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TRIBUNE - L’ancien premier ministre lituanien, en charge du difficile dossier de la coordination de la construction d’une défense autonome de l’Europe, était l’un des invités d’honneur des Conversations Tocqueville sur «L’heure de l’Europe entre révolution Maga et révisionnisme russe». Voici l’essentiel de son discours.
Commissaire européen à la défense et à l’espace, Andrius Kubilius a été premier ministre de Lituanie entre 2008 et 2012.
Vous m’avez suggéré de faire quelques commentaires sur « Le moment européen, entre révolution MAGA et révisionnisme russe ». En tant que commissaire à la défense, mais aussi en tant que citoyen européen et lituanien, je considère qu’il s’agit d’un sujet crucial (…)
Sur la démocratie en Amérique, je commencerai par Alexis de Tocqueville. Depuis le tout début du rétablissement de l’indépendance de la Lituanie et notre retour à la démocratie dans les années 1990, j’ai très souvent cité ses célèbres paroles tirées de son ouvrage De la démocratie en Amérique : «Dans les sociétés démocratiques, la science de l’association est la science mère. Le progrès de toutes les autres dépend du progrès de celle-ci.» L’art de l’association, selon Tocqueville, est fondamental pour le bon fonctionnement de la démocratie. Pour nous Lituaniens, il était clair qu’en Lituanie, le régime soviétique avait détruit l’art de l’association et que la nouvelle démocratie était fragile, sans fondement solide. On ne peut rétablir «cet art de l’association» par décret gouvernemental. En 2000, l’Eurobaromètre a publié des données d’enquête révélatrices. À la question «Participez-vous à une association quelconque ?», 90 % des Suédois ont répondu « oui» et 90 % des Lituaniens ont répondu «non». Depuis, les chiffres ont changé, mais pas de beaucoup ! Lorsque le mouvement MAGA a commencé à apparaître aux États-Unis, j’ai trouvé des preuves scientifiques montrant que cette montée en puissance était due au déclin de « l’art de l’association » dans la démocratie américaine actuelle. (…)
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Le célèbre politologue américain Robert Putnam, dans son ouvrage révolutionnaire «Bowling alone» (2000), s’appuyant sur de nombreuses données, et notamment le fait que de plus en plus d’Américains jouent seuls au bowling, a montré comment les Américains se sont progressivement déconnectés de leur famille, de leurs amis, de leurs voisins et des structures démocratiques. L’Amérique s’individualise. En 2012, Charles Murray, dans son livre percutant Coming Apart: The State of White America, montrait également comment la catégorie des « électeurs en colère » devient de plus en plus influente dans les élections américaines. Les électeurs à faibles revenus perdent les valeurs traditionnelles de la famille et de la communauté. Ils perdent leur croyance traditionnelle dans le « rêve américain », selon lequel leurs enfants vivront mieux qu’eux, et ils sont nombreux à devenir des électeurs de MAGA. Il s’agit là de tendances naturelles dans le développement des sociétés postindustrielles. Le mouvement MAGA n’est pas un phénomène lié à la personne du président Trump. Il s’agit de la conséquence structurelle de processus plus larges. Des phénomènes similaires se développent en Europe où les Européens s’individualisent de plus en plus et croient moins au « rêve européen ». L’appel à «Rendre sa grandeur à la France ou à la Hongrie à nouveau grande» a plus de force que l’appel à «rendre sa grandeur à l’Europe». Gardant cela à l’esprit, n’oublions pas la célèbre déclaration de Ronald Reagan : «La liberté n’est jamais à plus d’une génération de l’extinction. Il faut se battre pour elle... ».
À l’heure actuelle nous ne disposons que de 50% des capacités requises par les nouveaux objectifs de l’Otan.
Andrius KubiliusEn matière de sécurité et de défense, l’Europe est actuellement dans l’œil du cyclone. D’abord, parce que Poutine ne veut pas la paix. Deuxièmement, parce que l’agressivité de Poutine ne fera que s’accroître à l’avenir. Troisièmement, parce qu’existe la possibilité de représailles balistiques de l’Iran, alors que la défense antimissile de l’UE est quasi inexistante. Quatrième sujet : le prochain recentrage des États-Unis sur la région indo-pacifique est peut-être une nouvelle réalité même si cela ne signifie pas pour autant le retrait américain de l’Otan. Cinquièmement, notre état de préparation à la défense n’est pas suffisant. À l’heure actuelle, nous ne disposons que de 50 % des capacités requises par les nouveaux objectifs de l’OTAN.
