Le triomphe du mensonge…

Une contre-vérité bien de chez-nous, sortie de la bouche d'un politicien aussi véreux que tous ses compères, eut un choc cataclysmique quand elle croisa une vérité alternative émanant de la plus haute autorité d'un pays jadis ami. La première, habituée depuis si longtemps à émerger tranquillement au cours d'un démenti cinglant se trouva fort dépourvu de constater que son homologue n'avait nullement besoin de cela pour s'afficher au grand-jour.

Prise d’apoplexie devant l'outrance de cette dernière, la mise au point mensongère bien de chez nous, s'interrogea longuement sur l'opportunité de continuer de noyer ainsi le poisson quand des méthodes bien plus radicales démontraient désormais une bien plus grande efficacité. Pour elle, cependant, abandonner le registre confortable de la langue de bois relevait d'une révolution culturelle qui n'était pas sans risque parmi ses usagers formés à cette pratique systématique.

La vérité alternative de son côté s'étonna grandement du manque d'envergure de son homologue française. Elle trouvait même une forme de timidité dans l'usage du mensonge qui l'interrogeait sur la volonté de ses locuteurs d'être crus. Elle savait que plus c'est gros, plus ça passe et qu’en la matière, le mensonge doit se complaire dans des gros sabots.

Pour l'américaine, la petite française était étriquée dans des arguties ciselées certes par des experts de la langue adeptes de ce que qu'ils nomment avec pédanterie « éléments de langage » dans leurs officines spécialisées. Il était temps d’admettre que ces circonlocutions savantes étaient dorénavant bien trop subtiles pour un auditoire que l'on avait depuis assez longtemps rendu hermétique à la nuance, aux concepts élaborés, à l'art de la dialectique. Il fallait se contenter de donner de la confiture verbale à ces cochons qui gobent tout avec une goinfrerie sans pareille.

La contre-vérité fut déstabilisée devant un constat qu'elle n'osait faire. Des années de pratiques l'avaient convaincue qu'une belle phrase vous enveloppait le mensonge dans des ellipses habiles, litotes oiseuses, des périphrases incertaines et des oxymores ronflants qui flattaient le citoyen si avide de tromperies manifestes. À quoi bon se creuser le ciboulot pour ciseler des formules alambiquées quand la grosse artillerie mensongère nettoie plus aisément le terrain des doutes et des interrogations.

La vérité alternative se réjouit de faire des adeptes de ce côté-là de l'Atlantique. Il est vrai que le terreau était des plus favorables tant l'opinion avait subi un lavage de cerveau de nature à tout gober. De plus, compte tenu de la médiocrité du personnel politique local, le passage à la solution de facilité qu'elle représente, permettra un bond qualitatif dans l'art de leurrer, de gruger, de tromper le bon peuple. Tout le monde avait à y gagner à l'exception notable de la Vérité Vraie, notion en voie de disparition à l'échelle planétaire.

Se posa soudain et de manière spectaculaire, le problème épineux des promesses qui ne savent pas comment trouver leur place dans une telle communication détournée. Déjà depuis belle lurette, ces dernières n'engageaient que ceux qui y croyaient encore et peinaient même à trouver place sur des professions de foi qui avaient cessé d'être lues. Qu'allaient-elles devenir vraiment ? La question de leur survie était même en jeu d'autant plus que chacun sait qu'elles ne servent à rien. Mais par quoi seront-elles remplacées pour endormir un peu plus l'électeur qui depuis toujours est pris pour un gogo bon à hypnotiser de toutes les manières possibles.

La vérité alternative a bien sa petite idée. Dans un tel contexte, si les promesses électorales se fracassent au mur du mensonge systématique, ce sont les élections elles-mêmes qui sont totalement obsolètes puisque, quel que soit le sort des urnes, ce sont les mêmes adeptes du mensonge, de la contre vérité qui deviendra une alternative crédible à l'élimination de la démocratie. Le monde sera ainsi un tissu de mensonges dans lequel, les complotistes se trouveront pris au piège, ne trouvant plus la moindre vérité à défendre. Nous vivons une époque formidable !

Tableaux de Jean-Léon Gérôme