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À 66 ans, toujours avec son hypervitesse et sa précision cristalline comme marques d’exception, Louise Lecavalier revient, encore en solo. L’ex-égérie de La La La Human Steps, restée l’égérie de la danse contemporaine québécoise, présentera ses danses vagabondes au Festival TransAmériques (FTA). Elle s’y mesure, comme elle l’a toujours fait, à la difficulté technique, cœur de la constitution de sa danse, avec le don.
Devenue sa propre chorégraphe en 2012 avec So Blue, après avoir fait les collaborations I is memory (2006) et Is you me (2008) avec Benoît Lachambre, Louise Lecavalier a signé depuis Mille batailles (2016), librement inspiré par la figure du Chevalier inexistant d’Italo Calvino, et Stations, pour quatre états de corps, en 2020.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
La danseuse Louise Lecavalier en répétition
« Quand je crée une pièce, explique-t-elle, la direction se prend à la toute fin de la création. J’ai beaucoup de morceaux ; tout est là ; et à la fin, ça s’assemble presque tout seul, et je vois les fragments qui doivent tomber et ceux qui doivent être interprétés autrement. »
Cette fois-ci, elle a été frappée, comme elle est l’est souvent, par une lecture : Écrits vagabonds, de Carlo Rovelli. Elle emprunte le titre de ce livre qui regroupe des articles scientifiques et personnels du physicien et philosophe, qui y parle autant des papillons de Nabokov, d’Einstein, de Hawking ou d’un voyage dans le désert…
« Je me suis dit que j’allais faire une pièce qui s’appellerait danses vagabondes, et reprendre des choses que j’ai faites déjà, que j’ai aimées beaucoup, pour voir si je pouvais les retravailler librement, si je pouvais délirer » dans de nouvelles directions.
Comme un remix ? Pas vraiment, car la matière reprise comme blocs de départ, son Mille batailles, n’est plus reconnaissable. Ou si peu. Plutôt comme une recréation, une récréation.
Photo: Marie-France Coallier / Le Devoir
La danseuse Louise Lecavalier en répétition
« Quand j’ai créé l’original, j’avais mon maudit chevalier qui me guidait ; je n’étais pas libre à 100 % de traverser la pièce, j’étais comme prise, et je pense que cette pièce, que j’aime, n’a pas atteint tout son potentiel. Là, je peux en faire ce que je veux. »
Et elle en fait des versions différentes. Il y a celle des danses vagabondes, qu’on découvrira, après la première faite selon les habitudes Lecavalier en Allemagne à la fin 2024, et dont la critique du Rheinische Post a dit que c’était bien plus qu’une « performance, mais un kaléidoscope de mouvements ».
Et il y a une autre variation, où la danseuse fait bouger les avatars numériques gore et plus frappants que nature de l’artiste Lu Yang, dans Delusional World (2023), une pièce qui sera reprise prochainement… et que Louise Lecavalier entend encore changer, faire évoluer.
L’âme et la difficulté
Elle n’accepte plus qu’on la qualifie de danseuse acrobatique, elle dont les barrel jumps, ces espèces de pirouettes horizontales défiant la gravité, ont marqué l’imaginaire. « Non, non… Ce sont les hip-hopeurs, les gens du krump et ceux qui tournent sur la tête qui sont acrobatiques aujourd’hui. »
« Je fais pas ça. Et ils le font tellement bien, ça me demanderait 100 ans avant de me rendre là. Mais la difficulté est toujours dans mon travail, la difficulté technique. »
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
Pourquoi ? Ça vient de loin. « J’ai toujours pensé que je devais mériter de vivre, mériter de danser », dit-elle. Elle se rappelle, sourire aux lèvres, cette mode en danse contemporaine des années 1980. « On disait “emote” », et le terme signifiait de simplement être là et de laisser émaner ses émotions.
