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FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que toute une partie de l’Afrique de l’Ouest est en train de sombrer dans l’enfer djihadiste, la France doit essayer de conserver un lien privilégié avec ce continent tout en évitant le tropisme de l’héritage colonial, diagnostique la chroniqueuse belge Catherine van Offelen.
Diplômée de l’Université libre de Bruxelles et de King’s College London, Catherine van Offelen est spécialiste des questions de sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Les convulsions du Moyen-Orient captent l’attention de l’Europe. Mais nous oublions que, par-delà le Sahara, un autre monde connaît ses propres convulsions. Le 17 avril dernier, une attaque djihadiste foudroyante a fauché 54 militaires béninois dans la zone du parc W, à la frontière du Bénin avec le Niger et le Burkina Faso. Un attentat majeur qui montre que l’AES (Alliance des États du Sahel, regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger) contrôle de moins en moins son territoire.
Les groupes armés essaiment inexorablement vers le golfe de Guinée. Le Bénin déploie pourtant d’énergiques efforts pour contenir la poussée djihadiste. Mais la riposte est entravée par la faillite des pays de l’AES. Ceux-ci multiplient les marques d’hostilité vis-à-vis de leurs voisins : désinformation, rupture d’accords de défense, isolationnisme diplomatique… Résultat : toute une partie de l’Afrique de l’Ouest est en train de sombrer dans l’enfer djihadiste. Demain, l’Europe ?
Le chat parti, les souris dansent. Une telle démonstration de force de la part des djihadistes aurait été impensable du temps de Barkhane, vaste opération régionale initiée par Paris qui avait déployé jusqu’à 5 100 soldats français pour lutter contre les groupes armés au Sahel. La seule présence française avait un effet de rempart, empêchant la propagation des factions islamistes. Mais depuis le départ de la France en 2022, cette région désertique est plongée dans un chaos sécuritaire. L’Afrique subsaharienne est devenue l’épicentre mondial du terrorisme, avec 60% des meurtres liés au terrorisme selon l’ONU.
Que reste-t-il de l’exception française sur le continent africain ? Les liens entre la France et l’Afrique ont été tissés par l’histoire. Ils s’enracinent dans un passé colonial qui a façonné les liens économiques, politiques et militaires profonds. Dès la fin du XIXe siècle, les autorités françaises créent dans les colonies africaines un maillage administratif sur mesure, justifié par leur croyance messianique en la mission « civilisatrice » de la France. Les indépendances des années 1960 n’ont pas mis un terme à la vocation africaine de la France. Celle-ci a continué à se croire chez elle dans son « pré carré ». L’ex-métropole estimait entretenir une relation spéciale, une sorte de tête-à-tête avec l’Afrique francophone. La « Françafrique », c’était cette diplomatie de l’ombre, où les amitiés se mêlaient aux intérêts stratégiques. Le général de Gaulle contribua à façonner la toile des réseaux parallèles. Jacques Foccart en fut le maître d’œuvre. Ce rayonnement souterrain sur le continent donnait au gouvernement français un sentiment de grandeur et une envergure politique, permettant de maintenir avec l’Afrique une relation paternaliste qui se gardait de dire son nom.
Fidélité et ambiguïté
Cette relation faite de fidélité sincère et d’ambiguïté réelle a vécu. Barkhane fut le dernier écho de cette valse musette d’ancien de la colo, de diplomate aventureux et de businessman réaliste. Mais la Françafrique déjà n’existait plus. Les bases militaires en Afrique étaient devenues le village Potemkine de la puissance française. La Belgique, mon pays d’origine, se tailla également un empire au cœur des ténèbres. Et quel empire ! Le Congo : 80 fois plus vaste que la métropole, légué en 1908 à la Belgique par le roi Léopold II, son propriétaire. Mais la différence entre le royaume et la République : à la suite de l’indépendance de Kinshasa en 1960, le roi n’a pas tenté de faire de son ex-colonie la plateforme de ses prétentions à la puissance globale.
Pour la France, la bascule a eu lieu en 2011. La France fut entraînée dans une spirale infernale à partir de son intervention militaire en Libye et la chute du régime Kadhafi. Quantité d’armes de l’ex-dictateur se répandirent dans les pays voisins, et ce chaos libyen déstabilisa bientôt toute la région. À partir de 2013, la France lança une deuxième guerre, pour tenter de réparer les conséquences de la première. Si l’offensive éclair Serval fut un triomphe, faisant gagner à François Hollande ses galons de chef de guerre, Barkhane fut un bourbier qui aura duré près de dix ans et coûté la vie à 57 soldats.
L’heure du divorce a-t-elle sonné ? Le lien s’est distendu. À Paris, plus personne n’est à l’écoute des nomenklaturas africaines. La Cellule Afrique de l’Élysée fut réduite à la portion congrue.
