Lorsque le ministre allemand fédéral de l’Intérieur, Alexander Dobrindt (CSU), a présenté le rapport 2024 sur la protection de la Constitution (VSB), il a pointé du doigt, parmi les principales menaces, non seulement la montée des extrémismes de droite et de gauche, mais aussi celle de l’islamisme radical et de l’antisémitisme.
Il a également souligné une augmentation des activités d’espionnage, de sabotage, d’ingérence et des campagnes de désinformation menées par des acteurs étrangers. Selon le rapport annuel, celles-ci constituent « une menace sérieuse pour la sécurité de l’Allemagne ». Quels sont les pays qui jouent un rôle particulier à cet égard ?
« La Fédération de Russie, la République populaire de Chine, la République islamique d’Iran et la République de Turquie restent les principaux acteurs de l’espionnage, des cyberattaques des services de renseignement, des activités d’influence illicites et des efforts de prolifération dirigés contre l’Allemagne, avec des priorités différentes », peut-on lire à la page 302 du rapport VSB.
Dans ce contexte, la prolifération désigne, selon la définition du Service fédéral de renseignement (BND), « la diffusion indésirable d’armements et d’armes de destruction massive ».
Russie : accent mis sur l’espionnage, le sabotage et la désinformation
Depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, les services de protection de la Constitution se concentrent de plus en plus sur les activités d’espionnage et de sabotage de la Russie, qui s’étendent « avec une intensité variable aux domaines cibles de la politique et de l’administration, de l’économie, y compris les infrastructures critiques […], des sciences et des technologies ainsi que de l’armée », selon le VSB. L’économie, la politique et la société pourraient être touchées de la même manière, a déclaré Sinan Selen, vice-président de l’Office fédéral de protection de la constitution (BfV, service de renseignement sur le territoire national portant sur les activités contraires à la Constitution, ndlr), le 10 juin 2025 à Berlin.
Le rapport VSB donne en exemple de cette menace le groupe d’ « hacktivistes » (pirates informatiques activistes, ndlr) pro-russe appelé NoName057. En décembre 2024, celui-ci aurait lancé des attaques contre des sites web allemands avec le soutien de groupes appartenant à une alliance dite « Holy League » (« Ligue Sainte »), dans laquelle des groupes propalestiniens seraient également actifs. Des autorités fédérales et régionales auraient également été visées. Le BfV les qualifie de « groupes APT » qui mèneraient des cyberopérations. L’acronyme APT signifie « Advanced Persistent Threats », en français « menaces avancées persistantes ».
Selon le rapport, des médias prorusses tels que la chaîne publique RT (Russia Today), qui a été interdite dans l’UE en 2022, ont également diffusé de la désinformation et de la propagande avec des reportages à caractère anti-israélien. Lors de la conférence de presse à l’occasion de la présentation du VSB 2024, Sinan Selen parlait d’« écosystèmes de désinformation » et d’« opérations de discrédit ».

Dans l’ensemble, l’objectif des représentants des intérêts russes est « d’attiser les effets polarisants dans les démocraties occidentales par le biais de différentes formes d’influence », selon la page 60 du VSB.
D’après le ministre fédéral de l’Intérieur, Alexander Dobrindt, les instigateurs s’appuient souvent sur les services d’« agents de bas niveau », c’est-à-dire des individus non formés, généralement recrutés sur les réseaux sociaux. Trois Allemands d’origine russe comparaissent actuellement devant la Cour d’appel de Munich. Ils sont accusés d’avoir planifié des actes de sabotage pour le compte de la Russie, notamment des incendies criminels et des actes de sabotage contre des voies ferrées.
La Russie tente également « dans le cadre de relations apparemment anodines » d’accéder à des informations détenues par des responsables actifs ou anciens du monde économique et politique, ce qu’on appelle « l’interception de conversations ».
Chine : espionnage, cyberattaques et répression transnationale
Selon Alexander Dobrindt, le Parti communiste chinois utilise également de plus en plus d’agents de bas niveau à des fins d’espionnage en Allemagne. Selon le vice-président du BfV, Sinan Selen, ces agents cherchent à exercer une influence par le biais d’opérations cybernétiques, mais aussi à se livrer à de l’espionnage économique, pouvant parfois servir des objectifs militaires.
Sinan Selen a cité comme exemple la cyberattaque contre l’Office fédéral de cartographie et de géodésie fin 2021. Depuis fin juillet 2024, le ministère fédéral de l’Intérieur est convaincu que des intérêts étatiques chinois sont à l’origine de cette attaque.
