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Le 14 juin dernier, une enseignante du collège Lucie Aubrac, à Argenteuil, a reçu une menace de mort. Deux jours après, un collègue a rédigé une lettre, qu'il accepte de publier aujourd'hui dans les colonnes de « Marianne » : il y dénonce l’abandon des professeurs, acculés dans un système à la dérive, où l’État a déserté et laissé tomber les hussards noirs de la République.
Le 14 juin dernier, une enseignante du collège Lucie Aubrac, à Argenteuil, a été la cible d’une menace de mort. Dans une lettre adressée à l’établissement, son nom était associé à ceux de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Quatre jours plus tard, les enseignants du collège ont rédigé une tribune dans Le Figaro à l’attention d’Élisabeth Borne. En guise de réponse, seule une réaction sur Twitter de la ministre de l’Éducation nationale. Deux jours après les faits, un collègue de l’enseignante a rédigé une lettre, qu’il a accepté de rendre publique dans les colonnes de Marianne.
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Ce matin en me réveillant, j'ai réussi à mettre des mots sur ce que je ressens, et sûrement ce qu'on ressent tous, et j'ai envie de vous le partager, parce que certains ressentent peut-être ce trop-plein d'on ne sait pas trop quoi, et n'arrivent pas à mettre des mots dessus. Je ressens de l'abandon. De l'abandon de tous les acteurs de l'éducation.
Avant tout, en ce moment, on pense à nous, parce qu'on nous a abandonnés. On nous a abandonnés parce qu'on nous enlève la possibilité de faire notre métier dans de bonnes conditions, on nous surcharge les classes, on nous rajoute des missions supplémentaires en normalisant la chose « parce que c'est notre métier ». On nous supprime nos avantages peu à peu en disant « ça va, comparé à l'an dernier, c'est pas grand-chose ».
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Sauf que non, une suppression dans une moindre mesure reste une suppression. À titre d’exemple, d’après l’Annuaire de l’Éducation nationale, nous sommes progressivement passés de 514 élèves en 2017 à 688 élèves à la rentrée 2024. On nous empêche de faire notre métier, et on doit sans cesse être confrontés à de nouvelles problématiques en nous disant « vous êtes forts, vous saurez gérer ». Mais non, il faut se rendre à l'évidence : nous n'avons pas toutes les armes pour faire face à tout ce qui nous incombe dans notre métier, et c'est normal parce que notre métier, ce n'est pas ça.
Si j'avais des enfants, jamais je ne les enverrai dans une école où plane le danger. Parce que la menace s'applique à nous, mais elle s'applique aussi aux enfants !
On nous abandonne et on nous maltraite. On nous maltraite parce qu'on nous fait culpabiliser. Deux jours après l'assassinat d'une collègue AED, la menace pèse sur notre collège, et on nous donne la demi-journée de droit de retrait. Super !... Mais trois jours après, on doit faire cours devant les élèves parce que oui, l'école, c'est avant tout les enfants donc maintenant, allez faire cours ! Où est la menace ? Quelle menace déjà ? Encore une fois, on nous abandonne. Et on nous fait culpabiliser parce que si on ne vient pas, on ne respecte pas la loi. Alors, on nous donne la possibilité de se mettre en arrêt maladie.
Menace de mort ? Hmmm va voir le médecin ? Ou le boulanger ? Ou le libraire ? En fait, je ne sais pas. Mais non ! C’est la police qu'on veut, ce qu'on veut, c'est être en sécurité. Si j'avais des enfants, jamais je ne les enverrai dans une école où plane le danger. Parce que la menace s'applique à nous, mais elle s'applique aussi aux enfants !
L'État a quitté le navire, il l'a laissé sombrer peu à peu
Et encore une fois, c'est de l'abandon. Certains enfants sont abandonnés. Ils sont abandonnés par leurs familles parce que lâchés devant les écrans, parce que c'est dur d'être parent, et on l'entend. Mais la difficulté n'excuse pas l'abandon. L'abandon qui passe par laisser traîner ses gosses dehors à 23h, laisser les gosses foutre le bordel à l'école, les laisser venir à l'école sans leur stylo, sans sac parfois. Un enfant ne devrait jamais se retrouver seul face à lui-même à cet âge-là, cet âge où ils se construisent en tant que citoyen, en tant que futur adulte. C'est déjà assez compliqué avec la puberté et toutes les hormones qui chamboulent tout, ne leur compliquons pas la tâche.
Et puis c'est de l'abandon de la part des services publics. Les enfants sont abandonnés, n'ont pas accès à la culture, même élémentaire. Quel enfant est déjà allé en classe verte ? Quel enfant a déjà visité une ferme pour voir que non, un cheval et une vache, ben c'est pas le même animal. Quel enfant est déjà allé au théâtre pour se rendre compte qu'en face, ce n’est pas un écran, c'est de vrais gens et qu'il ne faut pas les arroser avec un pistolet à eau, et que oui, être acteur de théâtre, c'est un métier et on peut en vivre.
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Et ce ne sont que quelques exemples. C'est cet accès à la culture qui est effacé peu à peu. Effacé par les coupes budgétaires, on se rappelle tous la coupure du Pass Culture, les voyages scolaires qui coûtent trop chers ou les « on ira à pied pour éviter de payer le bus ». Mais c'est également effacé par les familles qui n'en voient pas l'intérêt, et qui ne veulent pas forcément que leur enfant ait accès à tout ça, aux activités proposées par la mairie pour commencer. En fait, ils s'en fichent parce que ce n'est pas leur priorité. Eux, ils vivent dans un quartier où il n'y a qu'une boulangerie, même pas de magasin. Un quartier où les tirs de mortiers sont récurrents entre jeunes et policiers. Un quartier où l’on brûle le commissariat parce qu'on n’est pas content. Lorsqu'on regarde la dalle d’Argenteuil, on voit que l'État a quitté le navire, et qu'il l'a laissé sombrer peu à peu. À quand le naufrage ? Quel naufrage déjà ? C'est de l'abandon.
