"8 millions de dollars pour rendre des souris transgenres !", dénonçait le président américain Donald Trump le 30 mai dernier devant les caméras présentes dans le bureau ovale à la Maison blanche. Il a annoncé de nouvelles coupes budgétaires pour "arrêter le gaspillage" dont il accuse les scientifiques financés par l'État américain, déjà largement touchées par des mesures drastiques depuis son retour au pouvoir en janvier dernier. Des allégations "lunaires" contre des recherches qui n'ont "rien à voir avec l'identité de genre" mais "essentielles pour des avancées sur le cancer, la fertilité ou les hormones", analyse Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université de Paris, spécialisé dans les cultures numériques. Une séquence cependant "symptomatique" de "l'acculturation scientifique au plus haut niveau de l'État américain, alimenté par la désinformation et le complotisme".

Au-delà des coupes drastiques dans les budgets des agences fédérales et des licenciements qui les accompagnent, le président américain a signé plusieurs décrets interdisant l'usage de certains mots allant à l'encontre de sa doctrine gouvernementale. Le 20 janvier, jour de son investiture, Donald Trump a ainsi signé un décret pour "défendre les femmes contre l'extrémisme de l'idéologie du genre et rétablir la vérité biologique au sein du gouvernement fédéral", accusant des "idéologues" de "nier la réalité biologiques". Un décret qui s'est traduit par une véritable "épuration sémantique" sur les sites gouvernementaux américains, analyse Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. Le bannissement de centaines de mots liés à l'inclusivité et à la diversité a même donné lieu à la suppression de pages consacrées au bombardier Enola Gay, qui a largué la bombe atomique sur Hiroshima en 1945, car il comporte le mot "gay" dans son nom.

Au cœur de cette remise en cause, on trouve également le secrétaire américain à la Santé, Robert Francis Kennedy Junior, RFK Jr, ouvertement antivax. Le 10 juin, il a annoncé le renvoi de 17 experts d'un important groupe consultatifs sur les vaccins, les accusant de conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. "Je rappelle que ces experts étaient déjà soumis à l'obligation de déclarer leurs liens d'intérêts, et que ce qu'on voit surtout, c'est que RFK Jr, met en pratique sa vision anti-vaccin en menant une offensive sans précédent contre les structures scientifiques qui sont censées mener la politique de santé publique", pointe Tristan Mendès France.

La pandémie de Covid-19 a été un tournant, créant une rupture de confiance entre une partie de la population et la science, avec une mise en lumière de nombreuses théories complotistes autour des vaccins ou de l'origine du covid. Certaines figures marginales sont placées au cœur de la chaine de décision, comme le Dr Peter McCullough, un cardiologue américain, qui a expliqué lors d'interviews en 2021 que "les vaccins contre le Covid-19 étaient conçus pour stériliser les survivants, et que le Covid-19 était une arme biologique", souligne Rudy Reichstadt. Le 21 mai dernier, ce cardiologue a bénéficié d'une tribune exceptionnelle lors d'une audition au Sénat américain où il est intervenu sur "la corruption de la science et des agences fédérales de santé".

Les discours hostiles de l'administration ont des conséquences bien réelles. Certains scientifiques, comme Anthony Fauci, architecte de la stratégie américaine contre le covid-19, sont menacés et harcelés. RFK Jr a même écrit un livre contre l'immunologue, ancien conseiller de huit présidents, y compris Donald Trump, qui lui a d'ailleurs retiré sa protection policière. Un climat de "chasse aux sorcières" décrit le directeur de Conspiracy Watch, qui mène à des "menaces, des campagnes de harcèlement, d'intimidation" et des "agressions physiques, des centres de vaccination incendiés, des médecins malmenés", ajoute Tristan Mendès France.

Les velléités de mise sous tutelle de la science ne sont pas sans rappeler l'affaire Lyssenko, du nom d'un agronome russe qui développa une théorie pseudo-scientifique sur le rendement du blé, en affirmant que l'environnement modifiait ses caractéristiques génétiques. Une affirmation qui allait à l'encontre de toutes les connaissances scientifiques de l'époque et qui a charmé Staline. Elle a été imposée pendant plus de 30 ans, paralysant la recherche scientifique et entrainant un climat de défiance.

Mais si les tentatives de mise sous tutelle de la science par le politique existent depuis toujours, le coup de projecteur sans précédent et la tentative de légitimation de théories complotistes par certains membres l'administration de Donald Trump ont des conséquences désastreuses. "On a la partie visible de l'iceberg, avec les déclarations choc de figures complotistes comme Donald Trump ou RFK Jr, qui excitent la sphère anti-science. De l'autre, on a la partie beaucoup moins visible, avec toutes les victimes, c'est-à-dire des gens qui y croient et se soignent mal, ou qui subissent des politiques sanitaires délétères. Et on le voit concrètement avec la rougeole qui refait surface aux États-Unis à cause d'un ministre de la santé anti-vaccins", alerte Tristan Mendès France.

"Aux Etats-Unis, le complotisme contre la science", c'est le 91e épisode de Complorama avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris-Cité, spécialiste des cultures numériques et membre de l'observatoire du conspirationnisme. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.