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«L’enclavologie, cette géographie des lieux qui résistent à toute définition»

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FIGAROVOX/TRIBUNE - Oubliées de la carte, les enclaves concentrent les tensions mémorielles des empires déchus. Du Haut-Karabakh à Kaliningrad, le destin des puissances mondiales pourrait se nouer dans ces interstices qu’elles feignent d’ignorer, observe le philosophe et spécialiste de l’Europe centrale Ulysse Manhes.

Ulysse Manhes est normalien, doctorant en philosophie et producteur de l’émission « Voix d’Europe centrale » sur France Culture.


Prenons une carte du monde. Pas celle des atlas étatiques rigoureusement découpés. Plutôt une carte artisanale, qu’on pourrait déplier dans un train ou gribouiller sur une serviette. Traçons-y quelques cercles au hasard : Kaliningrad, Nakhitchevan, Abkhazie, Sahara occidental, Transnistrie…

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Que voit-on ? Que des enclaves condensent, à elles seules, les tensions que les empires dispersent. Kaliningrad en est peut-être l’illustration la plus claire. Ancienne Königsberg, joyau prussien et patrie d’Emmanuel Kant, elle fut rattachée à l’Union soviétique à la faveur des conférences de 1945. Churchill, d’abord réticent, céda finalement sous la pression de Staline ; Truman confirma l’accord dans le silence stratégique de Potsdam. Rebaptisée du nom de Mikhaïl Kalinine (cacique discret du régime mais signataire de l’accord qui permit le massacre de Katyn), la ville devient une excroissance soviétique enchâssée dans l’Europe.

Aujourd’hui, Kaliningrad est une enclave militaire russe, verrouillée entre la Pologne et la Lituanie, bardée de missiles, tournée comme une tourelle vers l’Europe tout entière. Le moindre navire quittant les ports baltes doit négocier son passage dans des eaux « russes », et la simple existence de l’enclave rend vitale la défense du corridor de Suwałki, 65 kilomètres de territoire que les pays baltes considèrent comme une voie décisive. 
À elle seule, Kaliningrad conjugue le souvenir des empires déchus, la fiction étonnante des accords de guerre et la hantise balte d’un retour de l’Histoire.

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Mais Kaliningrad n’est qu’un point sur la carte. D’autres poches, ailleurs, racontent les mêmes contradictions géopolitiques, les mêmes cicatrices non refermées. Elles ne sont pas des pays, pas même des régions : elles sont des îlots historiques, des zones où la carte officielle ne mentionne rien… Par exemple Daugavpils, en Lettonie – mi-russe, mi-européenne, comme en apnée. Ce qui saute aux yeux du visiteur à chaque fois, c’est un excès de mémoire. Chaque coin de ces poches semble saturé de récits non soldés, formant des trop-pleins qui fermentent.

Certaines poches sommeillent, d’autres font surface. Aucune ne s’efface : elles restent en latence, peuvent changer de nom ou de protecteur mais ne quittent jamais la carte. La République serbe de Bosnie ? Un fragment figé dans l’État bosnien mais qui continue à parler une langue d’ailleurs. Le Syunik arménien ? Une gorge étroite que Bakou rêve d’ouvrir au scalpel. Le Donbass ? Une saignée permanente, stabilisée par les compromis, non par la paix. Il faudrait une science pour désigner tout cela. Une géographie secondaire, une cartologie mineure. Appelons-la enclavologie, faute de mieux : l’art d’observer les histoires non résolues, les accrocs de la carte et les lieux qui résistent à toute définition stable.