« Pour mettre en œuvre sa politique industrielle et militaire ambitieuse, l’État chinois recourt à l’espionnage dans les domaines économique et scientifique, tente de racheter entièrement ou en partie des entreprises allemandes de haute technologie et recrute de manière ciblée des personnes possédant un savoir-faire pertinent », selon le VSB.
Sinan Selen a également mentionné la « répression transnationale », qui n’est toutefois pas pratiquée uniquement par la Chine au niveau international : les gouvernements font surveiller, menacer, persécuter leurs propres citoyens à l’étranger – ou pire encore – lorsqu’ils les considèrent comme des opposants ou des adversaires. « Des méthodes terroristes d’État telles que les attentats, les enlèvements ou les assassinats sont utilisées non seulement pour persécuter les détracteurs, mais aussi pour exercer une pression politique et diplomatique sur les États où ils résident », indique le VSB.
Iran : les compatriotes et les institutions juives particulièrement visés
Selon le VSB, la République islamique d’Iran, avec son « orientation anti-occidentale et anti-israélienne » prononcée, réprime également les groupes d’opposition en Allemagne par le biais de ses services de renseignement. C’est pourquoi « les activités d’espionnage contre des cibles [pro-]israéliennes et [pro-]juives en Allemagne » font partie du champ d’action du « ministère du Renseignement » iranien ou de la « Force Al-Qods » des Gardiens de la révolution islamique. Des enlèvements, des punitions, voire des assassinats d’opposants auraient également lieu.
Selon le VSB, les activités d’espionnage de l’Iran sur le territoire allemand visaient principalement des personnes de nationalité iranienne ou ayant la double nationalité : « Les campagnes d’attaques du groupe APT « Charming Kitten » visaient des Iraniens en exil, des opposants, des détracteurs du régime, des journalistes et des membres du mouvement des droits de l’homme, ainsi que des militantes des droits des femmes qui s’étaient exprimées publiquement de manière critique sur les violations des droits de l’homme en Iran. » Le BfV s’attend toutefois à ce que Téhéran renforce également ses efforts à l’étranger pour « acquérir savoir-faire, informations et produits à l’aide du cyberespionnage », car la République islamique souffre de pénuries économiques et technologiques en raison des sanctions. Le 28 octobre 2024, le gouvernement fédéral allemand a ordonné la fermeture des trois consulats généraux iraniens à Francfort-sur-le-Main, Munich et Hambourg après qu’un homme de nationalité allemande et iranienne a été enlevé et exécuté à l’issue d’un procès-spectacle. Depuis lors, seule l’ambassade à Berlin fait office de représentation diplomatique. Il est déconseillé de se rendre en Iran en raison du risque d’arrestations arbitraires, d’interrogatoires et de condamnations sur place.
Turquie : persécution des opposants, influence sur les partisans du gouvernement
La Turquie utilise également ses services de renseignement pour espionner en Allemagne ses propres ressortissants ou des groupes d’opposition. Selon le VSB, les partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ou du mouvement autour du prédicateur Fethullah Gülen, récemment décédé, également appelé « Hizmet », sont particulièrement visés. Souvent, non seulement les diplomates, mais aussi des membres de la communauté turque ont servi de collecteurs d’informations.
À l’inverse, des organisations germano-turques exercent également une influence politique sur les citoyens d’origine turque résidant en Allemagne. Le VSB mentionne expressément l’Union internationale des démocrates (UID) à Cologne, proche du parti turc au pouvoir, l’AKP.
Selon le « Mediendienst Integration » (service d’information sur l’intégration), la communauté turque en Allemagne, qui compte actuellement environ 2,6 millions de membres, représente le plus grand groupe d’immigrés.
Le reste du monde
Le VSB constate également que les activités de renseignement concernant les États d’Afrique du Nord et les pays du Proche et Moyen-Orient représentent globalement un enjeu important en 2024. Ceux-ci « s’efforcent d’influencer la politique, les médias et l’administration en Allemagne par des méthodes clandestines dans l’intérêt de leurs dirigeants. Les intérêts politiques nationaux ou les conflits régionaux extra-européens sont ainsi également poursuivis et menés dans notre pays », résume le VSB. Il convient notamment de garder un œil sur la Syrie, l’Égypte et le Maroc, car leurs services de renseignement ont notamment pour objectif « d’espionner les opposants en Allemagne ou de les discréditer en les qualifiant d’extrémistes ».
