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Environ le tiers des adultes québécois sont maintenant tatoués. Cette série examine certaines caractéristiques de la massification de ce démarquage par les marquages. Au tour maintenant de l’encrage mémoriel comme rite de passage.
Des tatouages, le corps de C. n’en manque pas. La jeune Québécoise d’origine française en compte une trentaine, dont deux in memoriam.
« Le tout premier, je l’ai fait à 18 ans, à mon arrivée à Montréal, pour mes études à Concordia, raconte par écrit la musicienne, qui a demandé d’être présentée comme C., tout simplement. J’étais toute seule ici, ma famille étant restée en France, et je venais tout juste de perdre ma mamie. J’étais très proche d’elle, et c’était mon premier vrai deuil. Ça a été plus difficile à vivre à distance, d’autant plus que tout le monde autour de moi célébrait le début de l’université. »
Elle passait chaque jour devant un salon de tatouage au coin de Sherbrooke et de Côte-des-Neiges. Un jour, elle a eu « une impulsion » et est entrée « dans la shop assez biker », en tout cas loin de son style. Elle y a rencontré Magda, jeune tatoueuse qui débutait, qui l’a tatouée et qui la tatoue encore aujourd’hui, onze ans plus tard.
« J’ai fait un petit ruban noir sur la hanche, en référence au mélanome dont est décédée ma grand-mère. C’était le symbole associé à ce type de cancer. Ce geste m’a permis de marquer cette perte dans ma chair, littéralement. Et c’est comme ça que le tatouage est entré dans ma vie. »
Le deuxième tatouage mémoriel est arrivé deux ans plus tard. Un autre hommage à sa mamie sous la forme de la constellation du Scorpion, son signe astrologique. « Elle était désormais “dans les étoiles”, alors j’ai voulu garder un morceau de sa bonne étoile avec moi, explique C. Le tatouage est dans le haut de mon dos, moins sombre que le premier, plus apaisé. »
Le dessein du dessin
Les marques corporelles sont associées à des rites de passage dans de nombreuses sociétés humaines depuis des temps immémoriaux. Le dessin dans la peau rappelle l’appartenance à une lignée, évoque le lien entre l’humain et le sacré, assure une protection spirituelle. Le mot vient du tahitien « ta-atua » formé de la racine « ta » (dessin) et d’« atua » (esprit, dieu).
À Samoa par exemple, le garçon n’est pas considéré comme un adulte tant qu’il n’a pas été tatoué. Une fois marqué, il gagne le respect et voit disparaître les moqueries réservées aux inférieurs. Le pe’a (tatouage masculin) accorde le droit de se marier. Les Samoennes aussi se font encrer, mais moins.
Dans les sociétés contemporaines, des dessins avec dessein célèbrent aussi des moments existentiels importants, des luttes menées, des accomplissements personnels. Longtemps réservée à une certaine masculinité (virile, marginale), la pratique s’étend, se démocratise et s’enrichit comme d’autres arts de la transformation corporelle, le piercing, les implants, le Botox, la chirurgie, etc. La peau devient un écran de projection de soi et donc d’étapes transformatrices de la vie, y compris des épreuves surmontées.
Personne d’autre dans la famille de C. n’a de tatouage. « C’était un geste très personnel, spontané, presque instinctif, confie-t-elle. J’ai toujours été attirée par cet univers, mais je voulais que mes premiers aient du sens. Pour moi, ça en valait vraiment la peine. » Une valeur, n’est-ce pas au fin fond « ce qui vaut la peine de… ».
Naître, paraître
Le tatouage de naissance reste un des plus populaires depuis quelques années. Les parents ou les grands-parents s’y adonnent. Une des variantes propose des « fleurs de naissance », chacune des tiges formant le nom d’un enfant, toutes étant parfois rassemblées en bouquet.
Il y a des audaces étonnantes aussi. Un père albertain s’est fait tatouer sur le torse une copie de la grande tache de naissance de son fils après avoir remarqué que le jeune de huit ans insistait pour garder son t-shirt à la piscine. La reproduction rosacée a nécessité une trentaine d’heures de travail répartie sur près de deux mois.
