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On est en 1988. La direction de ma polyvalente décide d’interdire les camisoles, les logos agressifs du genre du groupe Iron Maiden sur les t-shirts et les shorts trop courts. Il n’en faut pas plus pour que l’appel à la grève se répande dans tous les corridors. Nous voilà donc tous rassemblés à la place de la Concorde — oui, il y avait une place de la Concorde dans ma polyvalente, ça ne s’invente pas. Sans perdre de temps, nous déclenchons la grève. Naturellement, cela ne durera qu’une journée et tout rentrera dans l’ordre dès le lendemain.
Quelques semaines plus tard, toutefois, une autre grève éclate. Je ne me souviens plus très bien pourquoi, à la vérité. Il faut dire que mon année de cinquième secondaire a été parsemée de grèves en tous genres, que ce soient celles des chauffeurs d’autobus, des professeurs ou du personnel de soutien. En tout, j’avais fait le calcul dans mon agenda, nous avions eu à peine quatre semaines complètes de cours. Incroyable ! Et pourtant, nous n’étions pas dans une école réputée pour être militante comme il y en avait, par exemple, à Montréal. Nous étions à Terrebonne.
Après cette deuxième grève étudiante, une rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre. On disait qu’après trois grèves, la directrice était obligée de démissionner. Et nous, jeunes naïfs que nous étions, y avions cru dur comme fer. De nouveau, nous nous sommes donc rassemblés à la place de la Concorde pour y scander le nom de la directrice. Son adjoint, alarmé, a alors fait irruption dans notre assemblée improvisée pour nous annoncer qu’elle ne démissionnerait pas et qu’il était temps… de retourner en classe. C’est là que tout a dérapé. Une heure plus tard, l’unité antiémeute débarquait à la polyvalente.
Ridicule, direz-vous ? Oui, vraiment.
Autre génération, même préjugé ? Vendredi dernier, des jeunes ont manifesté leur désaccord face à la nouvelle loi du ministre Drainville qui interdit le téléphone cellulaire à l’école. Des adultes ont applaudi cette loi et des jeunes se sont révoltés. Plusieurs ont râlé en disant que les jeunes n’avaient pas les priorités à la bonne place. D’autres ont vu dans cette réaction la preuve irréfutable de la justesse et, surtout, de la nécessité de cette mesure. Pour ma part, même si je suis tout à fait d’accord avec cette interdiction et sa justification, je fais aussi partie de ceux qui veulent que nos jeunes puissent exprimer — à leur manière — leur désaccord et leur révolte face aux décisions des adultes.
Certains diront que ce n’est pas une cause noble pour manifester. Mais manifester pour des logos sur des t-shirts ne l’était pas davantage, je dois l’avouer — et encore moins manifester pour réclamer la démission de la directrice. La question ici ne réside pas dans la noblesse de la cause, mais dans l’apprentissage civique. Au-delà des cours qu’ils reçoivent, c’est souvent en posant des gestes de ce genre que les jeunes découvrent le rôle qu’ils peuvent jouer concrètement dans la société.
Même en se mobilisant pour des raisons qui pourront nous paraître anodines, les jeunes découvrent l’importance de participer au débat public, de prendre position et d’exprimer leurs divergences. Ce qui est sain dans une société démocratique, c’est précisément la possibilité d’exprimer une opinion contraire dans le respect des autres. Et c’est souvent ce respect-là qui fait défaut. Trop souvent, ceux qui ne partagent pas notre point de vue deviennent des ennemis. Partout, on voit des démocraties en apparence libres s’attaquer aux moindres libertés d’expression — qu’elles soient identitaires, universitaires, politiques, liées au genre ou à bien d’autres enjeux.
Alors, quand je vois des jeunes s’insurger pour des raisons que les adultes jugent farfelues, je me réjouis. Cela montre que notre démocratie est encore vivante et qu’il y a toujours de l’espoir : celui que les jeunes continuent d’exprimer leurs désaccords en expérimentant la liberté d’opposition.
Depuis l’Antiquité, les anciens se plaignent du caractère intempestif de la jeunesse, qui ne respecte ni les règles ni l’autorité. Mais l’évolution de nos sociétés ne s’est-elle pas justement construite à partir de ces petites révoltes ? Ce n’est pas le confort du conservatisme qui fait avancer les idées, c’est le désir de changement.
Chaque génération a ses grands moments d’éveil, souvent marqués par des manifestations. Pour les boomers, ce furent les années 1960, avec la montée du nationalisme et, en France, Mai 68. Pour ma part, ce furent beaucoup les mobilisations étudiantes contre la hausse des droits de scolarité annoncée par le gouvernement de Lucien Bouchard, en 1996. Plus récemment, on se souvient du Printemps érable et du bruit des casseroles.
Certes, cette grève ne marquera pas un grand moment dans la vie du Québec, avouons-le, mais ce geste n’en est pas moins important. Parfois, des gestes que l’on juge arrogants ou même stupides de la part d’une jeunesse qui serait écervelée deviennent, avec le temps, des actions concrètes et constructives. Pour moi, ce fut l’éveil d’un désir de participer à la vie publique et à l’avenir politique de notre société — un engagement qui s’est concrétisé à l’échelle municipale. L’expression de divergences est avant tout le signe d’une démocratie libre et en santé.
Dans une époque aussi troublée que la nôtre, il est plus que jamais nécessaire de protéger ces principes. Laissons donc ces jeunes « écervelés » manifester, contester, dire leurs aspirations. C’est ainsi que naissent, parfois, les plus grands rêves — et même qu’ils finissent parfois par se réaliser.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.