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« Banal ! Vulgaire ! Médiocre ! C’est d’un commun… »
Devenus bien malgré eux péjoratifs, ces adjectifs ont fait lentement mais sûrement un sérieux travail de sape de la grandeur commune ; vous avez remarqué ? Pourquoi confondons-nous aussi naïvement valeur et rareté ? Et pourquoi déprécions-nous ce qui fait l’ordinaire des jours ? Rarissimes sont certaines terribles maladies, et omniprésents sont l’air, la terre, l’eau, la lumière… Alors je me demande un peu d’où elle nous vient, cette posture en escarpins, avec sa moue tout en surplomb au-dessus de l’abondant, du populaire, du collectif. Toujours à contre-jour pour passer pour un astre, elle entasse dans son ombre hautaine l’innombrable et le simple. « Ôte-toi de mon soleil ! » lui dirait Diogène.
La piste étymologique a souvent l’intérêt de nous faire voir plus loin que les connotations qui s’attachent aux mots, en brouillent la source et parfois le sens. En allant voir en amont, en comprenant le trajet sémantique d’un terme, on en apprend souvent et sur lui et sur nous.
« Banal » vient de ban, le territoire du seigneur, de ses lois et sujets. Dire d’un moulin qu’il était banal ne signifiait en rien qu’il était sans intérêt : cela signifiait simplement qu’il était d’usage communal, qu’il appartenait au ban. « Médiocre », de medius puis de mediocris, ne désigne rien d’autre au départ que le milieu, la moyenne ; est-ce vraiment si mal ? « Vulgaire » nous vient de vulgus, qui désignait la foule, le commun des mortels. C’est d’ailleurs cette épithète qui m’a mis la puce à l’oreille, il y a de ça plusieurs années.
J’ai consacré ma vie à dire des chefs-d’œuvre de la poésie afin de les faire découvrir au plus grand nombre. On m’a rapidement félicité pour mon noble travail de vulgarisation. Moi qui ne connaissais pas ce mot à l’époque, j’en fus troublé. « Je rends vulgaire la poésie ! ? » La chose semblait pourtant un compliment. Et puis je trouvai ce lien avec vulgus, la foule, et commençai à prendre conscience de ce que j’appelle ici le mépris du commun. En résumé, la foule serait vulgaire, mais celui qui vulgarise s’en trouve extrait et deviendrait noble. Eh bien. On a les armoiries qu’on peut !
Elle se trouve sans doute de ce côté ma difficulté d’adhésion à l’expression « transfuge de classe ».
D’abord séduit par ceux qui mettaient en avant ce concept, je développai vite un malaise m’empêchant d’en systématiser l’usage. Utiliser les catégories d’un système, et selon sa logique, c’est se soumettre à sa vision du monde et ça demeure une façon de la reproduire.
Accorder tant de place à cette pénible hiérarchie sociale renforce ses prétentions de légitimité. Il y a objectivement des classes sociales, mais elles ne disent rien de la valeur des gens, et leur hiérarchisation se fait toujours au profit du plus favorisé économiquement, politiquement, culturellement. Utiliser la classe sociale de façon aussi existentielle, n’est-ce pas lui donner trop d’importance et faire le jeu d’une autorité basée sur l’injustice ? N’est-ce pas souligner au crayon gras des frontières odieusement superficielles ? J’ai peut-être tout faux — on me le dira —, mais la question mérite d’être posée.
Le sujet me touche de près ; j’ai souvent habité la basse-ville et m’y suis toujours plu, à Montréal comme à Québec. Centre-Sud, Hochelag, Saint-Roch, Limoilou sont des quartiers formidables où la population est particulièrement diversifiée, voire bigarrée, car ces quartiers-là ne refusent personne. À Québec, la basse-ville porte bien son nom et la haute-ville est vraiment juchée. Y en a qui s’en souviennent, d’autres qui aiment mieux pas, chantait Sylvain Lelièvre.
La crème de la société, comme ils le disent si joliment, habitait carrément sur un promontoire appelé cap Diamant. Diamant, rien de moins ! Mais ce qui semble flatteur pour les gens d’en haut, et propre à conforter un sentiment de supériorité, est au contraire la parfaite métaphore de l’inanité de cette idée. Car si vous cherchez en vain la plus précieuse des pierres dans cette falaise, vous n’y trouverez que du quartz, appelé aussi le diamant des fous. Et vlan, dans les dents, Monsieur Price ! Et moi, j’ai lu Les cahiers de Malte, de Rilke, dans un fast-food du mail Saint-Roch. Fa que… comme on dit.
Le mépris du commun — dont je n’accuse en rien les transfuges de classe ; j’ai critiqué le concept, c’est tout — a des effets dévastateurs à plus d’un titre ; cela va de l’écologique au politique. Comment s’étonner, avec semblable vision des choses, que nous ayons dévalorisé le sol (cette terre qui est une merveille) partout sous nos pieds, l’eau (tellement abondante ici qu’on a inventé l’expression « faire de l’argent comme de l’eau »), nos forêts à perte de vue (devenues matière ligneuse très délignée) et l’air aussi vital que présent partout? Parce que ces éléments se rencontrent communément, ils n’auraient rien d’extraordinaire ?
Qu’est-ce que c’est que cette équation à deux sous ?
Démocratiquement aussi, cette attitude est franchement toxique et explique pourquoi tant de supposés grands démocrates se plaignent sans cesse de ce peuple qui n’est jamais celui qu’ils voudraient… Mais, vous savez, nos ressemblances seront toujours plus nombreuses que nos différences. C’est pourquoi, in fine, le mépris du commun n’est jamais qu’une mésestime de soi-même. Et des largesses de la nature.
L’eau, l’air, la terre, les peuples, les forêts, les fleuves : oui, tout ça est d’un commun. C’en est une merveille, la plus élevée, la plus précieuse des banalités. Comme la bonté, la gentillesse et la candeur, d’ailleurs, si répandues qu’on n’en parle guère. Je nomme cette dernière en souvenir d’un vers sublime de Paul Éluard : « la goutte de candeur qui luit après les larmes ». Et qui sera sans doute une des sources de notre salut commun. S’il en est.
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