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Jean Gaumy, peintre de la Marine nationale : "La photographie me permet d’épingler le temps"

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L'exposition « Jean Gaumy et la mer. La pêche au-delà du cliché », au Musée national de la Marine de Paris, est une éblouissante mise en lumière du travail au long cours d'une figure majeure de la photographie contemporaine, Jean Gaumy. Près de 150 tirages couvrent les différentes périodes de son parcours sur les océans dans différentes régions du monde. Tous témoignent d'une même sensibilité pour saisir le temps qui passe, la solitude mais aussi l'âme des communautés humaines.

Jean Gaumy est à la fois artiste, photographe, réalisateur, reporter, aventurier et académicien. Il est aussi l'un des 40 peintres officiels de la Marine (POM), l’un des corps artistiques français les plus anciens, dont les origines remontent au XVIIe siècle. Doté d'un statut de militaire d'active et une équivalence de grade, le POM peut monter à bord de tous les navires français pour y séjourner, voyager dans le monde et y exercer son travail artistique. Mais ce n'est pas tout : en véritable métaphysicien de l’image, à 76 ans, Jean Gaumy est aussi un guetteur des abîmes et de l’immensité. Un homme lucide face à l’urgence de saisir le temps qui file et des fragments de mondes qui disparaissent. Nous l’avons rencontré à quelques heures de l'ouverture de l'hommage éloquent que lui rendra le Musée national de la Marine à Paris jusqu'au 17 août prochain.

Sous le titre « Jean Gaumy et la mer. La pêche au-delà du cliché, inédits de la collection », l'événement réunit près de 150 tirages issus des collections de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP). L'exposition dévoile des photographies qui révèlent la poésie des paysages, une mystique des éléments naturels, tout en portant un regard profondément humain et social sur les milieux de la mer et les communautés de filetières (entre autres) avec une force d’expression saisissante.

De la Normandie au Groenland, en passant par l'Andalousie ou la Gironde, nous voici embarqués dans ses expéditions aux quatre coins du monde. Des étendues glacées et silencieuses du monde polaire, on glisse ensuite vers l’univers confiné des sous-marins, avant d'aborder les limites du réalisme à travers des clichés plus énigmatiques où la nature semble frôler, parfois, une forme de chaos primordial. Marianne est allé à la rencontre de ce grand artiste.

Marianne : Qu’est-ce qui vous a mené vers la photographie, et plus précisément, vers cet attachement si puissant au monde de la mer et des marins ?

Jean Gaumy : À bord d’un bateau, je retrouve une atmosphère communautaire, semblable à celle d’un chalet de montagne en hiver. Et puis, j'ai toujours aimé photographier de près, souvent à deux ou trois mètres, des personnes – une proximité qui fonctionne naturellement dans les espaces restreints des chalutiers ou des sous-marins. Aujourd’hui, l’un de mes rêves serait de retourner dans un sous-marin nucléaire pour y faire des plans-séquences de cinéma et du son d’ambiance – seulement du son, pas d’entretiens, pas de commentaires –, mais bien une symphonie sonore.

Dans une banette à bord du
Reine de la Mer
Michel Thersiquel (1944-2007) © Musée national de la Marine/C. Semenoff- Tian
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Ico 45652/5 Dans une banette à bord du Reine de la Mer Michel Thersiquel (1944-2007) © Musée national de la Marine/C. Semenoff- Tian - Chansky Ico 45652/5
© Musée national de la Marine / C. Semenoff-Tian-Chansky

Longtemps, j’ai rêvé, mais vraiment rêvé – en dormant – de photographies qui s’animaient brièvement. Des boucles de plusieurs secondes. Une fois, il y a une trentaine d’années, à Étretat, dans la maison d'écrivain Maurice Leblanc transformée en musée, j’ai vu dans un vieux cadre une image ancienne qui s’est soudainement animée. C’était le tout début des écrans numériques. J’ai été totalement sidéré tant cela correspondait à mon rêve obsessionnel. Le cinéma, pour moi, c’est quelque chose qui frôle de très près le réel.

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La photographie, elle, me permet d’épingler le temps. Je ne cherche pas systématiquement la « belle » photographie artistique. Ce qui m’importe, c’est de garder la trace de moments qui ne reviendront jamais deux fois. Ce n’est ni de la nostalgie ni de la mélancolie, c’est juste un peu de lucidité face à l’éphémère. Beaucoup d’autres photographes ressentent comme moi, profondément, ce rapport au temps. Quand je m'intéresse au travail sur les chalutiers, ou quand je fais un film comme La Boucane (court-métrage de Jean Gaumy dans une usine de conserverie de poissons à Fécamp, lieu où l'on fume des harengs), je sentais bien que ces univers allaient disparaître. Pour moi, il y avait urgence à les capter.

On vous a d'abord reconnu comme un spécialiste du monde carcéral, puis de l’univers maritime – deux réalités a priori opposées : l’une marquée par le confinement, l’autre par l’horizon ouvert. N’y voyez-vous pas une forme de paradoxe ?

Cette façon de catégoriser est surtout très limitée. J’ai abordé tant de sujets, en fait. Mais oui, les lieux clos m’ont toujours intéressé. Dans un huis clos, on comprend mieux les règles du jeu. On est face à l’essentiel et très directement face à ses congénères humains, tandis que dans les grands espaces, on se confronte à quelque chose de beaucoup plus vaste, y compris à soi-même… Tout un programme !

