"Celui qui paie l’orchestre choisit la musique."

Plus que tout autre enjeu, la négociation du pouvoir et de la richesse entre une minorité de possédants et une majorité de gouvernés a marqué les derniers millénaires de l’humanité. Quand, dans cette lutte de classe, l’équilibre de la répartition des ressources est rompu, les empires tombent et se succèdent. Bien imparfaitement, nous savons notre époque ne fait pas exception à la règle.

Nous sommes aujourd’hui plus de 7 milliards d’humain sur terre. La moitié – ceux qui vivent avec moins de deux dollars par jour – ne voyagera jamais, pour la plupart, au-delà de leur village ou de leur patelin natal. Toutefois, pour une infime minorité située tout en haut de l’échelle sociale, les frontières nationales ont disparu et pour eux, le monde est véritablement devenu une seule et unique communauté cosmopolite. Parmi eux, se trouvent les membres d’une "super élite" mondiale. Plus que quiconque, ce groupe, parfois identifié comme la classe du "1 pourcent", définit et façonne la mondialisation tel que nous la connaissons autant qu’il est façonné par elle.

Nous peinons à définir les contours de ce groupe et à le mettre en mots, mais nous savons qu’il existe et qu’il en mène large. Pour comprendre la direction que prend notre monde et la vitesse vertigineuse à laquelle il s’y dirige, il est impératif de se pencher sur la nature de ce qui relie ces cercles d’ultra riches et puissants, telle une sorte de nébuleuse mouvante composée de membres qui n’ont que bien peu à voir avec le commun des mortels et beaucoup plus entre eux, qu’ils soient des Amériques, d’Europe, du Moyen-Orient ou d’Asie.

Un groupe aussi riche et puissant qu’exclusif et cohésif

Non seulement le pouvoir est-il concentré entre les mains d’une poignée de personnes, mais cette poignée se concentre elle-même en quelques endroits sur la planète, au sein de ghettos reclus des plus exclusifs. En les étudiant, on se rend compte que ces gens sont très différents du reste de l’humanité qu’ils dominent. Liés par des relations et des connivences qui transcendent les frontières et les marchés, partageant d’importantes communautés d’intérêts, une culture et une langue communes, ces réseaux ne constituent pas une géographie visible sur aucune carte. Pourtant, au quotidien, ils façonnent ou affectent la vie de tous les êtres humains de la planète.

Grosso modo, ce groupe représente une personne sur un million. Nous pouvons les nommer au sein de tous les champs d’activités humaines. Certains sont faciles à identifier : les chefs gouvernementaux issus de pays jouant un rôle actif sur le plan international, des généraux militaires issus de ces quelques douzaines d’État dotés d’une capacité d’imposer leur volonté au-delà de leurs frontières, les premiers dirigeants des banques centrales – dont la propriété est généralement de nature privée – des plus importantes économies du globe et certains meneurs des organisations supranationales supervisant ou encadrant l’évolution des divers domaines d’activités humaines et des marchés (Organisation des Nations unies, Organisation mondiale de la santé, Organisation mondiale du commerce, Banque des règlements internationaux, Fonds monétaire international, Banque mondiale, etc.).

Ajoutons la majorité des quelques milliers de milliardaires à l’échelle du globe et les chefs de file des plus riches et puissantes familles dynastiques et monarchiques occidentales, issues de l’époque industrielle remontant au 19e siècle et au-delà, notamment les descendants des "Robber Barons" américains et des grandes maisons anglaises et françaises, dont les propriétés terriennes sont plus vastes que des pays entiers. Mentionnons aussi certains membres clés des hautes directions et les actionnaires les plus actifs des plus importantes corporations de la planète, de la centaine la plus riche des institutions financières ainsi que des plus puissantes firmes mondiales d’investissement de Wall-Street, de Londres et des autres hauts centres de la finance mondiale.

Incluons une poignée de "jeunes prodiges" de Silicon Valley issus de l’univers du "Big Tech", les leaders des plus influentes ONG à l’échelle du globe, les mécènes à la tête des fondations "philanthropiques" les plus actives et les mieux pourvues, les scientifiques, les académiciens, les stratèges et autres penseurs extraordinairement écoutés de même que des artistes et des auteurs capables d’enflammer des millions de personnes. N’oublions pas les leaders spirituels des plus imposants groupes religieux dans le monde, certains groupes capitalistes chinois et russes ainsi que des Sheikh arabes.

Notons finalement, dans ses marges plus obscures, cette supercaste transnationale entretient des liens avec certains joueurs qui préfèrent demeurer dans l’ombre ou, mieux encore, dans l’obscurité : ces groupes d’intérêts sans visage qui dirigent les trafics illégaux d’êtres humains, d’armes, de drogues et toutes autres contrefaçons ainsi que certains leaders terroristes.

Prenons tous ces gens et nous arrivons à la constitution d’une "supercaste" d’ultra riches et opulents constituée de moins de 10 000 individus. Y a-t-il des cercles plus restreints d’une ultra-élite au sein de ce groupe? C'est fort possible, mais ce noyau constitue pour l’heure une solide base pour tenter de cerner les contours de cet obscur nuage d’acteurs internationaux les plus influents au sein des structures et des rouages du pouvoir mondial.

