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« Buvez de l’eau », « restez au frais » et « mouillez-vous le corps ». Quelle bonne idée par temps de canicule ! On n’y aurait pas pensé tout seul. Heureusement qu’il y a des gens payés pour nous le rappeler. Des fois qu’on aurait oublié qu’il faut se rafraîchir en été et se chauffer en hiver. Et pas l’inverse ! Quoi qu’il arrive, vous l’aurez noté, ces messages nous reviennent comme un pensum chaque année quelque part à la fin du mois de juin.
Comme si, à l’ère du « care » et de l’infantilisation du citoyen, il était inévitable de répéter de telles banalités. On s’attendrait au moins à ce que ces mises en garde viennent de la Santé publique, des médecins ou de votre grand-mère. Mais non. Cette semaine, en France, ce ne sont pas les autorités sanitaires qui ont lancé cet avertissement, mais les plus hauts responsables de l’État. Question de materner les électeurs, le président s’est fendu d’un micromessage enjoignant à chacun de ne pas oublier de s’hydrater. En quelques décennies, on a troqué le « sang », les « larmes » et la « sueur » de Churchill pour l’eau pétillante et les glaces à la vanille d’Emmanuel Macron.
Les plus futés auront compris qu’on a changé d’époque. Et pas qu’un peu ! En 1947, la France et une partie de l’Europe avaient connu l’une de leurs plus sévères canicules. Dès le 27 mai, un air saharien avait envahi le pays. De mémoire de Parisien, on n’avait jamais vu de criquets sur l’île de la Cité auparavant et autant d’enfants plonger dans la Seine. Comme par hasard, la même année, l’hiver avait été glacial et on patinait sur les étangs du bois de Vincennes. Et pourtant, on n’en a presque pas parlé. Pas de longs bulletins météo à la radio. Pas d’émissions spéciales pour étaler ses états d’âme. Pas d’appel de Vincent Auriol, le président d’alors, à boire de l’eau. À peine quelques entrefilets dans le journal. C’était business as usual.
L’un des témoins de cette époque, Marie José Teychonneau, racontait dans le quotidien Sud Ouest qu’il en fallait beaucoup plus pour inquiéter ses compatriotes. Deux ans après la guerre, « 40 ° à l’ombre et plus de 28 ° dans les habitations, ce n’était pas la fin du monde : ils avaient subi bien pire ». Marie José n’était alors qu’une enfant qui allait « en classe chaque jour, écrit-elle, par n’importe quel temps, accueillie par des maîtres non soumis aux caprices du temps » qui n’auraient pas supporté longtemps « les spots en boucles des autorités pour savoir comment se comporter ». La météo n’était alors rien de plus qu’un sujet de discussion au café du Commerce.
C’était avant « le ressenti » et avant que la météo ne se mêle d’explorer notre for intérieur. Du « ressenti », l’Académie française nous apprend qu’il s’agit d’un « tic de langage […] par lequel on pense créer des notions nouvelles ». Dans un monde où la subjectivité règne en maître, il n’y a pas jusqu’à l’insécurité, la pauvreté et l’identité sexuelle qui ne soient devenues question de « ressenti ». Quoi de commun pourtant entre le « ressenti » de Camus, pour qui « ce bain violent de soleil » qui brûle la peau est une noce et une ode à la beauté, et celui de Bardamu, le héros de Céline, perdu dans l’étuve de l’enfer africain ?
Loin des cris de vierges effarouchées que suscite le réchauffement climatique, l’auteur de L’étranger voyait dans la chaleur une occasion de prendre conscience de son corps et dans les subtiles manières d’en jouir « une difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir vivre ». On est loin du « plaignage » permanent dont on nous abreuve et dans lequel il est difficile de ne pas sentir une forme de mépris du Nord pour le Sud. On en oublierait presque que des hommes ont de tout temps vécu à 34 °C et qu’ils ont développé des modes de vie permettant d’apprivoiser la chaleur, pour peu qu’on accepte de considérer celle-ci comme une donnée avec laquelle il faudra toujours composer. Une réalité difficile à accepter à l’heure où il est impératif de choisir jusqu’à l’heure de sa mort.
En faisant le tour des États-Unis, j’avais été frappé de constater combien, plus d’un siècle et demi après la guerre de Sécession, la culture yankee méprisait toujours celle des confédérés, au point de lui imposer ses habitats, son urbanisme et ses mœurs, pourtant taillés sur mesure pour le Nord. Contrairement aux faubourgs d’Uzès, de Santa Fe ou de Djerba, la ville américaine, avec ses gazons ratiboisés, ses massifs de béton et ses parkings à perte de vue, ne cherche pas à composer avec la chaleur, sa lenteur et sa sensualité. Elle ne cherche qu’à la supprimer, à la détruire ou à l’ignorer. Pas question de faire la sieste, de travailler de 7 h à 14 h, ni de souper dans la fraîcheur du soir. Quels que soient le lieu et le climat, il faut des employés et des élèves frais et dispos de 9 à 5, quitte à déserter les balcons et les ruelles pour s’enfermer dans des bungalows, des voitures et des bureaux climatisés. C’est Henry Miller qui, de retour de plusieurs années d’exil, avait associé son pays à un « cauchemar climatisé ».
Par une étrange ironie, à Paris ces jours-ci, les habitants se sont réfugiés dans des églises et des maisons en pierre. Comme par magie, ce qu’on se plaisait à dénoncer comme des « passoires thermiques » était soudain devenu des « îlots de fraîcheur ». Faut-il s’ennuyer d’une époque où, par les jours de grande chaleur, les pelotons du Tour de France interrompaient leur parcours pour permettre aux cyclistes de déguster les bières que leur tendaient généreusement leurs supporteurs ? À chacun sa façon de combattre la canicule.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.