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Obiniya Ego’onou a des yeux noirs et globuleux qu’il est difficile de soutenir quand il vous regarde avec intensité. Il y a de la souffrance dans ce regard. Ce samedi soir 25 février, Obiniya est assis, jambes croisées, clope au bec, sur un muret en béton de la place du Bi-centenaire de la révolution mexicaine à Tapachula, dans le sud du Mexique. Devant, quelque 2000 personnes sont en train de prier à l’unisson.
Sur la place, qui abrite le jour des cours de danse et les amoureux pour une étreinte, ces aventuriers se préparent à partir en direction du mur de Trump, à la frontière avec les Etats-Unis. A minuit pile, la caravane s’élance pour un périple de 3000 kilomètres. A pied. Deux mille hommes et femmes, seulement munis de poussettes et des caddies, où s’entassent côte à côté leurs affaires et leurs enfants, doudou serré contre la poitrine.
Une caravane de migrants traverse un pont en sortant de Tapachula, au sud du Mexique, le 26 janvier 2025. | Michel Cattani
Obiniya Ego’onou les regarde, sourit, jette son mégot et rentre chez lui: il ne part pas avec eux, pourquoi rester ici à regarder la caravane passer?
Il dit ne pas avoir la force aujourd’hui d’affronter la longue marche. Cela fait cinq ans qu’il est bloqué à Tapachula, dans les limbes d’un espace-temps qui s’étire chaque jour un peu plus. Sur son compte WhatsApp, pourtant, il a récemment configuré le mode «professionnel»: une adresse mail, une photo de profil soignée, un statut «Busy doing Finance»…
Tout pour faire croire qu’il a réussi quand il appelle, chaque début de mois, ce qui lui reste de famille au Nigeria.
Seul au monde
Ce qu’Obiniya ne dit pas à ce qui lui reste d’entourage, c’est qu’il est perdu, habite dans une maison abandonnée à moitié croulante, se lave au bon vouloir d’un restaurant à côté, et n’a pas d’autre activité que mendier sa pitance au jour le jour. Parti il y a dix ans du sud du Nigeria en quête du fameux American dream, il a échoué ici, en Amérique centrale, à 3000 kilomètres de ses rêves.
Obiniya Ego'onou, Nigérian sur la route depuis dix ans, pose dans la maison abandonnée où il habite à Tapachula, au sud du Mexique, le 29 janvier 2025. | Michele Cattani
Obiniya balaie de la main le sujet Trump, les frontières fermées et les mille problèmes qu’il rencontre. Malgré tout il affiche, dit et répète qu’il garde le sourire et l’espoir: «One day, bro, I’ll be in New York…» But not today.
Tapachula est la capitale des exilés du monde. Cent trois nationalités différentes de migrants y ont été recensées par les autorités en 2023. Les Ouest-Africains se sont rassemblés par communauté autour de quelques lieux: des maisons de passage souvent tenues par les cartels de narcotrafic, le petit restaurant d’une Mexicaine tombée amoureuse d’un Ghanéen en 2006, et l’hôtel d’un Nigérian ayant flairé la bonne affaire.
Pourtant, Obiniya est seul. Ils l’ont tous exclu, lui qui fume du cannabis et fait peur avec ses gros yeux. «Il a un problème mental», dit Chris, le patron de l’hôtel nigérian. «Il doit être triste», risque Mohamed Ayefoune Assongnibe, un Togolais arrivé il y a trois mois.
La maison “Ghana House” où logent temporairement plusieurs dizaines de migrants africains lors de leur étape à Tapachula, dans le sud du Mexique, le 28 janvier 2025. | Michele Cattani
Capitale des migrants
Ces voyageurs africains aux Amériques, liés par une communauté de destins, se ressemblent souvent à la mosquée de Tapachula, la seule de la ville. En guise d’édifice religieux, il s’agit d’une simple cour intérieure cachée derrière une grande porte en ferraille rouge brique, au cœur du marché populaire, là où il ne fait pas bon s’aventurer la nuit.
En dehors de trois Tchétchènes à la longue barbe, tous les autres musulmans réunis ce vendredi pour la prière de 13h sont originaires d’Afrique de l’Ouest. Il y a là Achoum, Nigérien d’Agadez, Hassan, Tchadien de N’Djamena, Mohamed le Togolais, Oumar, Ghanéen d’Accra… Tous arrivent et se font des accolades. Cela fait pour la plupart plusieurs mois qu’ils sont à Tapachula, ils sont camarades de galère.
