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Nathalie Heinich : "Nous sommes si nombreux à être redevables à Pierre Nora de nous avoir mis le pied à l’étrier"

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Pierre Nora est décédé ce 2 juin. Historien, membre de l'Académie française, éditeur chez Gallimard et cofondateur, avec Marcel Gauchet de la revue « Le Débat », il aura été pendant cinq décennies une personnalité importante du débat intellectuel. La sociologue Nathalie Heinich, qui a écrit dans « Le Débat » et a été publiée à plusieurs reprises par l'historien, lui rend hommage.

J’ai rencontré Pierre Nora il y a trente ans, dans son bureau chez Gallimard, où il m’avait donné rendez-vous pour faire connaissance après l’article que j’avais envoyé à la revue Le Débat sur la déclaration de Chirac au Vel' d'Hiv' et les problèmes que, à mes yeux, elle posait. L’entrevue, courte mais chaleureuse – Marcel Gauchet était présent également – me donna le sentiment que j’avais face à moi l’incarnation de l’urbanité : un mélange de bienveillance, d’intelligence et de courtoisie, sans aucune trace de familiarité excessive ni de la subtile condescendance qu’un autre, dans sa position, aurait pu s’autoriser.

Son invitation à poursuivre ce début de collaboration ne resta pas lettre morte : ce sont huit ouvrages que j’ai eu le bonheur de publier depuis vingt ans dans trois des collections qu’il dirigeait, la « Bibliothèque des sciences humaines », « Le Débat » et, tout récemment, « Témoins ».

Un grand éditeur

C’est dire qu’à mes yeux, il est devenu « mon éditeur » : celui entre les mains duquel nous, auteurs, remettons le sort de nos livres, toujours inquiets d’une réaction trop lente ou, pire, négative, et attendant fébrilement l’appel téléphonique qui, enfin, nous délivrera de l’incertitude ; en ce qui me concerne, le premier de ces appels eut lieu en 2005, pour m’annoncer qu’il acceptait de publier L’Élite artiste, dont je lui avais envoyé le manuscrit par la Poste.

L’éditeur, c’est aussi celui dont nous espérons qu’il gratifiera notre texte de toutes sortes de remarques, preuves de son intérêt, tout en souhaitant vaguement qu’elles ne nous obligeront pas à trop de remaniements – mais je n’ai pas eu à en souffrir avec Pierre Nora, qui était peu interventionniste. Et l’éditeur, c’est celui également dont nous accueillons les suggestions comme de quasi-commandes, à réaliser sans délai : comme lorsqu’il se demanda à voix haute, lors d’un pot après un séminaire, pourquoi Bourdieu avait acquis un tel prestige – et, se tournant vers moi, il m’affirma que j’étais la seule à pouvoir répondre à cette question, ayant été proche de lui tout en ayant pris mes distances (et ce fut, quelques mois plus tard, Pourquoi Bourdieu).

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Nous sommes nombreux, si nombreux, à pouvoir dire de lui « mon éditeur » : à lui être redevables de nous avoir mis le pied à l’étrier, fait confiance, et autorisé l’entrée dans cette Rolls des maisons d’édition qu’est Gallimard. Je ne retracerai pas ici l’histoire du travail qu’il y a fourni à la tête de ses collections et de la revue Le Débat, car il en a offert une description passionnante dans le second tome de ses mémoires – après le non moins passionnant récit de sa jeunesse dans le premier tome.

En le lisant, j’ai réalisé à quel point il avait été à la fois le témoin et l’acteur d’une période rêvée pour les sciences humaines et sociales, dans la France du dernier quart du vingtième siècle ; et d’une période également rêvée pour la qualité du débat politique, dans ses vingt dernières années. Et je mesure l’amertume qui a dû teinter sa fin de vie, à voir se déliter à ce point l’atmosphère politique et se dégrader à ce point le niveau intellectuel – sans même parler des horreurs qui se sont abattues sur l’Europe et le Proche-Orient, et dont j’imagine sans mal combien elles ont pu assombrir ses dernières années.

Dernière publication

Mais au moins pouvait-il s’enorgueillir, à juste titre, d’avoir fait le maximum dans ce qui dépendait de lui comme éditeur. Car éditeur, Pierre Nora l’était absolument, entièrement, passionnément : il était fier de son écurie d’auteurs comme une mère de famille nombreuse – très nombreuse – peut l’être de sa progéniture. Et il y avait de quoi : « Foucault, Dumézil, Benveniste », énuméra-t-il pour évoquer les tout débuts de sa célèbre « Bibliothèque » lors de la petite fête que je donnai à l’occasion de la parution de mon premier livre sous sa houlette.

Et lorsque je lui demandai un jour s’il n’aurait pas préféré le Collège de France à l’Académie française, il me répondit aussitôt, comme si cela allait de soi : « Mais je n’ai pas une œuvre d’historien – je n’ai qu’une œuvre d’éditeur ! » Il est vrai que ce monument que sont Lieux de Mémoire, s’il est issu d’une remarquable intuition d’historien, est sans conteste un travail d’éditeur, habile à identifier à la fois les thèmes et les rédacteurs susceptibles de les traiter. Et il avait tout lieu d’en être fier.

Je me souviens de notre dernière conversation téléphonique, il y a quelques mois, à propos de l’avant-propos qu’il m’avait demandé pour Penser contre son camp : il parlait difficilement, handicapé par l’effet des médicaments – mais ce qu’il avait à me dire était d’une parfaite acuité. Et, juste avant de raccrocher : « Vous voyez, je suis malade mais je continue à faire l’éditeur, hein ! » Et son dernier courriel, il y a quelques semaines : « Je me réjouis de voir sortir Penser contre son camp le 15 mai. Et s’il était reculé, je me ferais seppuku… » Voilà donc comment il imaginait sa propre fin : un harakiri pour un retard éditorial ! Heureusement le livre est bien paru à la date prévue. Mais malheureusement son éditeur n’aura tenu que deux semaines après sa publication avant d’abdiquer face à la maladie.

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J’ai eu la chance de commencer ma carrière avec cet éditeur légendaire que fut Jérôme Lindon, et de la poursuivre avec cette autre légende de l’édition qu’aura été Pierre Nora. Ma carrière d’auteur n’est pas terminée, du moins je l’espère, mais je dois faire mon deuil du retour qu’il devait me faire sur le livre qui, si tout va bien, paraîtra dans quelques mois, orphelin de celui qui avait accepté d’en adouber le projet : le manque me restera toujours de ce qu’il a pu penser du résultat – mais a-t-il pu seulement le lire ?

Quant à la carrière d’éditeur de Pierre Nora, ce n’est qu’en apparence qu’elle s’est achevée le 2 juin : en vérité, c’est un modèle qu’il a créé et qui lui survivra, pour tous les éditeurs de sciences humaines ; et c’est une magnifique impulsion qu’il a donnée à ses auteurs, forts de la fierté d’avoir mérité sa confiance. « Je vous embrasse affectueusement » : ainsi terminait-il les messages que, trop rarement, il m’adressait. Et c’est ainsi que j’ai envie de terminer, cher Pierre, ce petit éloge de l’homme délicieux et de l’exceptionnel éditeur que, nul n’en doute, vous resterez pour la postérité.

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