Selon le VSB, les services de renseignement pakistanais et indiens exercent également des pressions sur leurs compatriotes opposés au régime et font la promotion de leur propre gouvernement.
Le BfV s’attend également à ce que les États communistes du Vietnam et de Corée du Nord continuent à exercer une forte pression sur les opposants et les dissidents à l’avenir. La Corée du Nord s’efforcerait en outre, par le biais d’« opérations cyberoffensives », de découvrir des secrets diplomatiques, politiques et économiques et de se procurer des devises. Cette dernière tâche serait souvent confiée à des spécialistes camouflés issus du secteur informatique.
Augmentation de 46,6 % de l’« idéologie étrangère »
Outre les services étatiques étrangers, ce sont souvent des extrémistes privés ou des groupes d’origine non allemande qui se rendent coupables d’actes criminels ou violents anticonstitutionnels.
Pour l’année 2024, le VSB recense 4534 délits relevant du phénomène de la « criminalité à motivation politique » qui ont été attribués à une motivation extrémiste relevant d’une idéologie étrangère. Cela représente une augmentation de 46,6 % par rapport à l’année précédente.
En ce qui concerne les 607 actes de violence recensés, l’augmentation est encore plus marquée, avec 84,5 %. Ce chiffre comprend 304 cas de coups et blessures et 189 cas de rébellion. Parmi les autres infractions, 841 cas d’incitation à la haine ou à la violence et 803 cas de dommages matériels retiennent particulièrement l’attention. Elles ont chacune augmenté de plus d’un quart.

Les délits à caractère antisémite ont également fortement augmenté
Selon les données du BfV, parmi tous les délits à motivation politique « d’idéologie étrangère », 1776 avaient un fond antisémite, soit une augmentation de 70 %. Toutefois, seuls 75 cas étaient des actes de violence. Les cas d’incitation à la haine à connotation antisémite ont été beaucoup plus fréquents, avec 607 cas.
La plupart des infractions pénales et des actes de violence motivés par une idéologie étrangère ont été commis à Berlin (infractions pénales : 1605 ; actes de violence : 356) et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (1087 et 89, respectivement). En termes d’infractions pénales, le Bade-Wurtemberg (554 et 23) occupe la troisième place. Hambourg a toutefois enregistré davantage d’actes de violence, avec 41 cas.
Extrémisme religieux : à 82 % motivé par l’islamisme
Dans le domaine « criminalité à motivation politique/idéologie religieuse », le BfV a recensé 1694 infractions à motivation extrémiste dans toute l’Allemagne, dont 656 à caractère antisémite. Parmi ces infractions à caractère antisémite, 12 ont donné lieu à des violences et 191 à des dommages matériels. Un total de 185 cas concernaient des infractions de propagande et 125 des infractions d’incitation à la haine ou à la violence.
Si l’on considère uniquement les actes de violence à motivation religieuse, le VSB en a recensé 71 : outre 53 cas de coups et blessures, il y a eu 2 homicides et 3 tentatives d’homicide.
Les fonctionnaires ont retenu une motivation islamiste spécifique dans 1397 des 1694 cas. Cela correspond à une part de 82 % de l’ensemble des infractions extrémistes motivées par la religion. Selon le vice-directeur du BfV, Sinan Selen, L’État islamique (EI), acteur central du terrorisme islamiste, n’est pas seulement responsable d’opérations, mais réussit également à radicaliser en ligne, en particulier les jeunes. Aujourd’hui, un tiers des 28.280 musulmans susceptibles d’être radicalisés et ayant des idées islamistes sont considérés comme violents.
La haine d’Israël et l’antisémitisme comme « discours passeur »
Le BfV part du principe que les attentats terroristes perpétrés par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 ont immédiatement entraîné des effets de solidarité « transversaux » entre des mouvements et groupes extrémistes très différents.
Ce n’est pas la première fois que l’on constate « que l’hostilité envers Israël et l’antisémitisme constituent des récits fédérateurs ». Tous deux sont en mesure de créer « des recoupements et des liens idéologiques » même entre des opinions extrémistes qui seraient autrement incompatibles :
« Les acteurs de l’extrémisme propalestinien laïc jouent un rôle charnière entre les islamistes et les extrémistes de gauche dans les manifestations propalestiniennes », écrit le BfV à la page 49 de son rapport annuel.
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