« En vérité, nous sommes l’environnement. »

Être isolé, au milieu de la neige, à des dizaines de kilomètres de toute base humaine, dans le blanc et le silence complet, ça vous affecte forcément ! Cela vous met dans un état où vous sentez très concrètement que vous faites pleinement partie de ce que certains appellent « l’environnement ». En vérité, nous sommes l’environnement.

Vous embarquez à bord des chalutiers avec les marins. Par-delà l’expérience sensorielle, est-ce aussi l’expérience sociale que vous recherchez ?

Ce qui m’attire n’est pas seulement la mer, mais la vie des hommes, leur quotidien, leur solitude, leur communauté. Très jeune, les récits de mer m’ont fasciné – mais aussi ceux de montagne, de nature, ceux de Giono, Genevoix, Frison-Roche, Ramuz. Toute une imprégnation qui a guidé la suite. Finalement, on ne prend pas de photos : on les accueille. Ce sont elles qui surgissent et viennent à vous. C’est à vous de les reconnaître, de les recevoir. Elles viennent de loin – du très profond de soi. Et là, pour le coup, c’est de mémoire décisive qu’il s’agit.

Jean Gaumy, À bord du
chalutier espagnol Rowanlea
armé à La Corogne, Atlantique Nord, Hiver 1998. Jean Gaumy, À bord du chalutier espagnol Rowanlea armé à La Corogne, Atlantique Nord, Hiver 1998.
© Jean Gaumy / Magnum Photos

Quand j’ai photographié cet homme, triste, silencieux, en retrait des autres (cliché ci-dessus), je sentais d’instinct ce dont il s’agissait. J’ai enregistré ses paroles. Nous ne nous comprenions pas bien à cause de nos langages différents mais nous nous sentions proches. Traduction faite, il me disait : « Ici, des fois, on est en colère ; des fois, on est amer mais ce n’est pas une raison pour s’énerver contre les autres… Il y a bien assez à faire avec les difficultés qu’on partage… Et pour ça, il faut apporter aux autres le plus possible – disons – de tendresse. Ici, c’est notre maison. Ma maison n’est pas à terre ».

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Sur un bateau, vous avez toute une gamme de rôles attribués plus ou moins consciemment par chacun, et nécessaires aux autres : le sérieux, le silencieux, le bout en train… Et la même gamme revient souvent. Cela fait partie, je crois, des équilibres nécessaires aux groupes humains, quels que soient les lieux ou les circonstances.

« Je me revois, jeune, en Ariège, seul, dans des torrents, avec l’eau qui dévale… Et avec le sentiment d'être cœur du monde. »

Comment décririez-vous la force narrative des paysages marins ?

Ce n’est pas seulement la mer – c’est quelque chose de bien plus vaste. C’est se sentir faire partie intégrale d’un univers qui nous dépasse. Ce sentiment, je l’ai en mer, je l’ai partout où l’espace s’élargit. Je me revois, jeune, en Ariège, seul, dans des torrents à mille mètres d’altitude, avec l’eau qui dévale, les insectes, le soleil, la pluie… Avec le sentiment d'être au cœur du monde. Tout cela, et plus, me revient par bouffées lorsque je photographie.

Plus tard, j’ai beaucoup photographié les hôpitaux, les prisons, vous l'avez dit – j’ai été l’un des premiers à avoir l’autorisation d’y travailler longuement et librement. Dans un hôpital spécialisé, à Berck-sur-Mer, j’ai rencontré et photographié des personnes brisées, paralysées, presque inertes, posées face à la mer derrière de grandes baies vitrées. Ce contraste entre l’immobilité des corps et, dehors, devant eux, le vent, les nuages, la mer, les vestiges de blockhaus ensablés, ce contraste entre la matière brute et la chair m'ont profondément marqué. Je me suis rendu compte, bien des années plus tard, en recoupant mes notes, que je retournais dans cet hôpital presque toujours, au moins pour deux ou trois jours, juste avant de partir en mer.

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Observer lucidement le gouffre qui se profile devant soi est certainement, à mon âge, un de ces sujets primordiaux à propos desquels j'ai envie de partager mes sentiments.

La mer est aujourd’hui au cœur de nombreuses crises. Votre regard sur le monde marin a-t-il changé ?

J’essaie de témoigner. Je suis concerné. Profondément – même si je n’ai pas vraiment l’esprit « militant ». Par exemple, les scientifiques nous alertent depuis longtemps sur les concentrations de mercure en mer, un sujet majeur. Dans l’énorme bruit de fond mondial, les gens n’écoutent pas, ils n'entendent pas. Très récemment, l'association Bloom a mis le paquet sur ce sujet. Ils ont dénoncé très efficacement la situation alarmante actuelle. Du coup les gens ont davantage prêté attention. Et les lobbies aussi d’ailleurs, mais, eux, d’une tout autre façon… De mon côté, je tâche de documenter, d’épingler, de transmettre de façon sensible quelques traces du temps qui me semblent en valoir la peine. Pour moi, pour les autres.

***

Jean Gaumy et la mer. La pêche au-delà du cliché, inédits de la collection, jusqu'au 17 août, musée national de la Marine, Paris.

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