Sur TV 5 Monde, on peut trouver en replay la série Mégantic, qui relate la catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic qui s’est déroulée le 6 juillet 2013, à une heure du matin, au Québec, et qui a fait 47 morts. Un convoi de 72 wagons-citernes contenant un total de 7,7 millions de litres de pétrole brut léger a déraillé et provoqué des explosions et des incendies qui ont détruit le centre-ville et une quarantaine d’édifices dans une zone de 2 km2.
Le convoi en mauvaise état de marche et mal sécurisé avait été arrêté par son conducteur, sur une voie de circulation ferroviaire en mauvais état. Les freins usés ont lâché. La voie ferrée était en pente et le train a dévalé à 100 km à l’heure sur le centre-ville de Lac-Mégantic, où il y avait beaucoup de monde en ce vendredi soir, provoquant un incendie phénoménal ponctué par toute une série d’énormes explosions. Les personnes qui se trouvaient là n’avaient pas la moindre chance d’échapper à la mort.
La compagnie Montreal, Maine & Atlantic (MMA) s’est dépêchée de se déclarer en faillite pour échapper aux poursuites. L’état a couvert à la fois la compagnie privée et l’organisme de contrôle étatique, le Bureau de la sécurité des transports, pour ne pas être lui-même incriminé, car tous ces acteurs n’avaient fait qu’appliquer les lois iniques et irresponsables qui avaient été mises en place par ce même Etat pour satisfaire les véritables patrons du pays qui sont, comme dans tous les pays occidentaux, les puissances industrielles et financières privées.
La série, sortie en 2023, s’attarde sur la catastrophe et surtout sur les victimes pendant sept épisodes avec des allers et retours sur l’avant et l’après catastrophe, dans un souci compréhensif de rendre hommage aux victimes. Mais la partie la plus intéressante, à mon avis, est le huitième épisode avec l’interrogatoire de Tim, le conducteur du train, un des trois employés inculpés, qui a été arrêté pour négligence criminelle par un escadron surarmé de police anti-terroriste, sous les yeux terrorisés de son fils. Son avocat lui a dit de ne pas répondre aux questions et les policiers ont beau le menacer, le cajoler, lui parler de son fils pour l’attendrir, lui montrer les photos des victimes pour le culpabiliser, Tim répète fermement : « Pas de commentaire ». Sauf une fois ! A la question « Pourquoi avez-vous laissé le convoi tout seul, sachant que la locomotive (et tout le reste) était en très mauvais état de marche ? », il répond par cette phrase sibylline « parce que c’est ce qu’on fait ».
Un inspecteur, à bout de ressources, finit par lui expliquer, à l’aide d’un tableau, le fonctionnement de ce qu’il appelle « l’industrie du train », le système qui a Tim conduit devant les juges. C’est un moment fascinant. Le policier décrit en quelques mots, (ce qui prouve que c’est facile à comprendre quand on veut bien le voir), le fonctionnement criminel de l’Etat néo-libéral (d’aucuns diraient fascistes selon la définition de Mussolini) qui, parce qu’il faut un coupable, l’a désigné comme bouc émissaire. C’est un système entièrement dirigé par des puissances d’argent dont le dogme est le marché libre, le Dieu est le profit, et l’église, la Bourse.
Voilà ci-dessous la retranscription de ce dialogue extraordinaire. Le tutoiement au Québec est courant, et n’est pas nécessairement une manière d’intimider les inculpés comme en France. Le policier parle en français mais Tim, l’inculpé, parle en anglais et le you anglais qu’il utilise est traduit dans les sous-titres parfois par vous et parfois par tu.
