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J’ai rencontré Pierre Elliott Trudeau une fois, en personne, dans les années 1990, lors d’un des fameux soupers-conférences de la revue Cité libre à la Maison du Egg Roll. J’étais jeune, il était vieux et il y avait du brouhaha. La rencontre, en tout cas, fut un échec.
L’homme était, pour de nombreux Canadiens et Québécois, un héros national et je n’étais qu’un quidam un peu effronté. Il venait de publier ses Mémoires politiques (Le Jour, 1993). Enhardi par la consommation de quelques bières chinoises, je me suis permis, devant lui, de critiquer certaines de ses affirmations, notamment celles concernant la crise d’Octobre. Il a fait mine, avec un air de dédain, de ne pas entendre ce que je disais et a laissé Marc Lalonde, son éternel sbire, me répliquer.
Il y a vingt ans, j’avais raconté l’anecdote dans cette chronique en qualifiant Trudeau de personnage hautain, méprisant et imbu de lui-même. À ma grande surprise, l’essayiste Pierre Vadeboncœur s’était porté à la défense de Trudeau. J’apprenais ainsi que ces adversaires politiques avaient été des amis proches au collège.
Selon Vadeboncœur, j’errais dans mon appréciation de Trudeau. Ce dernier, m’expliquait-il, était, dans sa jeunesse, « charmant, attentif, sans prétention et les gens tout naturellement l’aimaient ». Plus encore, il manquait d’assurance. C’est en allant contre sa personnalité naturelle que Trudeau, devenu un « grand leader », grâce à son talent, mais un peu malgré lui, aurait développé ce style « particulièrement pugnace » que je lui reprochais. On peut lire ce portrait de Trudeau par Vadeboncœur dans En quelques traits (Lux, 2014).
Or, je lis aujourd’hui Pierre Elliott Trudeau. Le bagarreur (L’Homme, 2025, 304 pages), du politologue Guy Bouthillier, et j’y retrouve bien plus mon Trudeau que celui de Vadeboncœur. À plusieurs reprises, Bouthillier évoque le narcissisme de l’homme. Il cite son biographe, George Radwanski, qui note que les anciens camarades de classe de Trudeau ne le trouvaient pas aimable et se souviennent de lui comme d’un étudiant « hautain et arrogant ».
Trudeau lui-même, dans une lettre à son ami Roger Rolland en 1945 — il a alors 26 ans —, qualifie son tempérament de « calculateur, précis, méthodique, jusqu’à la mesquinerie ».
Pourquoi revenir encore sur lui, vingt-cinq ans après sa mort ? Parce que l’homme, à l’évidence, continue de fasciner, parce que, avec René Lévesque, Jacques Parizeau et, dans une moindre mesure, Brian Mulroney, il fait partie des personnages politiques d’exception de notre histoire récente qui continuent d’influencer nos manières de penser notre situation nationale.
Bouthillier affirme, pour justifier son entreprise, que « plus notre collectivité en saura sur Trudeau, mieux les Québéco-Canadiens que nous sommes comprendront ce qu’est le Canada, ce pays dont Max et Monique Nemni, biographes de l’ancien premier ministre, nous disent qu’il en est le père ».
Le livre de Bouthillier, captivant du début à la fin, n’est pas une biographie traditionnelle. Il s’agit plutôt d’un portrait, en seize thèmes, principalement nourri par les archives personnelles — journal intime et correspondance privée, entre autres — de Trudeau. Le résultat est dynamique et révélateur.
Militant indépendantiste de longue date, Bouthillier, 86 ans, ne cache pas sa désapprobation du parcours de Trudeau, mais son ton reste poli. On a l’impression d’assister au règlement un peu amer d’un vieux différend entre compatriotes dont l’un aurait choisi de changer de camp par opportunisme.
« Il était l’un des nôtres et il avait tout ce qu’il fallait pour être le premier d’entre nous : l’intelligence, la volonté, la détermination, conclut tristement Bouthillier. […] Mais son hubris, la haute idée qu’il se faisait de lui-même, en décida autrement. »
Trudeau, en effet, a été un fervent indépendantiste aux accents révolutionnaires de droite radicale de 1940 à 1944. Après la guerre, conscient du discrédit qui frappe un tel type de nationalisme, il plaide, à Paris, en 1947, pour une sorte de souveraineté-association entre les deux nations canadiennes, « la française et l’anglaise », dit-il.
Sa rencontre avec l’avocat de tendance socialiste Frank Scott, membre fondateur du CCF, lui fait abandonner cette idée au profit de la vision d’un Canada centralisé, soucieux de justice sociale. Trudeau, dès lors, se met à cracher sur ce qu’il avait adoré, c’est-à-dire le peuple canadien-français, qu’il avait juré de ne jamais trahir, et les indépendantistes, qu’il s’est plu à salir et à terroriser avec virulence, comme s’ils étaient encore des révolutionnaires d’extrême droite comme lui à vingt ans.
L’amertume de Bouthillier est compréhensible. Pour assouvir son narcissisme de bretteur solitaire, Trudeau a renié sa parole et son peuple. Nous en payons encore le prix.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.