Jamais il ne viendrait à l'idée de lancer des ciseaux sur la boulangère, jamais il ne viendrait à l'idée de couper la parole à la caissière quand elle nous parle en lui reprochant de nous poser une question pendant notre conversation. Mais les profs ? Les AED ? On les tue. Et ça fait un gros BAM médiatique.
Et dans tout ça, on s'abandonne nous-même. Parce que notre priorité, ce sont les enfants. Alors, on crée des projets qui nous bouffent du temps, de l'énergie. On se prend des bâtons dans les roues, et on se dit « il faut le faire, c'est pour les enfants ! » Alors, on continue. Et on ne lâche rien, on est le dernier rempart de la Nation, cette nation qui se construit grâce à nous. Et puis les familles oublient notre rôle, alors ils nous font des reproches, des menaces. Et ça se transmet aux enfants, qui nous font des reproches et des menaces. Et puis c'est la Nation qui se met à nous faire des reproches et des menaces. Et puis on nous tue. Un par an, c'est horrible ! Faisons une minute de silence… C'est fini ? Alors, je disais : les Carolingiens ! Sauf que non, ce n'est pas juste horrible. Ce n'est pas normal, et ce n'est même pas justifié, même pas justifiable, même dans une moindre mesure.
Jamais il ne viendrait à l'idée de lancer des ciseaux sur la boulangère, jamais il ne viendrait à l'idée de couper la parole à la caissière quand elle nous parle en lui reprochant de nous poser une question pendant notre conversation. Mais les profs ? Les AED ? On les tue. Et ça fait un gros BAM médiatique. Mais pas un bruit constant, juste un BAM fort et court, puis plus rien. Et nous, on fait avec, parce qu'il faut être fort et que « un jour l'État s'en rendra compte. Un jour, nous serons entendus, mais aujourd'hui, on fait le job pour les enfants ». Alors, on prend sur nous. On prend sur nous pendant des années et un jour ça craque. Parfois pour « rien », un gamin qui a mal répondu le mauvais jour, une bagarre qui éclate en plein contrôle et qui finit par un coup de poing contre l'adulte qui s'interpose. Et parfois, ce n'est pas pour rien. Car une menace de mort, ce n'est pas rien.
Nous sommes abandonnés. Parce que nous sommes des chiffres et non plus des humains. Nous sommes des heures payées, les enfants sont des quotas. On ne travaille plus pour de l'humain, on travaille pour des chiffres.
Nous on a craqué jeudi dernier, mais la menace de mort n'était que le sommet de l'iceberg, la goutte d'eau qui fait déborder un vase ébréché bien trop rempli et qui débordait déjà depuis des années, sauf qu'on ne l'avait pas vu, ou du moins qu'on n’avait pas voulu voir. On craque et on nous donne une demi-journée de droit de retrait pour nous rassurer et on est incertain sur la suite. « Ne vous inquiétez pas on est là ».
Qui d'autre doit incarner l'exemple si ce n'est le professeur ?
Sauf que non, on aurait dû nous laisser plus de temps, pour nous aider à comprendre ce surplus d'émotions, parce que nous n'étions pas capables de faire notre métier en l'état actuel des choses. Comment apprendre à des gamins alors qu'on a des vagues de pleurs qui arrivent sans raison tout au long de la journée ? Mais notre métier ne se résume plus à ça maintenant dans les esprits. On fait garderie, ça se sait et ça convient. Faire garderie, c'est une chose, faire garderie là où il y a le feu c'est autre chose. Ils auraient dû nous donner le vendredi d’eux-mêmes. Et ils n'auraient pas dû nous faire culpabiliser.
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On a de la chance d'avoir une direction qui nous soutient quoi qu'il en coûte, elles douillent aussi bien fort et elles maintiennent le navire tant bien que mal. Notre principale disait jeudi soir qu'elle avait passé la journée au téléphone, à contacter le DASEN, le préfet, le CAAEE, la police et autres. Mais en plus de ça, il faut penser aux non-affectés de 3ème, au brevet qui approche, aux conseils de classe, aux inscriptions qu'il faut avoir finalisées mardi dernier délai. On a de la chance d'avoir une direction qui a su gérer cette crise, et qui nous soutient. Ce n'est pas le cas partout. Parce que nous sommes abandonnés. Parce que nous sommes des chiffres et non plus des humains. Nous sommes des heures payées, les enfants sont des quotas. On ne travaille plus pour de l'humain, on travaille pour des chiffres.
Et c'est tout ça qu'on a en nous. C'est pour tout ça qu'on craque et qu'on est à bout. Tout cet inconscient, toutes ces choses enfouies ou non qui ressortent. Alors, il faut qu'on se batte, qu'on ne lâche rien parce que si on ne montre pas l'exemple maintenant, qui le montrera ? Qui d'autre doit incarner l'exemple si ce n'est le professeur, si ce n'est l'institution qu'est l'Éducation ? Il faut qu'on se fasse entendre. Il y en a marre, et il faut que les gens s'en rendent compte. Nous voulons le bien profond de nos élèves car c’est notre vocation, l’essence même de notre métier !