Le policier : « Chez MMA, il y a 3 niveaux. Tu fais partie du plus bas niveau et les deux autres accusés respectivement du moyen (le contrôleur ferroviaire) et du haut niveau (le chef des opérations). Au-dessus, il y a Burkhardt, le big boss. Il fait affaire avec le Canadian Pacific (CP). Ensemble la MMA et le CP, ils gèrent le trafic du pétrole de la région. Il y en a un autre, que tu ne connais sans doute pas, c’est Al Norston, un milliardaire de New York dont la compagnie, Cooper Knight Capital, ne produit rien ; elle fait des deals. Des maudits gros deals de milliards de dollars. Norston cherche des grosses compagnies en difficulté. Il les achète, les retape et les revend à profit. En 2012, il décide de s’attaquer au CP qui n’est pas très rentable, mais plein de potentiel, d’après ses calculs. Il engage un gars pour l’aider à faire le ménage dans la compagnie, un autre américain, Silver Darby. Ensemble, ils achètent des millions d’actions du CP et Darby devient le PDG de la compagnie. Il décide de couper dans le gras et de maximiser le rendement. Les convois passent de 4 000 tonnes à 20 000 tonnes. Ça s’étire sur quasiment deux km de long. Et là, comme si c’était pas assez, c’est jamais assez, Darby les fait rouler 15 % plus vite sur des rails délabrés qu’il n’est pas question de remplacer. Ce qui fait qu’en deux ans, le trafic ferroviaire pétrolier augmente de 28 000 %. En même temps, Darby coupe 6 000 postes et il sabre dans les salaires.
« De son côté, ton boss Burkhardt, lui, il fait son lobbying, aux Etats-Unis et à Ottawa, et il finit pas leur faire avaler sa grande idée du one man crew, un train long et lourd comme le tien piloté par un seul employé. Un homme à la tête d’un convoi de 7 millions de litres de pétrole ! T’as bien dû trouver ça vraiment culotté de t’imposer ça, non ? Mais ça en valait la peine, crois-moi ! Entre mai 2012 et le jour du déraillement, donc en 14 mois, l’action du CP a grimpé de 92 %. Al Norston empoche pas loin de trois milliards, Darby, j’ai pas les chiffres mais il vient d’être nommé Constructeur ferroviaire de l’année, c’est la plus haute distinction dans l’industrie, et il est retourné élever ses chevaux de course dans son ranch du Connecticut.
« Tous ces gens, Tim, ils t’ont laissé tomber. Tu es le bouc émissaire, la mauvaise graine, le pigeon. Tu ne leur dois rien. C’est eux contre toi ! Fais quelque chose, Tim, défends-toi ! »
Tim : « Oui, tu as raison. C’est injuste, c’est dégoûtant, j’en suis conscient. Mais moi, j’ai simplement fait mon travail. J’ai suivi le règlement, j’ai fait tout ce que je devais faire. Le fait que ce soit mal, tordu et inadéquat, ce n’est pas de mon ressort. J’ai fait exactement comme vous. »
L’inspecteur : « Que veux-tu dire ? »
Tim, en regardant le policier droit dans les yeux : « Quand vous envoyez une unité entière de SWAT pour nous arrêter, qu’est-ce que vous croyez que vous faîtes ? Quand vos hommes pointent leurs armes sur mon fils, mon fils de 15 ans, vous suivez les ordres, vous appliquez les règles, et quand tu m’as montré les photos des 47 victimes, lentement, en espérant que je craque, que je m’effondre, vous appliquez les techniques sans penser aux conséquences. Parce que, ce qui est important pour vous, c’est de faire votre travail. Ce qui est important, c’est que j’avoue ; c’est que vous livriez la marchandise à vos patrons ! Je sais tout ça…
« Comme si je ne vivais pas déjà avec tous ces pauvres gens, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je vis avec eux à chaque seconde de ma vie. Ils sont tout le temps avec moi, dans ma maison, dans mon lit, dans ma tête. J’ai suivi les ordres qu’on m’a donnés, exactement comme tu suis les tiens. Et pour les mêmes raisons. Parce que c’est ce qu’on fait. Parfois pour le meilleur, parfois malheureusement pour le pire. Je n’ai rien d’autre à dire. »
La démonstration de Tim est imparable. Elle laisse les policiers de la série sans voix. Il ne leur reste plus qu’à informer Tim qu’il comparaîtra le lendemain, 13 mai 2014, devant un juge à Mégantic. Oui, à Mégantic, parce que les politiciens, pour détourner l’attention de leurs propres forfaitures, ont décidé d’offrir les trois accusés en victimes sacrificielles aux habitants de la ville qui ont perdu tant de leurs êtres chers.