Le trait commun reliant toutes ces personnes est évidemment la détention de pouvoir et de richesse : un pouvoir sans frontières qui touche des millions ou des milliards de personnes sur une base continuelle. Ils donnent le ton aux orientations préconisées de l’évolution du commerce mondial, ils emploient des populations entières, ils font bouger ou même trembler les marchés, ils lancent des invasions, enflamment les passions ou altèrent les croyances les plus fondamentales. Vous les reconnaissez quand vous les voyez, non seulement selon leur classement dans les tops 100 de certains magazines, mais parce qu’ils constituent généralement des icônes incontournables au sein de leurs champs respectifs d’activités.

Cette supercaste est soutenue par un réseau complexe de liens personnels et d’affaires entre ses membres : associations d’affaires, partenariats d’investissement et cohabitation sur les mêmes conseils d’administration. Ils participent aux mêmes tables de concertation annuelles (Council on Foreign Relations, Trilateral Commission, Bilderberg Group, Club de Madrid, etc.) et aux mêmes sommets internationaux (Forum économique mondial, les rencontres G50, les rencontres annuelles du FMI et de la Banque mondiale, la Conférence de Munich sur la sécurité, le Forum BOAO pour l’Asie, sommets sur le climat, etc.).

Chaque année, ils se joignent aux mêmes conférences corporatives internationales (la conférence Allen & Compagny de Sun Valley, la rencontre Fortune Brainstorm d’Aspen, etc.) et aux mêmes rendez-vous d’affaires annuels (Chambres de commerce régionales, associations nationales sectorielles, etc.). Les grands empires corporatifs constituent également d’importants vortex de réseautage, alors que dans l’avancement de leurs desseins, leurs dirigeants s’assurent d’une collaboration et d’une étroite coordination en continue avec l’ensemble de leurs fournisseurs, clients et autres parties prenantes.

Ces gens se parlent et se connaissent, souvent intimement. Ils fréquentent les mêmes clubs privés (Bohemian Grove, les retraites pères & fils de Carlos Slim pour l’Amérique latine, CORE:Club, 39 Monte Carlo, The Battery, etc.), les mêmes clubs de golf exclusifs et les mêmes destinations de plaisance réservées aux ultra-nantis. Certains parleront de franc-maçonnerie. Ils partagent souvent des liens familiaux et de vieilles relations remontant à la petite école ou à l’université, notamment au sein de fraternités. Disposant d’une opulence sans mesure, ils habitent généralement les même quartiers exclusifs, murés et gardés et passent par les mêmes terminaux d’aviation à bord de leurs jets privés. Ils se rencontrent régulièrement pour affaires ou amitié. Ils s’abreuvent des mêmes sources d’information, mangent dans les mêmes restaurants et séjournent dans les mêmes hôtels ou autres destinations huppées.

Au sein de cette supercaste, des petits cercles se perpétuent via des liens d’alliances familiales. Contrairement à la progéniture des masses populaires, leurs enfants ne sont pas envoyés, comme des pantins, se faire tuer sur des champs de bataille à l’autre bout du monde pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la sécurité nationale de leur pays ou l’établissement de la paix dans le monde. Plutôt, leurs héritiers héréditaires sont élevés et éduqués dans les meilleures écoles et les plus prestigieuses universités qui, par le cursus offert, en feront les gouvernants de demain, afin de poursuivre l’œuvre de leurs aïeux.

Complètement coupés de tout lien avec la populace, la grande majorité de ces gens sont, toute leur vie, servis et assistés au quotidien par des domestiques, des chauffeurs et des cuisiniers privés, des jardiniers, des concierges, des secrétaires, des assistants personnels, des gardes du corps et autres serviteurs dont le mandat est de s’occuper de leurs moindres caprices. Vivant au sein de bulles hermétiques et évoluant dans des circuits parallèles fermés sans contact avec la réalité des masses, beaucoup d’entre eux perçoivent le commun des mortels comme du vulgaire bétail à administrer : remplaçable, voire jetable. Jouant une fonction pourtant parasitaire, ils oublient que leurs richesses accaparées furent produites par ces hommes et ces femmes du peuple pour lesquels ils ont du mépris.

Sachant cela, qui a besoin d’une conspiration, n’est-ce pas?

À suivre…

Partie II : https://www.facebook.com/marco.wingender.5/posts/10105148536548417

Partie III : https://www.facebook.com/marco.wingender.5/posts/10105149402248547

Sources :

- David Rothkopf, “Superclass: The Global Power Elite and the World They are Making”, Farrar, Strauss and Giroux, New York, 2008.

- “The Pathology of the Rich - Chris Hedges on Reality Asserts Itself” – The Real News Network, 5 décembre 2013

- Le temps des bouffons 2.0 - Pierre Falardeau : https://www.youtube.com/watch?v=1XdXqjWkLgI

83Eve Marie Roy, Alexandre Guilmette et 81 autres

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