Ursula von der Leyen a apporté une bonne réponse à la question «Que faire ?» dans sa récente déclaration à Aix-la-Chapelle. Elle énonce deux priorités stratégiques pour «l’heure de l’Europe» : une Europe indépendante et une Pax Europea. La présidente de la Commission estime que nous ne pouvons nous laisser déstabiliser par les changements radicaux auxquels nous sommes confrontés, et notamment par la lente disparition de la «Pax Americana» en Europe. Si nous voulons la paix en Europe, nous devons être prêts à être indépendants. La Pax Europea est notre responsabilité stratégique. Pas celle des États-Unis. Mais pour devenir indépendants, nous devons de toute urgence assurer notre préparation matérielle en matière de défense, conformément aux plans de défense et aux objectifs de capacité de l’Otan. La préparation matérielle implique une augmentation radicale de la production et de l’acquisition de nouvelles armes sur le continent européen. Pour cela, nous devons augmenter les ressources financières européennes. Nous faisons beaucoup dans le domaine de la préparation matérielle de la défense. La rapidité et l’ampleur des décisions sont impressionnantes (…) Mais il faut parler du remplacement des capacités américaines. Au lieu de nous plaindre du fait que les Américains vont nous trahir, nous devons immédiatement commencer à préparer le remplacement des ressources de défense américaines sur le continent européen. Sur le plan politique, la seule façon de maintenir de bonnes relations avec nos partenaires transatlantiques est de leur présenter un plan clair de «préparation de la défense européenne», puis de discuter avec eux du temps qu’il nous faudra pour le mettre en œuvre. Les experts estiment que cela nous coûtera environ 1 000 milliards d’euros au cours des 25 prochaines années.
La préparation de la défense européenne coûte cher, mais l’absence de préparation coûtera beaucoup plus cher.
Andrius KubiliusLa préparation de la défense européenne coûte cher, mais l’absence de préparation coûtera beaucoup plus cher. Nous devons également comprendre que la mise en œuvre de la stratégie de la Pax Europea exige de nous non seulement une indépendance matérielle en matière de défense, mais aussi l’indépendance de notre pensée politique…pour assumer la responsabilité de l’avenir géopolitique de l’Europe, qui se décide actuellement en Ukraine.
Je veux aborder à ce sujet l’importance existentielle de la «bataille pour l’Ukraine». (…) Nous devons changer notre approche de la paix en Ukraine. Jusqu’à présent, nous avons «attendu que la paix arrive». Nous avions l’espoir que l’Ukraine parvienne à gagner (entre 2022-2023). Puis nous avons attendu que Biden, puis Trump, convainquent miraculeusement Poutine d’accepter la paix. Nous attendons toujours ! Tous ces espoirs se sont envolés. Une telle approche ne fonctionne pas. La paix ne viendra pas si nous nous contentons d’attendre. Nous devons avoir notre propre stratégie pour «instaurer la paix» en Ukraine. Une paix juste en Ukraine ne peut être instaurée qu’en renforçant l’Ukraine.
La paix par la force
Selon les récents accords de l’Otan, nous augmenterons chaque année nos dépenses de défense jusqu’à 5 % (3,5 % pour la défense réelle) du PIB pour notre propre défense. C’est un accord positif et important. Mais aujourd’hui, nous consacrons moins de 0,1 % de notre PIB à l’aide à la défense de l’Ukraine. Il en va de même pour le soutien américain à l’Ukraine. Quelque chose qui ne va pas dans ces chiffres et dans notre logique militaire, alors que nous comprenons tous que l’avenir de l’Europe se joue sur les champs de bataille ukrainiens. Quelque chose ne va pas dans notre sagesse politique, pas seulement militaire. Je tiens à souligner que les nouveaux prêts SAFE du programme «Réarmer l’Europe», qui offrent la possibilité de soutenir l’Ukraine, peuvent constituer une avancée décisive. Allons-nous saisir cette opportunité ?