Mais les habitants de Mégantic ne sont pas dupes. Ils savent très bien que les trois accusés ne sont que du menu fretin et que les vrais responsables, ce sont Al Norston, Darby et les hauts-fonctionnaires et politiciens corrompus qui ont aidé ces criminels à s’enrichir, sans la moindre considération pour la sécurité et la vie des Québécois.
Photo prise le jour de la tragédie
La série se termine par ces quelques lignes :
« La perception générale au sein des citoyens de Lac-Mégantic et de la population québécoise, est que les vrais coupables de la tragédie n’ont toujours pas été traduits devant la justice.
« Au terme d’un procès de 10 semaines à Sherbrooke, les 3 employés de la MMA ont été déclarés non coupables des 47 chefs d’accusation qui pesaient sur eux.
« Le directeur des poursuites criminelles a toujours renoncé à poursuivre la MMA et son propriétaire Ed. Burkhardt.
>« Le trafic ferroviaire a repris au centre de Lac-Mégantic le 18 décembre 2013, soit un peu plus de cinq mois après le drame »
Voir également le documentaire sur la tragédie du lac Mégantic :
Conclusion
Je ne sais pas quels ont été les arguments, dans la réalité, de la défense pour obtenir l’acquittement des accusés, mais l’argument qu’invoque Tim dans la série pour expliquer son acte est d’autant plus fort et convaincant qu’à aucun moment il ne s’en sert comme d’une excuse. Il note simplement qu’à tous les échelons tout le monde essaie de satisfaire ses patrons parce que c’est la seule manière de survivre.
D’ailleurs l’argument n’est pas remis en question dans la série. Au contraire, Tim est présenté tout du long comme un employé consciencieux, courageux et responsable. Il s’offre même pour aider à maîtriser l’incendie et le chef des pompiers reconnaît que, sans lui et sa connaissance du convoi, les dégâts auraient été encore bien pires. A la fin de la série, quand la police amène les trois accusés à Lac-Mégantic, Tim propose de sortir le premier de la voiture, parce les deux autres paniquent à l’idée de se faire lyncher par la foule qui les attend.
Pourtant, dans au moins deux cas célèbres, le même argument s’est retourné contre ceux qui l’avaient formulé. L’argument a choqué et suscité énormément d’indignation quand il a été employé par Adolf Eichmann, un des artisans du génocide juif par les Nazis, et par « Douch », un des grands exécutants de l’extermination khmère. Dans ces deux cas, la controverse a porté sur leur degré d’implication idéologique dans l’obéissance aux ordres. En somme, est-ce qu’ils étaient des fanatiques qui participaient avec plaisir à l’extermination décidée par les autorités ou obéissaient-ils simplement aux ordres pour faire carrière, comme le suggère Anna Arendt dans son livre Eichmann à Jérusalem.
A leurs procès respectifs, lit-on dans un article des Echos d’avril 2004, intitulé « J’ai obéi aux ordres », « Eichmann a donné l’impression d’un fonctionnaire consciencieux et « Douch », qui s’est converti au christianisme, s’est agenouillé en demandant pardon aux victimes.