Observons maintenant le Caucase. On croit que le conflit se joue entre États (Russie, Turquie, Azerbaïdjan, Iran) quand l’essentiel se décide en réalité dans les interstices. Le Nakhitchevan, ce bras géographique sans épaule, coupe l’Arménie comme un trait de hache et rêve d’un corridor vers l’Azerbaïdjan comme un retour au pays. À l’est, l’Artsakh (Haut-Karabakh) a été rayé d’un trait de plume mais persiste à flotter dans les esprits arméniens, comme une île perdue qu’on continue de voir après la marée. Plus au nord, l’Abkhazie géorgienne est une station balnéaire transformée en État russo-spectral aux intentions hautement impérialistes. L’Ossétie du Sud, quant à elle, n’est plus qu’un sas russe dans une république caucasienne qui n’a jamais choisi son camp.

Une enclave n’est pas un détail historico-géographique. Une poche territoriale, si petite soit-elle, porte avec elle des couches de mémoire, de frustration, de dignités bafouées et de fantasmes d’unité

Ulysse Manhes

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Dans les Balkans, l’Europe se lézarde à bas bruit. La Republika Srpska (enclave pro-serbe au sein de la Bosnie-Herzégovine) ne clame rien mais avance à pas lents vers ses deux grands frères orthodoxes : la Serbie et la Russie. Le Kosovo, reconnu ici, nié là, se maintient dans une position d’équilibre précaire, un pied dans la souveraineté, l’autre dans l’angoisse d’un effondrement. En Serbie même, le Sandjak musulman, entre Novi Pazar et la frontière monténégrine, reste une tache sans légende, invisible dans son voisinage orthodoxe. Quant à la Moldavie, elle plane, à moitié roumaine, à moitié russe, tout entière promise à une fusion qui paraît impossible.

Autour, entre les poches et les enclaves, vivent bien des mondes sans capitale ni ministère. La Gagaouzie, dans le Sud moldave, peuplée de chrétiens turcophones qui ne ressemblent à aucun de leurs voisins. Les Tziganes, dont les capitales innommées migrent en silence entre les Carpates, les bords du Danube et les rives de la mer Noire. Les Souabes du Banat, les Arméniens de Djoug (Jugha en arménien classique), les Ruthènes de Slovaquie orientale, les Aroumains, les Pontiques, les Karakalpaks, les Kurdes, communautés interstitielles, transfrontalières, transculturelles, translinguistiques, survivances nomades ou sédentaires à flou politique constant. Ils ne revendiquent pas tous un État mais ils occupent les creux. Et c’est dans ces creux que s’agrègent les conflits futurs.

Dans les médias, on parle d’équilibres régionaux. Il faudrait plutôt évoquer les déséquilibres localisés et, disons-le ainsi, enclavologiques. Ce sont ces enclaves visibles ou latentes qui fonctionnent comme des sismographes. Elles signalent les failles, les dénis, les chagrins, les rancœurs, les promesses non tenues. Elles condensent les haines frontalières, les malentendus culturels, les résidus de traités anciens. Et parfois elles explosent, non parce qu’elles veulent exister, mais parce qu’on les ignore ou qu’on refuse de les penser.

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Une enclave n’est pas un détail historico-géographique. Une poche territoriale, si petite soit-elle, porte avec elle des couches de mémoire, de frustration, de dignités bafouées et de fantasmes d’unité. C’est là, dans ces formations exiguës, que les conflits latents deviennent palpables. Là que se forment les appétits de revanche, les logiques de corridor, d’allégeance et de survie. Le monde se joue, de plus en plus, à l’échelle des zones non résolues.

Dans un verrou caucasien comme le Syunik, qui détermine l’accès iranien à la mer ; dans le corridor de Suwałki, fragile jointure entre l’Europe balte et le reste de l’OTAN ; ou dans la poche ibérique de Ceuta, promontoire espagnol sur le sol africain, où se télescopent héritage colonial, pression migratoire et dépressions des sociétés occidentales. Il n’est pas exclu que le destin des puissances se dessine dans ces interstices qu’elles feignent d’ignorer. Une enclave n’est ainsi pas un « symptôme » mais un territoire témoin dont les diplomaties diffèrent le traitement, mais qui se révéleront peut-être autant d’épines dans le pied dans la construction d’un monde pacifié.

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