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FIGAROVOX/TRIBUNE - Sur LCI et dans les colonnes du Figaro, Luc Ferry a émis des critiques à l’encontre du livre de Samuel Fitoussi, Pourquoi les intellectuels se trompent (L’Observatoire). Ce dernier lui répond.
Samuel Fitoussi est essayiste et chroniqueur au Figaro. Il vient de publier Pourquoi les intellectuels se trompent aux Éditions de l’Observatoire.
D’abord, Luc Ferry note que beaucoup d’intellectuels ne se trompent pas. Il a évidemment raison. Mais il est facile de réfuter une thèse qu’un auteur n’a jamais défendue. Dans mon livre, je n’affirme pas que les intellectuels se trompent tous, encore moins qu’ils se trompent tous tout le temps ; j’essaie d’expliquer pourquoi les intellectuels se trompent lorsqu’ils se trompent. L’histoire du XXe siècle offre en effet une énigme : comment expliquer que des esprits brillants, censés éclairer leurs contemporains, aient pu se fourvoyer aussi souvent ? Comment expliquer que Sartre, homme d’une intelligence redoutable, auteur d’une œuvre littéraire majeure, se soit trompé avec une telle constance, soutenant Mao, l’URSS, Fidel Castro, le Vietnam du Nord, les Khmers Rouges, l’assassinat d’athlètes israéliens aux JO de Munich... ? Chercher à résoudre ce mystère ne revient pas à dire que les intellectuels se trompent tous. L’accusation «d’anti-intellectualisme», formulée par Ferry, n’est pas légitime : mon essai est nourri à la pensée de grands penseurs, qui, de Orwell à Aron en passant par Boudon, Revel, Finkielkraut, Scruton, Hayek, Sowell, Pinker ou Haidt, ont su nous éclairer, nous stimuler, nous apprendre à mieux raisonner.
Luc Ferry rappelle ensuite que les intellectuels n’ont pas le monopole de l’erreur. C’est vrai. Mais : 1) L’erreur est d’autant plus surprenante lorsqu’elle émane d’un esprit brillant, érudit, disposant des outils cognitifs les plus puissants et de l’accès à la connaissance le plus large. Pour écrire La Trahison des Clercs et L’Opium des Intellectuels, Julien Benda et Raymond Aron n’avaient pas besoin d’affirmer que seuls des intellectuels s’égaraient. 2) Tout au long du XXe siècle, il a bien semblé exister une singularité de l’intelligentsia dans le rapport aux idées. En URSS, l’idéologie communiste était soutenue par les cadres et les diplômés bien davantage que par les ouvriers. Au Royaume-Uni, Orwell constatait que seuls les intellectuels avaient embrassé l’état d’esprit totalitaire, prenant goût à la censure de leurs opposants idéologiques et éprouvant une fascination pour l’autoritarisme. Aujourd’hui, ce sont les ultra-diplômés qui accueillent le plus favorablement les idées wokes et islamo-gauchistes. À de nombreux égards, c’est parfois le bon sens de l’homme ordinaire qui fait contrepoids aux emballements de l’intelligentsia. En outre, des penseurs comme Friedrich Hayek, Raymond Boudon ou Robert Nozick ont tenté d’étudier les raisons pour lesquelles certaines idées en particulier plaisent tout particulièrement aux intellectuels, considérés en tant que groupe social. Cette littérature est passionnante ; il serait dommage de la jeter à la poubelle sous prétexte que les intellectuels ne sont pas les seuls à se tromper.
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Plus loin dans son texte, Luc Ferry invite à se replacer en 1945 pour comprendre, au regard du contexte historique, pourquoi le communisme avait le vent en poupe. « Si l’on veut saisir les vrais motifs qui, dans l’après-guerre, poussaient les intellectuels vers le totalitarisme, écrit-il, il faut comprendre qu’en 1945, la démocratie libérale a perdu la bataille des idées face aux diverses variantes du marxisme, nos démocraties ayant commis […] deux fautes impardonnables : la colonisation et le fascisme. Il fallait donc en finir avec l’héritage des Lumières quitte à adhérer à un nouveau totalitarisme, mais cette fois-ci “de gauche”, donc forcément merveilleux ! ». J’émets quatre objections. Premièrement, une erreur peut avoir plusieurs causes : en identifier une ne revient pas à éliminer toutes les autres. Deuxièmement, la lecture d’Orwell ou de Koestler (parmi d’autres) révèle que la fascination de l’intelligentsia occidentale pour le communisme remonte à bien avant 1945. Troisièmement, la grille de lecture proposée par Ferry est applicable à la complaisance pour le communisme pendant quatre décennies, mais elle est inopérante vis-à-vis d’autres aveuglements intellectuels, aujourd’hui (pourquoi y a-t-il autant d’universitaires engagés pour LFI ?) ou dans le passé (pourquoi le nazisme suscitait-il un enthousiasme si fort sur le campus des meilleures universités allemandes ? Pourquoi la moitié des participants à la conférence de Wannsee détenait-elle un doctorat ?). Enfin, l’idée selon laquelle de nombreux intellectuels auraient été séduits par des idées régressives parce que celles-ci étaient perçues comme étant «de gauche, donc merveilleuses», entre en résonance avec la thèse de mon livre. J’argue en effet qu’en l’absence de critère objectif et rapide de vérification empirique d’une croyance idéologique, les intellectuels disposent du luxe de pouvoir choisir leurs idées plutôt pour leur valeur sociale que pour leur valeur de vérité. Que les idées marxistes aient été perçues (à tort) comme héritières des Lumières a évidemment participé de leur valeur sociale, et donc de la propension des intellectuels à y adhérer.
Ce n’est pas parce que l’être humain a été convaincu par des arguments qu’il adopte une opinion, mais au contraire parce qu’il a adopté ladite opinion qu’il se laisse convaincre par les arguments en sa faveur
Samuel FitoussiPlus loin, Ferry me reproche de ne pas avoir étudié les diverses composantes de la pensée 68. Il est possible qu’il fasse, par déformation professionnelle, une mauvaise lecture de mon livre en imaginant que la pensée 68 en est le sujet. Je ne livre pas une critique de telle ou telle idéologie ; je propose une mise en lumière des schémas mentaux et des dynamiques sociales intemporelles qui peuvent conduire les esprits brillants à l’erreur (puis à l’aveuglement), quelle que soit l’erreur en question. D’ailleurs, je montre dans mon livre que souvent, ce n’est pas parce que l’être humain a été convaincu par des arguments qu’il adopte une opinion, mais au contraire parce qu’il a adopté ladite opinion qu’il se laisse convaincre par les arguments en sa faveur. «Dans le finalisme intrinsèque de la pensée idéologique, écrivait Revel, la valeur du dossier provient de la thèse qu’on lui fait établir, et non pas la valeur de la thèse de la solidité du dossier.» Certains de ceux qui se sont trompés dans les années 1960 ont pu adhérer à un argument fallacieux, comme ils auraient pu adhérer au contraire de cet argument-là dans un autre contexte. Cela ne signifie pas qu’étudier les systèmes de pensée en tant que tel n’a pas d’intérêt, bien sûr. Je lirai donc l’ouvrage La Pensée 68 de Luc Ferry, dont on me dit du bien.