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Des chefs cuisiniers québécois sont aux anges. Huit restaurants ont été sacrés par le Guide Michelin. En cuisine, cette étoile attire l’attention sur les meilleures tables. C’est une sorte de Graal, cette étoile plutôt coloniale soutenue par Bibendum, la mascotte du géant Michelin.
Comment Michelin, deuxième constructeur mondial de pneus, s’est-il retrouvé associé à la gastronomie ? Au début du XXe siècle, son industrie cherchait à croître à tout prix. Elle misa sur une stratégie : faire rouler plus. Dans son guide publicitaire, Michelin proposait non seulement la liste des garagistes mais une liste de restaurants dignes d’un détour… Vous devinez la suite : de la business.
Le lien entre la gastronomie et la pétrochimie est plus direct qu’on ne le croit. On sait désormais qu’un additif chimique appelé le 6PPD, destiné à réduire l’usure des pneus, se transforme en un sous-produit hautement toxique lorsqu’il s’effrite. Lorsque la pluie lave la chaussée, elle emporte ce composé dans les cours d’eau. Plusieurs espèces de poissons, en particulier le saumon, en meurent par milliers. C’est ce qu’ont documenté en 2023 des chercheurs de l’Université de Washington. Dès 2022, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer mettait en garde contre les effets des particules de pneus sur la vie des huîtres. Nous mangeons en quelque sorte sur une nappe de bitume, sans même nous en formaliser.
Dans le ciel de la consommation mondialisée, loin des petites étoiles Michelin, toutes les routes du monde conduisent désormais en priorité à des restaurants de fast-food. Cet été, ce sont 375 000 travailleurs que McDonald’s entend embaucher. En France, pays de la gastronomie, il se trouvait 709 McDo en l’an 2000. On en compte aujourd’hui 1560. Droit devant, l’humanité se trouve face à une armée de hamburgers au garde-à-vous.
Il y a quelques jours, à l’arrivée du président américain, Donald Trump, en Arabie saoudite, le régime a fait opportunément installer un McDonald’s mobile de deux étages devant sa cour royale. Peut-on imaginer un monde pacifié sans cette diplomatie du gras et du salé ?
Durant sa campagne électorale, Trump s’est fait remarquer à jouer l’employé du mois dans l’un de ces fast-foods. Plus d’une fois, il a été vu mangeant des burgers, au nom de cette grandeur du gras et du salé assimilée à celle de son pays. À la Maison-Blanche, il a invité des sportifs de haut niveau à se régaler d’un assortiment de cette nourriture tiède. Qui s’étonne après que le monde entier commence à ressembler au bonhomme Michelin ?
À l’occasion d’une visite surprise dans la capitale ukrainienne en 2023, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, sent le besoin de s’arrêter dans un McDo pour appuyer sa diplomatie de l’armement. Attablé devant un cabaret de plastique où se trouvent posés un emballage de frites et un chausson aux cerises, il déclare que « nos amis chez McDonald’s étaient très désireux d’être de retour en Ukraine ». Et « puisqu’ils sont de retour », a-t-il poursuivi en compagnie du ministère des affaires étrangères ukrainien, « nous nous sommes dit que la prochaine fois que je serai à Kiev, nous devrions trouver une occasion pour nous y arrêter ». Et Blinken de rappeler qu’il aime, à Washington, y prendre son petit-déjeuner. À ses côtés, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, renchérit : « Quand j’étais étudiant, c’était mon meilleur remède contre la gueule de bois d’aller au McDonald’s. » Et le même de conclure, très sérieusement : « La présence de McDonald’s est un message de confiance. »
À Moscou, la chaîne Pizza Hut ouvre ses portes en 1990, emboîtant le pas aux McDonald’s et autres. En 1997, une publicité célèbre est tournée sur la place Rouge. Les caméras captent un moment devenu emblématique : Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant russe, celui que Poutine va détester, marche avec sa petite-fille, Anastasia Virganskaya, aujourd’hui critique de mode, dans les cercles des nouveaux riches. Ils se rendent dans un restaurant de la bannière Pizza Hut.
À l’intérieur, les deux apparaissent tout à fait absorbés par le bonheur de manger. Ils semblent ignorer les discussions que suscite autour d’eux leur présence. Aux tables voisines, l’héritage de Gorbatchev est salué par les uns, décrié par les autres. Tous s’accordent cependant sur une chose : Gorbatchev mérite les honneurs de la patrie pour avoir conduit Pizza Hut jusqu’en Russie ! À en croire cette publicité, la liberté qu’exemplifie pareil commerce de malbouffe ne peut constituer qu’un gage de concorde supérieure.
L’illusion que deux pays qui comptent les mêmes fast-foods ne se font jamais la guerre, comme l’affirme sans rire en 1996, dans les pages du New York Times, l’essayiste Thomas Friedman, triple lauréat du prix Pulitzer, est un leurre sans cesse réactualisé malgré sa grossièreté.
Mikhaïl Gorbatchev se fera de nouveau voir en publicité, dix ans plus tard, au profit de Louis Vuitton, propriété du milliardaire Bernard Arnault. Cette marque de l’industrie du luxe est devenue un talisman. Ses sacs griffés sont des objets de désir, de vol, de contrefaçon. En mimant les attributs les plus tape-à-l’œil de la richesse, ils offrent à ceux qui restent à la porte du banquet des nantis la possibilité de se bercer d’illusions.
Le bonheur du monde semble désormais tenir en deux promesses : pouvoir, d’une part, manger partout les mêmes burgers bon marché et, d’autre part, s’exhiber à la ronde avec un sac griffé dans un restaurant étoilé, là où le prix des plats est inversement proportionnel au sens commun. Les étoiles Michelin comme le McDo ne sont, au fond, que les deux mâchoires de la même bête. Pendant qu’une partie du Québec s’extasie devant ses étoiles Michelin, les vrais maîtres des cuisines du monde l’avalent tout rond, exactement comme ils gobent leur Big Mac, la bouche dégoulinante d’un coulis bien gras.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.