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À l’occasion des nominations à l’Ordre des arts et des lettres du Québec, Le Devoir vous conduit dans l’imaginaire d’hommes et de femmes dont le travail, exemplaire à plusieurs égards, contribue à faire rayonner la culture.
« Un soir, après un concert, une femme est venue me voir. Elle m’a dit qu’elle donnerait sa vie pour pouvoir jouer comme moi… Je l’ai regardée. Et je lui ai dit que c’est exactement ce que j’avais fait… Pour jouer comme ça, moi, j’ai donné ma vie. » Chez Lorraine Desmarais, la passion de la musique en général et du jazz en particulier remonte à loin. Très loin.
« Mes parents étaient mélomanes. À quatre ans, j’ai reçu en cadeau un piano-jouet. » On l’imagine telle une sorte de Schroeder, le petit garçon obsédé par son piano et qui gravite dans l’univers de Charlie Brown. « Mon piano, c’était de loin mon jouet préféré. Ma mère disait que je ne le quittais jamais. C’est vrai. »
Ses parents lui offrent des leçons. Elle exulte. « Mes parents ont d’abord loué un piano droit, ne sachant pas si, dans la durée, j’allais aimer ça. Lorsqu’est venu le temps de retourner le piano, je ne voulais pas m’en séparer… À six ans, je savais que c’est ce que je voulais faire. Il n’y avait pas de doute. À 12 ans, j’écrivais des compositions. »
Elle se coule dans la musique. Tout lui apparaît facile. À la radio, sa mère lui fait entendre tout et n’importe quoi. Aussitôt, elle le rejoue. Le jazz ? Ce n’était pas encore à l’horizon. « Je n’avais pas de méthode. Mais je pouvais tout jouer, à l’oreille, très facilement. » Tout ne tombe pas du ciel pour autant. Il faut pratiquer. Apprendre la logique de ce langage unique appelé musique.
À 17 ans, Lorraine Desmarais enseigne déjà. « Mon premier élève était tellement doué qu’après lui, je me demandais pourquoi les autres traînaient… À cette époque, André Melançon a fait un film dans lequel j’apparais. » Dans Les vrais perdants (1978), Melançon s’intéresse à la question de l’éducation des enfants. Dans une société rongée par la compétition, comment envisager l’éducation ? Ce n’est pas pour rien que l’éducation a toujours passionné cette virtuose du jazz.
Lorraine Desmarais a enseigné la musique une large partie de sa vie, en particulier au collège de Saint-Laurent. Elle s’y est étonnée, dit-elle, de voir tant de jeunes flotter un peu, de ne pas être certains de leurs engagements, de leurs passions, alors que pour elle, tout était très tôt si clair. « Il y en a plusieurs qui savent très bien ce qu’ils font en choisissant la musique. Mais la musique, même s’ils abandonnent après, c’est une discipline, une façon de vivre, un cadre. Il faut pratiquer. C’est exigeant. Maîtriser un instrument, c’est du temps. Beaucoup de temps. Mais ce n’est pas perdu, même si on devient ensuite médecin, avocat ou je ne sais pas quoi. Parce que le cadre reste. »
Même au temps où elle enseignait, Lorraine Desmarais n’a jamais mis un couvercle sur sa carrière. « Je me demande encore comment je faisais, avec les concerts, les tournées… Je ne faisais jamais aucun compromis là-dessus. Aujourd’hui, je fais exactement la même chose qu’avant, mais sans l’enseignement. C’est plus facile. »
Ainsi soient-elles
Avant de fréquenter l’école Vincent-d’Indy et d’être diplômée par l’Université de Sherbrooke, Lorraine Desmarais apprend la musique d’une religieuse de Laval. Sœur Thérèse Paquette lui donne des leçons privées. « Elle portait la coiffe, le voile, la croix. » À Vincent-d’Indy, ce sont encore des religieuses qui lui enseignent. « Nous avions un professeur qui venait de Philadelphie, une fois par mois. Sinon, c’étaient des religieuses. »
Ces religieuses étaient souvent étonnantes, affirme la réputée pianiste de jazz. « Une des sœurs, je me souviens, s’appelait Marie Faucher. Elle était impressionnante. L’été, elle partait en vacances en faisant du pouce avec une autre sœur… Elles étaient, d’une certaine façon, non conformistes. Une sorte d’avant-garde, enfin, si on peut dire… »
La musique, le piano en particulier, fut beaucoup un espace social investi par des femmes. Son apprentissage était conduit, très souvent, par des religieuses. En marge de leur sacerdoce, ces femmes vouaient leur vie à la musique, à son enseignement.