Le Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne déclare : «Un nouvel ordre international se formera au cours de la seconde moitié de cette décennie et au-delà». Nous devons comprendre qu’en cas d’agression russe contre nous, le jour J, nous serions confrontés à une armée russe puissante, aguerrie, capable d’utiliser des millions de drones meurtriers contre nous, beaucoup plus forte qu’elle ne l’était en 2022. Nous devons également reconnaître qu’aucune armée de l’Otan ne dispose d’une expérience similaire de combat. Les Américains commencent à se tourner de plus en plus vers l’Indo-Pacifique. Sommes-nous prêts à faire face à une nouvelle agression de Poutine dans de telles circonstances ? Je n’ai pas de réponse très claire. C’est pourquoi, afin de nous défendre, il est essentiel que nous «développions d’urgence une architecture européenne de sécurité», comme l’indique la lettre de mission que j’ai reçue de la présidente Von der Leyen au début de mon mandat. Notre objectif stratégique est d’unir tous les efforts visant à renforcer la défense européenne au sein d’une «véritable Union de la défense européenne». C’est là l’aspect politique et institutionnel de notre état de préparation en matière de défense. Cela nous permettrait d’apporter des ressources totalement nouvelles. Et en planifiant une nouvelle architecture européenne de sécurité, nous devons garder à l’esprit qu’à l’exception de la Russie, seule l’Ukraine dispose d’une armée aguerrie et est capable d’utiliser des millions de drones pour défendre son territoire tout en protégeant l’ensemble de l’Europe. C’est pourquoi l’architecture de l’Union européenne de la défense, avec l’Ukraine, la Grande-Bretagne et la Norvège faisant partie d’une telle Union, est le seul moyen de nous préparer à la menace permanente de l’agressivité russe et à un éventuel retrait américain. (…)
La question de l’agressivité de la Russie
Que faire de la Russie ? Jusqu’à présent, nous avons principalement confié cette tâche aux Américains : de temps à autre, ils déclaraient que la Russie était le «nouvel axe du mal» ou qu’il fallait « redémarrer » la relation. Nous suivions généralement leur exemple. Le résultat est un Poutine et une Russie de plus en plus agressifs. Les nouvelles promesses du président Trump d’établir de bonnes relations avec Poutine s’il accepte la paix s’inscrivent dans cette lignée, semant une grande confusion. Pour établir notre Pax Europea indépendante, quelle stratégie devons-nous adopter à l’égard de la Russie ? Comment se débarrasser de la menace permanente d’une Russie post-impériale, agressive et autoritaire ? Il est clair que les sanctions matérielles ne suffisent pas.
La guerre de la Russie contre l’Ukraine est une tragédie mondiale. Elle engendre un nombre incroyable de tragédies pour l’Ukraine. Mais paradoxalement, cette guerre est également une tragédie pour la nation russe. Car la Russie s’est exclue de la communauté mondiale des pays normaux et non agressifs. Sa trajectoire est le déclin et continuera dans cette direction s’il n’y a pas de volonté interne de changement radical vers le retour à la normalité. Il est clair que cela ne se produira pas avec Poutine…Michael Kimmage, désormais directeur du Kennan Institute, l’a exprimé avec force dans le New York Times : «L’Europe peut vivre sans la Russie, tout comme les États-Unis…Mais la perte de l’Occident pour la Russie est en revanche un revers douloureux qui pourrait prendre des générations à réparer. C’est le choix de M. Poutine et c’est la tragédie de la Russie.»
