Mentionner qu’un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne est à Cannes, tient presque du pléonasme. Jusqu’à présent, les deux frères ont été conviés onze fois au festival. Depuis La promesse, en 1996, leurs films cumulent ici les récompenses : prix du scénario, de la mise en scène, d’interprétation(s), prix spécial, Grand prix, sans oublier deux Palme d’or, rien que ça. En récolteront-ils une troisième avec Jeunes mères, dévoilé vendredi en compétition ? Quoi qu’il advienne, le duo offre là un autre grand film rempli d’humanité.

À nouveau, les frères Dardenne campent leur film dans la ville de Liège, en Belgique : une toile de fond captée sous un jour suffisamment anonyme, afin de ne pas attirer indûment l’attention et ainsi distraire de l’essentiel, à savoir, le récit et l’émotion.

À nouveau encore, les cinéastes privilégient un réalisme social rigoureux, fruit d’une approche documentée, ouverte et curieuse des drames vécus par autrui. Et à nouveau, enfin, les Dardenne ont décidé de miser sur des acteurs, ici des actrices surtout, ayant peu ou pas d’expérience en cinéma, et chez qui ils ont su déceler quelque chose comme un potentiel, un don en sommeil.

Sauf que Jean-Pierre et Luc Dardenne, à 74 et 71 ans respectivement, n’en sortent pas moins de leur zone de confort narrative, s’attelant pour la toute première fois de leur illustre carrière à un film choral.

Leur treizième long métrage, Jeunes mères, explore en effet les destins croisés de cinq mères adolescentes qui séjournent dans un centre dédié à leur situation particulière. Elles se prénomment Perla, Jessica, Ariane, Julie, et Naïma (la présence de cette dernière est brève, mais importante).

Photo: Christine Plenus Une scène du film «Jeunes mères» des frères Dardenne

Empathie immédiate

Hormis les difficultés inhérentes au fait d’être enceinte puis d’accoucher à un si jeune âge, chacune fait face à ses propres embûches, à ses propres démons.

Perla espère que ce bébé lui ramènera son amoureux, Jessica tente d’entrer en communication avec sa mère qui n’a autrefois pas pu la garder, Ariane considère confier son bébé en adoption, et Julie envisage un avenir meilleur auprès de son fiancé tout en luttant pour rester sobre. De-ci, de-là, on songe à certains des films passés des auteurs, comme Rosetta (le motif de la mère alcoolique) et L’enfant (sur de jeunes parents désœuvrés).

L’alternance entre les quotidiens des unes et des autres s’avère extrêmement fluide, le centre où elles demeurent toutes servant de liant. Là-bas, on est témoin du travail d’accompagnement de travailleuses sociales, d’infirmières…

Cela étant, les Dardenne s’en tiennent uniquement aux points de vue des adolescentes, qu’ils filment de près (dominance de plans poitrine, gros plans et plans serrés). Ce faisant, ils nous permettent d’entrer dans la tête des jeunes héroïnes. De cette proximité intimiste, naît une empathie immédiate, puissante.

C’est d’autant plus vrai que les interprètes livrent des performances, on pardonnera le cliché, criantes de vérité. Pas d’esbroufe ou de maladresses, que de la justesse et de l’authenticité.

Un talent d’exception

Depuis quelques années, d’aucuns se plaisent à cibler les Dardenne pour leur omniprésence à Cannes. Et pour la quantité de récompenses qu’ils y ont reçue, nul doute.

Or, cette pseudo-surreprésentation n’est que le corollaire d’un talent d’exception. À cet égard, avec Jeunes mères, les deux frères prouvent que, tout en demeurant fidèles à leurs valeurs et à leur manière de faire, ils sont au surplus capables d’un brin de réinvention.

François Lévesque est à Cannes à l’invitation du festival et grâce au soutien de Téléfilm Canada