Matinée racontée.

Une institutrice fort courageuse, après m'avoir écouté en spectacle, me sollicita pour venir dans son école afin de raconter la Beauce, la Loire et la grande guerre. Le programme était précis, le souci de coller aux thèmes abordés durant l'année scolaire fort louable et le pari risqué. Comment diable un raconteur d'histoires pourrait sortir de sa bourriche des sujets aussi dissemblables et pour l'un d'entre-eux peu propice à l'imaginaire ?

Il se trouve malgré tout que j'avais dans le même secteur géographique répondu à une demande d'un ami pour monter un spectacle à l'occasion du centenaire de la fin de cette effroyable hécatombe. J'avais ainsi écrit des nouvelles qui pouvaient s'apparenter à des contes pour peu que le locuteur y mette tous les ingrédients à cette forme de la littérature orale. Hélas, la nature même de ces récits n'était pas de nature à réjouir une classe en fin d'année scolaire, la noirceur du propos n'étant guère de mise en cette période.

Un seul texte échappait quelque peu à la lourdeur d'un contexte fait de larmes, de sang, de peur et de destins tragiques. Il fut livré au premier groupe, une classe dont les enfants montrèrent immédiatement une grande appétence à l'activité qui leur était servie ici en guise de dérivatif à la chronologie habituelle d'une journée d'école.

Puis les autres thèmes se succédèrent en permettant de saisir ce que fut la langue vernaculaire de l'endroit tout en essayant de la décrypter. Enfin, en entrant dans l'imaginaire de la région avec sa fée Houlippe, tombée totalement dans l'oubli avec ces lutins que l'on ne croise plus les nuits de pleine Lune, les avatars du Diable toujours disposés à jouer de mauvais tours tout en contraignant les victimes potentielles à trouver astuce pour le leurrer, il y avait de quoi remplir la commande.

Deux classes de même niveau se sont donc engagées toutes les deux dans une heure trente de racontée. Pour la première, ce fut un moment partagé de bonheur, d'écoute et de participation. Les enfants entrèrent pleinement dans les récits, sans se parer de cette carapace qui sied si bien à ces jeunes qui entrent en adolescence. Applaudissement, rires, questions et réponses fusèrent pour un moment qui réjouit le vieil instituteur que je fus.

La seconde fournée se montra beaucoup plus rétive, du moins en apparence. La posture en premier lieu fut celle de gamins avachis sur le canapé familial. Il fallut à maintes reprises faire action de redressement, au sens premier du terme. Puis, si l'écoute ne fut jamais parasitée par des bavardages ou des comportements déplacés, elle se manifesta surtout par un désintérêt de façade. Ils se refusaient à entrer dans le jeu du spectacle, n'applaudissant jamais.

Paradoxalement, ils écoutaient, j'en ai eu la preuve à plusieurs reprises sans pour autant manifester quoique ce soit d'émotion ou de satisfaction. Il leur fallait tenir cette posture de l'indifférence, de l'ennui profond et de la distance irrémédiable. Comme si, à l'instar de bien des adultes, ils étaient eux aussi victimes de l'ablation de la curiosité et de l’enthousiasme.

Étrange pour eux cette situation inhabituelle où ils se trouvent confrontés à autre chose qu'un écran plat qui leur renvoie que ce qu'ils aiment par conformisme et imitation. Qu'un humain s'adresse à eux, passe encore mais qu'il sollicite le cœur et l'esprit, l'émotion et la réflexion dans un registre sans paillette, sans bruit de fond et rires enregistrés, voilà bien qui dépasse leur capacité de sujet inerte.

Ils eurent droit à une petite explication, non pas une remontrance mais bien plus à un décryptage de leur manière d'être face à ce qui est pour eux, hors du cadre habituel de leurs distractions. En cela, ils étaient la copie conforme des adultes dans les guinguettes, qui viennent consommer un peu de culture sans jamais véritablement faire l'effort d'une écoute au moins respectueuse et, soyons fous, attentive !