Les femmes étaient vouées, en apprenant la musique, à agrémenter la vie du foyer. « Les femmes apprenaient Für Elise de Beethoven, du Mozart, des Nocturnes de Chopin… » Parfois se développaient de vrais talents, mais bordées par un cadre religieux étouffant, comme dans La passion d’Augustine (2015), le film de Léa Pool mettant en vedette la pianiste Lysandre Ménard.
« En 2011, j’ai fait une tournée en Chine. Shanghai, Beijing, d’autres grandes villes. J’ai remarqué que toutes les petites filles jouaient du piano. On aurait dit le Québec d’autrefois, quand tout le monde avait un piano à la maison. Aujourd’hui, chez nous, les pianos, on les donne pour s’en débarrasser ! Il suffit de regarder les petites annonces en ligne. Il y en a plein. »
La gloire d’Oscar
La formation de Lorraine Desmarais est d’abord attachée à la musique classique. « Des formations en jazz, comme il en existe aujourd’hui d’excellentes dans les cégeps et à l’université, cela n’existait pas du tout dans mon temps. Il n’y avait rien de ça. J’écoutais des disques d’Oscar Peterson. Je les écoutais et les réécoutais ! Je retranscrivais moi-même des solos de piano pour les jouer ! J’écoutais beaucoup Oscar Peterson, mais aussi Bill Evans, Herbie Hancock. » Elle se rend parfaire son apprentissage à New York, où elle joue, dans des jams du célèbre Blue Note.
Au Canada, Lorraine Desmarais a été une des premières femmes à occuper l’avant-scène du jazz. « Il n’y en a pas eu beaucoup, c’est vrai. » Elle a joué avec Joanne Brackeen, tout comme avec Marian McPartland. Cette dernière lui a consacré une de ses émissions de radio. Lorraine Desmarais évoque encore Carla Bley. Elle parle de Lucille Wilson. « C’est de son mari, Louis Armstrong, dont on parle tout le temps. Pourtant, Lucille Armstrong signait des arrangements… Stanley Péan a signé un très beau livre, magnifiquement écrit, dans lequel il nous apprend beaucoup de choses sur les pionnières du jazz. » À propos de Stanley Péan, Lorraine Desmarais regrette qu’à la radio de nos impôts, son émission ait été tristement déportée dans la nuit.
Tout au long de notre entretien, elle dit et redit son admiration pour Oscar Peterson, mais aussi pour Bill Evans. À ce dernier, elle s’est vouée jusqu’à concocter un hommage. Ce qui la conduit, cet été, à se lancer dans une tournée canadienne. Victoria, Medecine Hat, Winnipeg, Edmonton, Calgary et Regina. Son trio se produit aussi au Festival de jazz de Montréal.
Elle dit aimer le recueillement qu’exige son art. « La musique, c’est une vie de solitaire. J’ai besoin de solitude pour répéter, pour créer. Il y a un aspect de ce travail que les gens ne comprennent pas. Ils s’imaginent que vient un temps où il n’y a pas besoin de répéter, que la musique n’est, à un certain niveau, qu’une affaire de virtuose plus ou moins en relation avec les cieux. On aurait juste à se retrouver entre musiciens pour créer… Mais non, ce n’est pas comme ça du tout ! C’est une discipline, la musique. Comme un sport, au fond. »
Bien sûr, il y a des phénomènes. Des exceptions. « Miles Davis enregistrait du premier coup, en donnant l’impression de ne jamais répéter… C’est un cas particulier. Il est vrai en même temps que, dans un enregistrement de jazz, la première ou la deuxième prise est souvent la meilleure. Sinon, ça manque de fraîcheur. » Reste qu’au royaume de l’improvisation, il importe d’avoir beaucoup travaillé en amont, soutient-elle. « L’isolement, il peut éclater seulement avec les autres si on est entré d’abord en soi-même. Ensuite, oui, ça peut éclater sur scène, avec les autres, comme dans une fête formidable. » Lorraine Desmarais s’assoit à son piano pour la photo. Ses yeux brillent.