L’histoire de l’humanité regorge d’exemples de nations ou civilisations célèbres qui n’ont pas su inverser la tendance à leur déclin et ont disparu de l’histoire. Les racines historiques de cette tragédie sont claires : pendant la Seconde Guerre mondiale, les Russes, avec d’autres nations, ont réussi à vaincre le fascisme de l’Allemagne nazie, mais plus tard, sans véritable combat, ils ont perdu la bataille contre leur propre fascisme interne, un mélange d’impérialisme russe nostalgique et de bolchevisme autocratique. Nous devons nous rappeler que la Russie est le dernier empire du continent européen, qui n’a commencé à s’effondrer que dans les années 1990. Tous les syndromes post-impériaux connus jouent leur rôle dans la Russie d’aujourd’hui : nostalgie de la gloire du passé impérial ; envie vis-à-vis de ceux du même « camp » qui s’en sortent mieux ; possibilité pour le régime de mobiliser la loyauté du peuple en utilisant ces sentiments de nostalgie. Au XXIe siècle, sur le continent européen, tout le monde souhaite entretenir de bonnes relations avec ses voisins, y compris avec la Russie. Les pays baltes y ont tout intérêt, car chaque fois que nous avons eu de mauvaises relations avec la Russie, nous avons généralement souffert, avec des occupations, des déportations en Sibérie, le massacre de dizaines de milliers de nos «frères des forêts» dans la résistance militaire. (…) Mais les bonnes relations avec la Russie ne dépendent que d’une seule condition : la Russie est-elle capable de devenir un pays normal ? La normalité signifie avant tout : la fin de l’agression. Il faut montrer au peuple russe les deux voies clairement alternatives pour l’avenir de la Russie : le déclin, avec l’isolement mondial et l’agression impériale, soutenu par le bolchevisme autocratique de Poutine ; ou la possibilité d’une Russie normale, sans agression ni autocratie, mais avec des relations internationales rétablies, y compris avec l’Union européenne. (…) Pour cela, il est primordial que l’UE dispose d’une stratégie à long terme pour aider le peuple russe à devenir un voisin normal et non agressif de l’Union européenne… Notre soutien à la réussite de l’Ukraine est l’outil stratégique le plus important de cette stratégie à l’égard de la Russie. C’est ce que Poutine redoute le plus. Car le succès de l’Ukraine, avec son pouvoir d’inspiration sur les Russes ordinaires, peut détruire le régime de Poutine.
Nos peurs et le prix du sang ukrainien
La question est la suivante : pourquoi n’avons-nous toujours pas une telle stratégie à l’égard de la Russie, pourquoi notre stratégie pour le succès de l’Ukraine est-elle si tiède» ? Ma réponse est très simple : la majorité d’entre nous ne croient pas que la Russie puisse changer. Beaucoup craignent que le régime de Poutine ne s’effondre et que le prochain soit pire (…) Nous avons peur. Peur de l’inconnu. Mais les Ukrainiens paient de leur sang le prix de nos peurs. La chance de l’Europe, pour l’instant, est que les Ukrainiens n’ont plus peur de rien. Mais cette chance ne peut durer éternellement : les «dividendes de la paix» ne seront pas garantis éternellement par les Ukrainiens. C’est pourquoi nous devons surmonter nos peurs. Et commencer à croire que nous pouvons créer notre Pax Europaea commune sans craindre la menace permanente d’une Russie agressive.
Pour finir, lorsque nous parlons du « moment européen » en matière de sécurité et de défense, nous devons nous rappeler ce que dit l’article 42, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne à propos de la défense européenne : «La politique de sécurité et de défense commune comprend l’élaboration progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle aboutit à une défense commune, lorsque le Conseil européen, statuant à l’unanimité, prend une telle décision.» Le traité ne parle pas seulement de la possibilité de créer une politique de défense commune de l’Union. Il définit une obligation pour les États membres de l’UE d’y œuvrer. Que signifie «défense commune» ? Cela signifie que nous devons avoir des objectifs communs et des moyens communs pour défendre l’ensemble de l’Europe, et pas seulement des accords individuels ou bilatéraux. Regardons la réalité en face et assumons nos obligations au titre du traité. Et rappelons-nous les racines historiques de l’Union, créée pour la paix sur le continent européen. Parallèlement à l’intégration des industries du charbon et de l’acier, une tentative avait été faite pour créer une Communauté européenne de défense, sans que cela n’aboutisse (…) Il est temps de corriger cette erreur historique. Une Union européenne de la défense, plutôt qu’une Communauté européenne de la défense, est la voie à suivre. Et c’est là que je vois la question la plus importante. À l’instar de la question de Kissinger : l’Europe, quel numéro de téléphone?, il faut se demander : Qui va conduire l’Europe vers la Pax Europea ? Il est temps pour Ursula von der Leyen, Friedrich Merz, Emmanuel Macron, Keir Starmer, Giorgia Meloni et Donald Tusk de faire preuve d’un véritable leadership collectif.