Des fidèles musulmans provenant du monde entier se rassemblent dans la mosquée de Tapachula pour la prière du vendredi, dirigée par un imam ghanéen, le 31 janvier 2025. | Michele Cattani
Ensemble, ils essaient de comprendre un monde qui leur est inconnu. Ils se refilent les mots essentiels pour baragouiner en espagnol, se conseillent les meilleures applications de traduction anglais-espagnol ou arabe-espagnol. Surtout, ils peuvent parler de choses connues: «Pour les Mexicains, on est seulement des Africanos. Ils ne comprennent rien de chez nous», Mohamed Ayefoune Assongnibe, qui en rit autant qu’il en râle.
Ils galèrent, le répètent à longueur de journée, mais pour l’avocat Garcia Villagran, ils sont pourtant des «migrants riches». Ils ont économisé au pays, vendu une maison, une voiture ou se sont fait aider par une famille pour réunir, a minima, les 10’000 dollars nécessaires pour traverser le monde en avion. Les migrants riches et les migrants pauvres «sont les deux seules nationalités de Tapachula…», balaie-t-il.
Dans la seconde catégorie, celle des pauvres, figurent tous les ressortissants d’Amérique centrale, qui fuient la guerre, la violence des cartels, ou un régime tyrannique. Venus du Honduras, du Vénézuéla, de Colombie, du Panama, ils forment un flux de désespérés qui remonte vers le nord depuis des décennies. Jusqu’à l’investiture de Donald Trump, ils pouvaient demander l’asile politique aux Etats-Unis à distance, du Mexique, grâce à l’application CBP One (proposée par la Customs and Border Protection, le service des frontières, ndlr.). L’administration Biden en avait fait la seule voie autorisée pour les demandeurs d’asile en provenance d’Amérique latine, avec pour ambition (réussie) de réduire les passages illégaux.
L’une des premières mesures de Donald Trump de retour à la Maison-Blanche a été de couper CBP One, dès le 22 janvier 2025, c’est-à-dire le lendemain de son investiture.
Garder la tête haute
Dans la salle ouverte du restaurant ghanéen sur Avenida Central Sur de Tapachula, c’est le sujet du jour. Les migrants africains se réunissent ici tous les jours, qui préfèrent manger des plats ouest-africains que donneur leur chance aux tacos mexicains – «trois mois que je suis ici, je n’en ai pas mangé un, ça n’a pas l’air bon leur truc!», revendique l’un d’eux.
La salle du restaurant ghanéen sur Avenida Central Sur de Tapachula, le 28 janvier 2025. | Michele Cattani
Issiaka Ouedraogo, Burkinabé tout juste arrivé en ville, pose des questions à Mohamed Ayefoune Assongnibe le Togolais.
Le Burkinabè (interrogatif). Cette histoire de CPB One, de toute façon c’était seulement pour les Latinos non?
Le Togolais (sûr de lui). Non en fait, nous aussi on pouvait postuler, mais personne ne le savait… C’est bête, on aurait pu avoir l’asile et en plus on pouvait demander depuis ici, à Tapachula.
Le Burkinabè (inquiet). Et comment on va faire pour arriver aux Etats-Unis maintenant que tout est fermé?
Un Tchadien de 21 ans, fait son entrée dans le restaurant: Hassan Baye s’assied et intervient à son tour:
Moi j’ai demandé la résidence ici, c’est le plus simple. J’ai ma réponse vendredi!
Le Togolais. Oui moi aussi j’ai demandé, mais ça traine depuis des mois… Comment tu as fait pour avoir une réponse aussi vite? J’ai même payé quelqu’un pour accélérer mais rien n’y fait, ça traîne.
Le Tchadien (vautré sur sa chaise, les bras derrière la tête). J’ai attendu, ça fait quatre mois. Payer des gens, c’est bien mais ça ne te garantit rien.
Le Burkinabé (il semble perdu, son regard passe du Togolais au Tchadien). Mais ça sert à quoi d’avoir la résidence ici, je ne comprends pas?
Le Togolais (d’un ton professoral). Avec la résidence, je peux retourner au Togo voir mes enfants et revenir ensuite, et même aller aux Etats-Unis pour faire du business et revenir ici. Alors que les Etats-Unis là si je demande l’asile là-bas, tu rentres une fois mais tu ne sais pas quand tu peux ressortir! Beaucoup de gens sont en prison.
Le Burkinabé. Ca me fait peur tout ça.
