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Je viens d’assister à une représentation d’Othello, de Shakespeare, dans laquelle apparaît sur scène non le, mais la doge de Venise — entourée de ses conseillères, comme il se doit.
Rappelons que le doge fut, durant mille ans, le dirigeant élu de la République de Venise et que c’était obligatoirement un homme, puisqu’à cette époque-là seuls les individus de sexe masculin pouvaient être magistrats.
Faire du doge une femme sur une scène de théâtre fait donc partie de ces anachronismes rectificateurs que notre époque éclairée affectionne particulièrement. Doit-on y voir un signe supplémentaire de notre audace égalitariste ? À l’image de cette série diffusée sur Netflix, La chronique des Bridgerton, dans laquelle apparaissaient une reine d’Angleterre et des aristocrates britanniques noirs, il s’agirait de mettre fin, symboliquement, à la domination mâle et blanche du passé.
Dans la même veine, on attend avec impatience le futur réalisateur, aussi original qu’intrépide, qui osera présenter un péplum dans lequel l’Empire romain sera gouverné par une femme, par un homme noir ou par une personne non binaire. Aucun geste libérateur ne sera épargné au public, et que le maigre prix à payer pour ces courageuses prises de position du milieu artistique soit une réinvention du passé pèse évidemment peu face à ce militantisme féministe, LGBTQ+ et antiraciste dont nos artistes se glorifient ainsi à peu de frais.
Mais justement, s’agit-il vraiment de féminisme et d’antiracisme ? Permettez-moi d’en douter.
En effet, laisser entendre que l’aristocratie britannique du début du XIXe siècle était multiraciale et que la sérénissime République de Venise faisait une place aux femmes jusqu’au sommet de ses institutions politiques revient plutôt à nier l’existence historique du racisme et du sexisme qu’à en promouvoir la disparition dans la société contemporaine. En ce sens, de telles fictions font penser à ces écrits ou peintures du Moyen Âge qui évoquaient des « chevaliers » et des « dames » dans des récits inspirés de l’Antiquité ou qui revêtaient de costumes typiques du XVe siècle les personnages de l’Histoire sainte.
Ces anachronismes n’ont rien de « progressistes » ; ils sont plutôt la marque d’une société et d’un imaginaire profondément conservateurs, qui s’avèrent incapables de penser l’altérité — tant celle du passé que de l’ailleurs — et qui ne voient partout que le règne du Même, c’est-à-dire l’empire incontestable des valeurs dominantes de l’ici et du présent (ce dont Hollywood s’est fait une spécialité depuis longtemps).
En même temps, ce n’est peut-être pas là le principal ressort de ces décisions qui mènent à placer sur le trône d’Angleterre une reine métissée ou une femme à la tête de la République de Venise. Contrairement, en effet, aux artistes médiévaux qui n’en avaient sans doute pas aussi clairement conscience, les metteurs en scène d’aujourd’hui savent très bien, et le public le sait tout autant, que peu de femmes gouvernaient au XVIe siècle et que la haute société anglaise de l’époque de la Régence n’était pas multiraciale. Ces anachronismes n’en sont donc qu’au second degré. Ils ne demandent pas à être pris au sérieux. Ils font plutôt partie de ces signes de connivence que les artistes adressent à un public conquis d’avance.
Mais que disent-ils au juste, ces signes, s’ils n’affirment pas ce qu’ils ont l’air d’affirmer ? Quel est le but de ces anachronismes qui n’en sont pas vraiment ?
Ils exposent d’abord l’audace supposée de ceux qui les envoient. Voyez, disent-ils aux spectateurs, voyez jusqu’où je suis prêt à aller pour afficher ces idéaux féministes et antiracistes que je partage, bien sûr, avec vous. Et de ce point de vue, ces derniers ont raison : en règle générale, le public semble adorer ces supposées transgressions. Du moins, il n’en fait pas l’objet de ses protestations. Dénoncer haut et fort de tels anachronismes, c’est en effet s’exposer à une stigmatisation : ah, vous voilà démasqué, vous êtes un vilain raciste qui ne veut pas que des acteurs noirs jouent dans des séries en costumes ; ou bien : vous ne tolérez pas qu’une femme apparaisse, même sur scène, à la tête d’un gouvernement !
C’est peut-être d’ailleurs la raison d’être ultime de ces anachronismes : il s’agit de provocations. Ils sont faux, voire, au premier abord, contre-productifs et absurdes. Mais leur véritable but n’est pas qu’on y croie. Ils sont exclusivement là pour provoquer des réactions. Soit on y adhère de façon irraisonnée, sans se poser de question, et quitte à forcer sa conscience : on montre ainsi que l’on communie — sans réfléchir — aux idéaux du temps. Soit on se rebelle au nom de la raison contre ces absurdités et l’on se révèle alors comme un esprit conservateur, réactionnaire, traditionaliste, étriqué, etc.
Nous vivons dans une société de provocateurs, une société dans laquelle la provocation a été, depuis déjà un moment, érigée en ultima ratio de l’art (pensez à Banksy, mais on pourrait évoquer bien d’autres artistes contemporains). Elle est aussi devenue, depuis moins longtemps, un principe du discours public — progressiste comme conservateur — en particulier sur Internet, et de plus en plus dans la vie réelle. On prend moins la parole pour dire quelque chose de sensé que pour engendrer, du même mouvement, connivence et rejet. C’est drôle, ce n’est pas sérieux. Mais ces provocations répétées nourrissent une pseudo-radicalité qui finit par radicaliser et polariser la société pour de vrai. Car seule la vérité peut unir.
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