De Gaza, ils disent que c’est un endroit où «la perte de vies humaines n’a aucune importance». Alors, les soldats israéliens tirent. Y compris, depuis le début des opérations de la Fondation humanitaire pour Gaza, sur des civils venus chercher de l’aide alimentaire. Ces derniers se trouvent ainsi face au plus cruel des dilemmes: mourir de faim ou risquer de mourir sous les balles.
Pour la première fois, ceux qui les tuent prennent la parole. On savait que Gaza était le théâtre d’actes ignobles; leur récit en donne mieux encore la mesure. Mais là où le travail des journalistes de Haaretz Nir Hasson, Yaniv Kubovich et Bar Peleg fait la différence, c’est dans le fait qu’il met en lumière le caractère systématique, délibéré, des crimes qui sont commis par l’armée israélienne.
L'enquête de Haaretz: «Tuer des innocents est devenu normal»: des soldats israéliens révèlent la mécanique des massacres lors de la distribution d’aide aux civils de GazaLes militaires confirment aussi la vulnérabilité absolue de leurs victimes. Lors des distributions d’aide alimentaire, «il n’y a aucun danger pour nos forces. […] Il n’y a ni ennemi ni armes», dit l’un d’eux. On est bien loin de la panique de soldats menacés invoquée par certains pour justifier les tirs sur une foule affamée. Quant aux mécanismes qui devraient permettre d’éviter ces crimes ou de les punir, ils existent bel et bien dans ce pays qui se targue d’être «la seule démocratie du Proche-Orient». Mais l’enquête démontre leur défaillance.
Une lumière crue sur l’obscurité de l’impunité
Elle révèle autre chose, de fondamental: le silence. Pas un homme qui a témoigné n’a accepté que son nom soit publié. Certes, leurs actes sont passibles de poursuites. Mais surtout, parler fait d’eux des traîtres. Comme dans tout pays en guerre, surtout en Israël où l’armée inspire la confiance, où le soldat est un héros. Qui est prêt à entendre que le fils qui peut risquer sa vie est surtout un homme qui l’enlève à des innocents?
Les plus petits en danger de mort: Alors que des bébés meurent de faim à Gaza, Israël continue de restreindre l’entrée du lait infantileDes crimes commis dans une totale impunité, puisque Gaza est aujourd’hui cet «univers parallèle» dans lequel il n’y a «aucune règle», et qui n’intéresse «plus personne», disent les militaires israéliens interrogés. Et puis, pourquoi s’inquiéter quand on fait partie de l’«armée la plus morale du monde», comme l’a répété le premier ministre Benyamin Netanyahou pour dénigrer publiquement cette enquête? Quant à la Fondation humanitaire pour Gaza, elle démentait pour sa part le 2 juillet que des Palestiniens soient tués sur ses sites.
Le travail des journalistes israéliens de Haaretz jette une lumière crue sur l’obscurité de cette honteuse négation, de cette cruelle indifférence. Il contribuera peut-être un jour à ce que les survivants de ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité obtiennent justice. Et il replace les atrocités de leurs bourreaux là où elles doivent être: au cœur de notre attention.
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