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Docteur en sociologie et fondateur de Conseils et études sur les mutation Sociales (CEMS), Tanguy Mousserion revient dans une tribune sur le lien entre environnement de travail et santé mentale.
Burn-out, anxiété, dépression… La santé mentale est devenue un enjeu central du monde du travail. Pourtant, le débat public reste largement enfermé dans une approche individualisante : gestion du stress, résilience personnelle, développement de « soft skills » pour mieux encaisser la pression. Et si nous faisions fausse route ? Plutôt que de « responsabiliser les individus », il est temps de se confronter aux véritables causes du mal-être au travail : l’organisation et les conditions de travail elles-mêmes.
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Notre rapport au travail s’est transformé en profondeur. Le travail n’est plus seulement un lieu de production, il est devenu un principe organisateur de nos existences. La frontière entre la sphère privée et la sphère productive, autrefois protégée par une mythologie de la séparation – « on laisse ses problèmes personnels à la maison » et « on coupe après 18 heures » – est aujourd’hui largement obsolète.
Les logiques de performance, d’optimisation, de réactivité, qui caractérisent la vie professionnelle, ont progressivement colonisé nos vies privées. Nos loisirs sont planifiés, nos relations évaluées à l’aune de leur utilité, notre sommeil conditionné par notre efficacité du lendemain. L’ennui a déserté nos vies. Ce brouillage des repères fragilise les capacités individuelles de régulation : si l’espace privé ne peut plus jouer son rôle de refuge et de réassurance, comment espérer résister à l’usure du travail ?
Les entreprises face à l'urgence d'une situation
Paradoxalement, pour continuer à exercer sa domination sur nos existences, la sphère productive doit désormais intégrer ce qu’elle a contribué à fragiliser : le soin, le sens, la soutenabilité. Les logiques productives ne peuvent plus ignorer les exigences de protection qu’elles ont elles-mêmes rendues plus criantes. Cette prise en compte devient une condition de leur propre viabilité.
Les chiffres sont implacables : selon l’OMS, 12 milliards de journées de travail sont perdues chaque année à cause de l’anxiété et de la dépression, pour un coût mondial estimé à 1 000 milliards de dollars. Aux États-Unis, les chercheurs de l’université de Berkley ont démontré que la dépression non traitée réduisait la productivité d’un salarié de 35 %, tandis que le stress est responsable d’un million d’absences par jour. En France, en 2024, l’absentéisme est reparti à la hausse, atteignant les niveaux observés en pleine crise Covid-19.
Les problèmes de santé mentale deviennent la première cause des arrêts maladie avec une progression observée de 32 % en seulement un an, soit une augmentation moyenne de 6,3 % par an depuis 2019. Teale, plateforme dédiée à la santé mentale, chiffre à 3 000 euros par collaborateur et par an pour les entreprises le coût des problèmes de santé mentale et à l’heure où les entreprises peinent à recruter, 30 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà envisagé de quitter leur emploi pour protéger leur santé mentale.
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À cette détérioration générale de la santé mentale s’ajoute un phénomène plus alarmant encore : le retour des cas de suicide en entreprise, parfois reconnus en justice. Chez Orange, une trentaine de salariés se sont suicidés en deux ans, selon les syndicats. Malgré des dispositifs de prévention internes mobilisant plus de 500 personnes, la souffrance persiste, signe que le problème est moins dans les outils que dans la structure même du travail. En mars 2025, l’entreprise Objectware a été condamnée pour homicide involontaire après le suicide d’un salarié laissé sans soutien ni formation durant une mission en période de pandémie. Le tribunal a reconnu un manquement grave aux obligations de prévention des risques psychosociaux. Ces cas ne relèvent plus de la seule alerte sanitaire, mais d’une responsabilité sociale et, de plus en plus, pénale.
Sortir du récit de la défaillance individuelle
Le stéréotype de la défaillance individuelle reste, encore aujourd’hui, profondément ancré. Pourtant, depuis plusieurs années, les études épidémiologiques convergent : la santé mentale au travail n’est pas qu’une question de vulnérabilité individuelle, elle est profondément façonnée par les structures de l’entreprise et de notre société. Déjà en 1897, les travaux d’Émile Durkheim sur le suicide avaient démontré que des phénomènes aussi intimes que le passage à l’acte sont influencés par des variables sociales que les approches psychologisantes étaient incapables d’appréhender.
Autrement dit, il révélait l’existence de facteurs suicidogènes dans nos sociétés. Développé dans les années 1970, le modèle de Karasek montre que le stress au travail résulte d’un déséquilibre entre les exigences professionnelles et l’autonomie dont disposent les salariés. Le modèle de Siegrist, formulé dans les années 1990, met quant à lui en avant le déséquilibre entre les efforts investis par un travailleur et les récompenses qu’il reçoit en retour. Ces modèles s’appuient sur des preuves scientifiques démontrant que le stress chronique, le burn-out et la démotivation sont directement liés à des facteurs organisationnels.
Cette critique des approches individualisantes a été relancée récemment par Christina Maslach et Michael P. Leiter dans The Burnout Challenge : Managing People’s Relationships with Their Jobs (2022). Ils y défendent une thèse désormais difficile à ignorer : le burn-out n’est pas une défaillance individuelle, mais un désajustement entre l’individu et un environnement de travail dysfonctionnel organisé autour de six axes clefs – surcharge de travail, manque de contrôle, insuffisance des récompenses, rupture de la communauté, absence d’équité et conflit de valeurs. Dépsychologiser la santé mentale, c’est déplacer le curseur de l’individu vers l’environnement en passant par une transformation des pratiques organisationnelles, pas par une adaptation des individus à un système pathogène.
Changer de paradigme
La santé mentale est un enjeu systémique et les entreprises ont la responsabilité de bâtir un environnement de travail soutenable. C’est pourquoi engager des réformes structurelles en ciblant la culture managériale, la gouvernance du travail et les modes d’évaluation permet de prévenir plus efficacement le burn-out que de proposer des solutions individuelles. Cela suppose une régulation effective de la charge de travail, une autonomie réelle dans les tâches, et une flexibilité organisationnelle qui ne soit pas synonyme de disponibilité permanente.
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L’État a lui aussi un rôle central à jouer, en renforçant les normes de prévention des risques psychosociaux, en assurant un contrôle plus rigoureux de leur application, et en faisant de la formation des managers à ces enjeux une obligation, non une option. Sévir contre les arrêts maladies, sanctionner l’absentéisme sans agir sur les causes structurelles revient à soigner les symptômes sans traiter la maladie. Cela implique de mesurer l’impact des actions menées sur la santé mentale des individus en combinant des indicateurs quantitatifs (taux d’absentéisme, productivité) et des analyses qualitatives, tout en s’appuyant sur des outils digitaux ou des certifications externes pour ajuster les stratégies et améliorer durablement le bien-être et la performance organisationnelle.
Les dirigeants et décideurs doivent prendre la pleine mesure de cette responsabilité. Les entreprises qui réussiront demain seront celles qui auront compris que la santé mentale n’est pas une affaire de développement personnel, mais une question d’organisation du travail. Il est temps d’agir pour des organisations de travail non seulement durable, mais aussi humainement viable.