Éric Havel, gérant de Pink Tattoo à Sherbrooke, propriété de trois tatoueuses, dont une est sa conjointe, raconte que les artistes de sa boutique ont organisé deux journées de tatouages mémoriels ces dernières années : une pour le cancer du sein, une autre pour la trisomie. « Notre plus vieux client avait 91 ans, dit-il. Il s’est fait tatouer les trois chevrons qui représentent la trisomie 21. Il était avec un membre de sa famille trisomique qui a passé la journée de tatouage avec nous. » Les chevrons pointent vers le haut en signe d’élévation et d’inclusion.
Beaucoup d’athlètes olympiques portent les cinq anneaux sur leur peau. Le patineur de vitesse Charles Hamelin a poussé le rite très loin avec une création occupant la moitié de son dos montrant le personnage du dragon Shenron du manga Dragon Ball entourant les anneaux entrelacés. Un emprunt à la culture pop japonaise on ne peut plus de la génération Y.
D’autres symboles plus ou moins anciens continuent de servir. Les victoires sont célébrées par une feuille de laurier. Les ailes stylisées ou un phœnix disent le désir de changer d’air et de style de vie. Le point-virgule signale une nouvelle étape franchie, par exemple après une thérapie réussie, choix prisé chez les alcooliques ou les narcotiques anonymes.
Rite, sens, mémoire
Le tatoueur Alf Turcotte, propriétaire de Alf Tattoo à Joliette, est tatoué intégralement. Il arbore des signes en mémoire de ses parents, un portrait de Jacques Parizeau et un autre de Pierre Falardeau réalisés après la mort des ténors indépendantistes.
Il a tatoué sur sa femme des empreintes de pas de ses deux chats décédés. La tendance du mémoriel animalier s’étend maintenant que les animaux de compagnie ont quasiment rang de membres à part entière des familles, y compris avec leurs prénoms humains.
Le pro qui exerce depuis plus de trente ans fait remarquer qu’au fond, tous les tatouages sont des rites de passage.
« Même quand les clients n’en sont pas conscients au départ, au fond, ce qu’on découvre en leur parlant c’est qu’ils le font pour donner du sens à un moment important de leur vie. Ça peut être un divorce, un changement de carrière, même une remise en forme. Un tatouage est là pour rester. Un tatouage, c’est un souvenir gravé pour toujours alors, évidemment, ça ne doit pas être fait à la légère et ça doit avoir une signification importante. »
M. Turcotte reproduit beaucoup d’écriture maintenant, la signature manuscrite d’un proche disparu par exemple, des prières et des locutions (« memento mori »), des citations de poèmes ou de chansons. Il a récemment transcrit cinq lignes de Gaston Miron sur une cliente.
Un client dont la femme est condamnée par un cancer incurable vient de se faire tatouer un crabe, symbole de cette maladie. « C’est très important d’écouter les gens qui peuvent vivre des émotions très intenses chez nous, dit Alf Turcotte. C’est pas rare de voir un gros gaillard pleurer en se faisant faire un tatouage très significatif pour lui. »
Même quand les clients n’en sont pas conscients au départ, au fond, ce qu’on découvre en leur parlant c’est qu’ils le font pour donner du sens à un moment important de leur vie.
— Alf Turcotte
C. ne regrette aucunement ses tatouages mémoriels, même s’ils ne l’ont pas « aidée » à faire son deuil. « Ils font partie de mon histoire et, aujourd’hui, avec tous les autres tatouages que j’ai, ils ne sont pas vraiment à des endroits très visibles, dit la musicienne. Mais j’aime penser que j’ai sa constellation sur moi et qu’elle continue à veiller sur moi, discrètement. »
Une autre pratique physique chargée émotivement l’a aidée à faire son deuil. En 2015, un an après la mort de sa grand-mère, C. s’est inscrite au marathon de New York. Elle avait 20 ans et elle a alors récolté plus de 8000 $ pour la recherche sur le cancer. « Je crois que franchir cette ligne d’arrivée en novembre 2016 m’a libérée d’un poids, conclut-elle. C’est à ce moment-là que j’ai pu commencer à parler de ma mamie sans être submergée. Avec douceur… »