« Arendt avait une réponse effrayante à sa propre question : des hommes ordinaires sont capables, dans certaines circonstances, d’accomplir des crimes extraordinaires. C’est ce qu’elle a appelé la banalité du mal. En l’occurrence, deux idéologies totalitaires, le nazisme et le communisme, ont convaincu des esprits faibles qu’un homme nouveau et pur allait surgir grâce l’élimination de tous les impurs à savoir les Juifs en Europe et les « bourgeois » au Cambodge. La leçon de l’actuel procès de Phnom Penh est la même que celui de Jérusalem jadis : Il ne faut jamais laisser progresser une idéologie totalitaire ; car, un jour, même les chefs finissent par obéir aux ordres. »
« Il ne faut jamais laisser progresser une idéologie totalitaire », affirment les Echos, un journal qui défend envers et contre tout l’idéologie capitaliste, un système d’exploitation tous azimut des hommes et de la nature, responsable d’innombrables guerres impérialistes et coloniales, avec leur cortège d’horreurs (Ukraine et Gaza étant les dernières en date), de la destruction d’innombrables espèces et d’écosystèmes, de la pollution de l’air et de l’eau, de la corruption, la maladie, la mort, la famine, la misère, l’esclavage, l’abêtissement de millions (milliards ?) de personnes !
L’idéologie capitaliste, rien que dans sa phase néolibérale a sans doute causé plus de morts (Le livre noir de la mondialisation de Thomas Guénolé fait état de 400 millions de morts entre 1992 et 2018) et fait plus de dégâts économiques, environnementaux, sociaux, scientifiques et culturels que toutes les autres idéologies confondues, mais elle n’est pas le moins du monde remise en cause parce qu’elle profite aux milliardaires qui ont pris le contrôle de l’Occident avec la complicité des politiciens. Du coup, tout le monde croit que c’est normal et obéit aux ordres sans se poser de questions, exactement comme Tim, ses parents et ses collègues, les professeurs qu’il a eus, les policiers qui l’interrogent et les juges qui le jugent. Exactement comme nous avons obéi aux ordres démentiels et contradictoires de faux scientifiques mis en avant par des politiciens corrompus ou irresponsables, tous acoquinés aux laboratoires pharmaceutiques, pendant l’opération Covid…
Il faudra attendre que les Etats-Unis perdent leur hégémonie et que l’UE s’effondre, comme le 3ième Reich ou le régime des Khmers rouges, pour qu’on réalise enfin l’étendue des dégâts. En attendant, ça tourne, avec l’aide consciente et inconsciente de tout un chacun à la place qu’il occupe, parce qu’il faut bien vivre.
https://www.tv5mondeplus.com/fr/series-et-films-tv/drame/megantic-s-1-e7-tim-richards/play
Dominique Muselet
Montreuil, le 31 mai 2025
***
La blague du jour
Le 27 mai 2025, Macron, un des chefs d’Etat les plus puissants du monde (armes nucléaires, veto au Conseil de sécurité de l’ONU et futur empereur d’Europe), a encore été pris au piège, selon Palki Sharma, qui a fait de ce dernier incident la blague du jour de son émission sur le média indien Firstpost. Elle nous offre un florilège des mèmes postés dans les réseaux sociaux sur la dispute entre le président français Macron et son épouse au Vietnam cette semaine. Les images du président qui se prend un bon coup au visage font le buzz.
Si c’était Mme Macron qui s’était faite agresser de la sorte on parlerait de violence domestique, mais en l’occurrence, les féministes sont plutôt silencieuses quand elles ne défendent pas Mme Macron. Pour elles apparemment, frapper un homme ce n’est pas de la violence…
Malheureusement pour nous, il ne suffit pas au couple Macron de piller la France et les Français pour enrichir toujours plus leurs commanditaires milliardaires, il faut aussi qu’ils nous ridiculisent encore et encore à l’international.
Nukes and Veto? Macron Still Got Shoved in the Face | Vantage With Palki Sharma | N18G
Dominque Muselet
Montreuil, le 31 mai 2025
La source originale de cet article est Mondialisation.ca