La France libératrice, en voulant s’impatroniser dans les affaires internes devenait puissance d’occupation. C’est la limite des politiques souterraines. Plumé, le coq gaulois ! L’opération militaire de la France aboutit à son éviction forcée, militaire et politique, d’une série de pays. Rien ne semble plus pouvoir endiguer le recul de l’influence tricolore depuis qu’une succession de coups d’État, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, a fait du sentiment antifrançais le combustible politique des putschistes.
L’Élysée semble avoir perdu la main. Le rapport du faible au fort n’est plus celui qu’on croit. « Et si l’Afrique avait marabouté la France ? » demande Antoine Glaser dans AfricaFrance (Fayard, 2014) pour souligner le renversement des rôles. La volonté du Tchad et du Sénégal en décembre 2024 de rompre la coopération avec la France a achevé de planter les derniers clous dans le cercueil des ambitions françaises en Afrique. Même la francophonie, cet ancestral et puissant symbole de l’allégeance d’amitié entre deux espaces historiques, s’effondre. Dans l’Afrique défrancisée, on entend le chinois dans les ministères économiques et le russe dans les postes de sécurité.
L’heure du divorce a-t-elle sonné ? Le lien s’est distendu. À Paris, plus personne n’est à l’écoute des nomenklaturas africaines. La Cellule Afrique de l’Élysée fut réduite à la portion congrue. Elle n’a rien vu venir des récents putschs au Sahel, révélant une préoccupante cécité. D’une certaine manière, Emmanuel Macron avait raison lorsqu’il annonçait, en novembre 2017, qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Le président a une qualité indéniable : il a la vision de ses échecs et la prémonition de ses impuissances.
Ni la honte, ni l’assistanat
Pourtant, l’Afrique demeure un pivot pour tout président français. Dès qu’il pose un pied dans une capitale africaine, il est fêté comme nulle part ailleurs. Et l’Hexagone ne doit-il pas son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU autant à son influence en Afrique qu’à sa force de dissuasion nucléaire ?
La France peine à réinventer ses relations duales avec l’Afrique. Elle tergiverse, tiraillée entre les restes mélancoliques de ses rentes politiques d’antan et le farouche désir d’émancipation de ses anciennes colonies. Elle verse au continent 1/3 de son Aide publique au développement, mais conserve un discours moralisateur. Au fond, Paris ne parvient pas à résoudre la brûlante équation africaine : comment conserver un lien privilégié avec l’Afrique tout en évitant le tropisme de l’héritage colonial ? Une équation à double inconnue, à l’heure où le monde entier trépigne dans la salle d’attente et où un vent d’Est recommence à secouer les cocotiers.
L’aggiornamento exige de réajuster l’effort diplomatique, de soutenir vigoureusement les entreprises africaines, et d’encourager la coopération entre l’AES et ses voisins pour freiner une dégradation sécuritaire qui pourrait la menacer directement.
Des voix réclament que la France baisse définitivement le pavillon en Afrique. Après tout, l’ensemble du continent (Maghreb compris) ne représente que 5% de ses échanges commerciaux. Pourtant, cela revient à faire fi de trois siècles de destinée commune, survivant aux déceptions et aux malentendus. En outre, l’Afrique est démographiquement le continent le plus jeune de la planète. Ses immenses ressources lui donneront un rôle croissant dans l’économie mondiale. Culturellement et linguistiquement, la France y détient un avantage considérable.
L’enjeu est aussi sécuritaire. La France abrite environ 50% des diasporas africaines d’Europe. Des catastrophes humanitaires ou écologiques en Afrique provoqueraient, en onde de choc, une immigration incontrôlée. Perdant sa capacité de contrôle à la source géographique du terrorisme islamiste et des trafics, la France risque d’en ressentir les effets sur son propre territoire. La ligne est étroite entre les nostalgies possessives et les rêves de grandeur, entre le goût des demeures exotiques et la tentation militaire, mais elle existe. L’aggiornamento exige de réajuster l’effort diplomatique, de soutenir vigoureusement les entreprises africaines, et d’encourager la coopération entre l’AES et ses voisins pour freiner une dégradation sécuritaire qui pourrait la menacer directement.
Ni la honte, ni l’assistanat. Ni la repentance, ni la régence. Mais le développement local, seule solution pour sortir d’une aventure coloniale renversée où l’ancien dominant continuerait à diffuser sa présence pour se faire pardonner de l’avoir un jour imposée. Avec le Bénin, la France a réussi à tisser un partenariat privilégié. Les deux pays ont récemment intensifié leur coopération dans les secteurs culturel, économique, énergétique, agricole aussi bien que militaire. Le Gabon aussi est en train de prendre ce chemin. Ces partenariats sont l’ébauche de ce qui pourrait constituer un nouveau modèle de relations Afrique-France : inventer des « liens qui libèrent » pour remplacer les souvenirs qui polluent. Compter sur l’esprit d’entreprise pour effacer les plaies du passé dont la sempiternelle référence est un joug paralysant.