Le Togolais (en dégoupillant sa canette de Pepsi). Un aventurier doit toujours être positif et patient. Tu ne peux pas courir et te gratter les fesses en même temps…
Le jeune Tchadien Hassan Baye pose pour un portrait dans la mosquée de Tapachula, dans le sud du Mexique, le 31 janvier 2025. | Michele Cattani
Personne ne rit, Hassan Baye opine du chef sans parler tandis que deux Sierra-Léonaises viennent d’entrer dans le restaurant: Djebba et Zeina. Elles s’assoient à côté du Tchadien, Djebbe tente de lui parler en anglais mais le jeune homme ne comprend pas.
La Sierra-Léonaise (grand sourire). Give me your phone!
Le Tchadien (tournant la tête vers le Burkinabé, ignorant la main tendue). Le plus important, c’est de garder la tête haute, et de ne pas dire n’importe quoi sur les réseaux.
Le cercle du racket
Après un silence, une discussion sur Google Translate s’engage entre Hassan et Djebba. La jeune Sierra-Léonaise, ancienne journaliste qui rêve de réaliser des films à Hollywood, s’emploie à draguer Hassan, lequel ne semble pas réceptif.
«J’ai un objectif, je suis adulte, je ne peux pas m’amuser comme un enfant», racontera un peu plus tard le jeune homme, qui a déboursé au total 6,5 millions de francs CFA (plus de 9000 francs suisses) pour son voyage de N’Djamena vers les Etats-Unis. Au début, ils étaient 24 Tchadiens et 24 Mauritaniens à faire la route ensemble, mais il est le seul à avoir été arrêté par la police à Mexico. Les autres ont pu continuer, lui a été renvoyé à Tapachula.
C’est une technique des autorités comme du crime organisé, peste l’avocat Garcia Villagran. Laisser les gens partir de Tapachula, les arrêter sur le chemin, les taxer puis les renvoyer ici. Ils leur prennent des centaines, parfois des milliers de dollars. C’est un cercle infini.
Pour passer la frontière; tu paies, pour venir à Tapachula, tu paies; pour aller à Mexico, tu paies… Et si tu ne paies pas, c’est le kidnapping et la rançon, résume Hassan Baye.
Conscient d’être bloqué un petit bout de temps, et surtout parce qu’il ne souhaitait pas se frotter aux cartels en tant que passager (voir épisode précédent), le jeune Tchadien a monté une petite entreprise florissante à Tapachula.
Des familles de migrants latino-américains attendent devant un point d'intervention de Médecins Sans Frontières (MSF) pour les migrants en transit dans la ville de Tapachula, le 29 janvier 2025. | Michele Cattani
En plus de sous-louer sa chambre cinq dollars la nuit à des migrants africains de passage, Hassan les met en contact avec une «agence de voyages» (sic), qui les fait transiter à travers le Mexique, en voiture ou en bateau, en direction du nord et de la frontière américaine. C’est là qu’ils transitent par des territoires contrôlés par le crime organisé, comme on appelle volontiers les gangs ici – «on peut en parler mais il faut rester généraliste sinon c’est dangereux, alors ce mot, il est parfait!», nous a dit un activiste.
Hassan prend sa commission au passage: 25 dollars par voyageur. Cette «agence» est bien sûr de mèche avec les mafias, comme lui préfère les désigner: un terme importé du Sahara, où les trafiquants de drogue sont appelés comme cela également – «mais il faut vivre, non?»
Conseil aux journalistes
Comme Mohamed, comme Obiniya, Hassane Baye n’affiche rien en ce moment sur les réseaux sociaux. Quand on leur propose de leur tirer le portrait, ils renâclent: hors de question! Mais si l’on promet que la photo ne finira pas «sur les réseaux sociaux», à savoir TikTok et Snapchat, alors c’est bon.
- De toute façon, qui lit encore les médias?, demande Mohamed Ayefoune Assongnibe.
L’avenida central sur dans la ville de Tapachula, le 29 janvier 2025. | Michele Cattani
Vous les journalistes, si je peux vous donner un conseil, c’est d’arrêter cette histoire d’écrire et de faire un compte TikTok», poursuit Mohamed, qui a décidé de ne plus alimenter ses réseaux sociaux – en attendant un retour en grande pompe, une fois ses objectifs atteints. Il en parle chaque jour et continue de scroller pour voir ce qui marche en ce moment. «Avec ce que vous voyez, vous pouvez faire beaucoup de vues et donc d’argent. Laissez-moi arriver aux Etats-Unis, et on monte ça ensemble!»
Une semaine plus tôt, Donald Trump prenait les rênes des Etats-Unis, après une campagne centrée sur la promesse de faire échec au rêve de Mohamed et ses compagnons de galère. Au moment où nous publions cet article, cette promesse-là a été tenue.