« C’était juste “être sur scène et avoir une âme”. Je me rappelle, je m’obstinais avec Aline Gélinas [directrice artistique de l’Agora de la danse, décédée en 2001]. Pour moi, avoir une âme, c’est obligatoire, en partant ! Ce n’est pas ça, le show ! L’âme, elle doit être là… »
« […] moi, je vais être dans cet état, cette présence à travers la difficulté. Pousser à un autre niveau. » Est-ce que cette idée de difficulté change avec l’âge, le temps ? Oui, répond la créatrice. « On est intelligents. On s’adapte. Le corps qui vieillit, il s’intègre dans mon cerveau. »
Douleur, mot à mot
À 66 ans, jamais Louise Lecavalier ne se dit : « Mon Dieu, je ne peux plus faire ce mouvement. » « Je ne pense pas comme ça. Je cherche la danse. Je mets de la musique, je travaille et je danse. Si je répète quelque chose, parfois, ça devient intéressant. »
« À un moment, ça peut devenir douloureux de répéter un mouvement. J’aime souvent passer cette étape de la douleur pour voir où ça m’amène. Souvent, ça m’amène au-dessus. Ce sont des mini-frontières dépassables. »
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
« Si je ne peux plus danser, c’est parce que j’aurai trop mal. C’est la seule raison qui m’arrêterait. Mais ça ne me tente pas non plus de faire comme [l’exceptionnel danseur de butō] Kazuo Ohno qui dansait encore à 90 ans. »
Avoir mal fait partie de sa vie ? Réponse littérale, mot pour mot : « Oui, ça fait mal. Oui, ça fait mal. Oui, oui. Oui, ça fait mal. Oui, ça fait partie. J’ai mal. Mais j’ai pas mal tout le temps. Si j’avais mal tout le temps, non, ce serait insupportable et je ne suis pas maso. Non. J’ai mal des fois, mais il y a tellement des highs qui viennent » aussi avec la danse.
« Tsé, quand j’avais 20 ans, je ne me voyais pas danser à 65 ans. Ça semblait extrêmement vieux. Même 40 ans me semblait vieux. À 20 ans, je ne me voyais pas si loin danser. »
Lire, ne pas dire
Il faut, comme journaliste, travailler fort pour faire parler Louise Lecavalier des thèmes et sujets de son spectacle. « Je n’aime jamais dire de quoi ça parle avant que les gens voient. » Insistons, tout de même.
« Je vis des vies autres que la mienne, en dansant. » Pour cette nouvelle œuvre, elle vit avec Ota Pavel, auteur tchèque souffrant de dépressions récurrentes, décédé après avoir survécu à la Deuxième Guerre mondiale ; avec la Russe Lioudmila Oulitskaïa ; et Viviane Forrester, qui parle de lorsqu’elle était « une jeune juive de 15 ans sous l’occupation nazie ».
Les livres l’inspirent donc tant ? « Depuis que je suis jeune, je sais que je veux lire », confie la maestra de la vitesse et de la physicalité sensibles. « Un monde absolu, pour moi, était un monde où je serais enfermée pour lire à temps plein… »
« Je voyais des murs de bibliothèques, jusqu’au plafond, une quantité de livres qu’on ne peut jamais finir, et moi, toute seule, en train de lire dans un petit bureau où je vais comprendre le monde, tout savoir du monde… » dit celle dont la carrière professionnelle s’est finalement faite de non-verbal.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
Elle poursuit : « Et il y a ce qui se passe maintenant, que je lis dans les nouvelles et qui m’envahit : les guerres actuelles, Gaza… Je me sens impuissante ; je suis ici en train de danser et qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Aller là-bas ? Non. Je ne peux même pas envoyer un peu d’aide, ça ne se rend pas… »
« Je suis chargée de tout ça ; des conflits de l’humanité et de la beauté de l’humanité ; chargée à bloc de deux manières. Je suis chargée de la beauté aussi, parce que je suis une artiste, et je retrouve toujours la beauté. Un sourire sur la rue. J’aime même le béton, les détails. J’aime tout. J’aime l’art. »
« Et tout ça, c’est dans le show. Je suis chanceuse que le véhicule que je me suis fait cette fois-ci, ce show, puisse porter tout ça, sans que ça soit un thème, un discours, parce que c’est à travers ma peau que ça passe. »
Ces mots, elle les dit avec sa présence de « civile », et c’est le sourire et l’immense gentillesse de Louise Lecavalier qui frappent ; sa chaleur humaine, et ce qui semble un optimisme inébranlable, une joie, même ; dans ce corps qui, hors scène, est petit, frêle ; alors que qui l’a vu danser ne se souvient — immense contraste ! — que d’une énergie surhumaine, une force vive, une résistance et une vitesse qui dépassent les âges, et d’une aura de gravité que ces qualités physiques insufflent à sa persona de scène.
« Je suis aussi hypercérébrale. En dansant comme ça, poursuit Louise Lecavalier, je me mets dans un état de porosité pour capter le monde. Si c’était seulement de la porosité, je deviendrais schizophrénique. J’ai la chance de ne pas disjoncter. »
« Les livres enlèvent le côté dangereux de cette grande porosité. Peut-être que le corps me permet d’aller dans la danse profondément. C’est un lavage aussi ; ça me nettoie à chaque fois. Ça me ramène à une case départ, prête à recommencer. Je n’arrive pas à bien l’expliquer… » croit-elle.