, tandis qu’un autre utilisateur de TikTok assure dans une vidéo ne « pas connaître un seul homme dans sa vie qui enverrait un message comme ça à une femme ». Avant d’ajouter : « où trouvez-vous tous ces types ? »

La créatrice de contenus Jordan Johnson a répondu à ce dernier commentaire dans une vidéo où elle rappelle qu’en effet, rares sont les hommes à agir ainsi devant témoins. « En fait, les statistiques montrent que la plupart des hommes de votre entourage ont probablement traité au moins une femme de cette façon à un moment ou à un autre. Ils ne vous disent simplement pas comment ils traitent les femmes », assure-t-elle.

Croire les femmes, une première étape nécessaire pour les hommes

Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d’une femme sur trois (35 %) dit avoir été exposée à des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire intime ou de quelqu’un d’autre au cours de sa vie.

Alors, plutôt que de remettre en doute une fois encore la parole des femmes, Jenny Maenpaa et Suzannah Weiss ont quelques conseils à donner aux hommes qui tombent sur ces vidéos.

D’abord, apprendre à écouter les histoires que ces victimes racontent, sans s’y insérer ou essayer de défendre l’auteur des violences. « Renseignez-vous sur la dynamique des genres, le consentement et le travail émotionnel sans compter sur les femmes de votre vie pour être vos professeurs », recommande Jenny Maenpaa.

Laisser aux femmes la place d’exister en dehors du regard et de la parole des hommes est aussi nécessaire, estiment les deux spécialistes. « Les hommes peuvent jouer un rôle en amplifiant les perspectives des femmes, que ce soit en créditant leurs idées, en partageant leurs histoires ou en prenant du recul pour faire de la place à leur leadership. »

Enfin, tous doivent aussi questionner leur propre comportement, ainsi que celui de leurs amis, afin d’entamer une véritable prise de conscience. « Les hommes pourraient être surpris par le nombre de leurs amis qui maltraitent les femmes en privé. Il est essentiel qu’ils prennent la parole pour les femmes », conclut Suzannah Weiss.