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«Il n’est pas possible d’éduquer aux écrans ; ils sont structurellement conçus pour aliéner l’homme»

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ENTRETIEN - Dans L’homme démantelé, un essai alarmiste et étayé, préfacé par Rémi Brague, le jeune Baptiste Detombe décrit la façon dont l’ogre numérique sabote la vie intérieure des individus en détruisant méthodiquement l’émerveillement, l’ennui, le désintéressement et l’esprit d’aventure.

Baptiste Detombe est secrétaire général du think-tank Souverains Demain ! et fondateur du média Gavroche. Il publie L’homme démantelé, préfacé par Rémi Brague (Éditions Artège, 2025). 


LE FIGARO. - Vous êtes un jeune homme, d’une génération qui n’a pas connu l’époque antérieure au règne des écrans. Pourquoi ce réquisitoire contre le numérique ?

Baptiste DETOMBE. - En vérité, ma génération a été une génération de transition. Elle a vécu de plein fouet le passage d’un monde de la matière à un monde du virtuel. Le smartphone, diffusé dès 2007, a ainsi été l’outil d’abolition des frontières spatio-temporelles : il devenait désormais possible de rester immergé en permanence dans le monde du virtuel. Progressivement, cette omniprésence s’est couplée au développement de procédés addictifs toujours plus efficaces. Ma génération a donc bien connu un événement pivot, un point de bascule qui a défiguré son expérience de l’existence dans des proportions que les générations antérieures n’ont pu connaître. Alors, c’est bien parce que ma génération a été en première ligne face à cette technique – au demeurant mise sur le marché avant même que ses conséquences cognitives, sanitaires et anthropologiques n’aient pu être anticipées – qu’il m’importait de prendre la plume.

Pourquoi ce titre, « l’homme démantelé » ?

L’homme est démantelé parce qu’il a perdu des traits intrinsèques à son humanité : les interactions sociales s’appauvrissent tant en quantité qu’en qualité, la bonté est viciée par la présence permanente de l’écran mettant en péril le désintéressement. La curiosité et l’émerveillement sont, quant à eux, saturés par les images incessantes auxquelles nous sommes exposés. La possibilité même de la pensée, du recueillement en soi-même, de la lecture est sabotée par la présence impérieuse de l’écran qui se rappelle à nous à coups de notifications, de détournement de notre système de récompenses, et de peur qu’un retrait du numérique nous vaille une exclusion de la sociabilité nouvellement vécue. Ici, le terme « démantelé », qui fait écho à la machine plus qu’à l’homme, est choisi à escient. L’homo numericus n’aime pas son humanité, il veut s’en départir, pour mieux se fondre dans la machine qui l’accueille à bras ouverts et le soulage des impératifs de l’existence. Cet homme démantelé est un homme mutilé de son humanité qui cherche ainsi dans la machine une occasion d’oublier ce qui lui a été enlevé.

De l’idée d’individualité ne reste plus que l’individualisme : la défense acharnée de son intérêt propre, le repli sur la sphère privée, en bref, le retour à une forme clanique de sociabilité au grand dam de l’individualisation pluriséculaire de l’Occident

Baptiste Detombe

Comment expliquer que le numérique sape l’idéal humaniste occidental, alors même que notre époque consacre l’individu ?

L’humanisme occidental est caractérisé par deux éléments centraux : l’homme comme individualité et l’homme comme potentiel. Deux facettes de l’humanisme en voie de disparition sous l’effet d’un numérique hégémonique.

L’homme comme individualité est certainement une révolution intellectuelle et culturelle de l’Occident qui est encore trop peu relevée tant nous nous y sommes habitués. Cette individualisation est le produit du christianisme, par la suite exacerbé dans la doctrine libérale. Le salut individuel, la séparation du politique et du religieux, la relativisation des attaches terrestres (tant du clan, que de la famille ou de la nation) puis le rôle de l’Église dans l’interdiction des mariages entre cousins à des degrés toujours plus éloignés, ont participé à donner à l’individu une place croissante. Progressivement, l’universalisme a pris le pas sur l’ancrage clanique. L’anthropologue Joseph Henrich a montré ainsi qu’en Occident, on ne se définit pas par une attache familiale (« Je suis le frère de… », « le fils de… »), mais par une qualité propre et individuelle, notamment au regard de sa fonction sociale.

Pour autant, l’individualisation ne peut se construire qu’à travers un effort perpétuel. Dans l’humanisme réside l’idée de l’homme comme potentiel, l’homme n’est pas un donné, il a sur Terre à se réaliser. Pour reprendre la formule célèbre d’Érasme : on ne naît pas homme, on le devient. Cette anthropologie de l’effort est ainsi présente dans tout le terreau culturel de l’Occident : de la parabole des talents dans l’Évangile jusqu’au Pantagruel de Rabelais.

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Le numérique vient pour autant saper cet idéal. Il donne hors de toute limite quantitative la possibilité d’un divertissement permettant de s’extraire de soi. Le numérique consacre l’anesthésie de la volonté qui ne peut plus être que velléité face à l’impossibilité d’adhérer au temps long. La mort de l’effort c’est la fin de la pensée et donc l’incapacité à dire « non » car seul l’effort réflexif permet l’opposition comme l’a souligné le philosophe Alain. À cela s’ajoute le retour d’une mentalité clanique par l’essor des bulles de filtre, d’un conformisme virtuel qui prend racine dans la surexposition répétée à des contenus issus des mêmes sphères. D’individu, l’homme devient une caricature de son groupe social.

Dès lors, le processus d’individualisation semble s’effondrer au profit d’une dilution dans la masse des consommateurs passifs. De l’idée d’individualité ne reste plus que l’individualisme : la défense acharnée de son intérêt propre, le repli sur la sphère privée, en bref, le retour à une forme clanique de sociabilité au grand dam de l’individualisation pluriséculaire de l’Occident. Malgré la proximité apparente, individualisme et individualisation aujourd’hui s’opposent au profit du premier.

« L’imagination est le meilleur moyen donné à l’homme de repenser un monde en cours d’effondrement » , écrivez-vous. En ne laissant aucune place à l’ennui, donc à la créativité, les écrans compromettent-ils l’avenir de l’Occident ?

Selon le baromètre du numérique 2022, la part des personnes naviguant sur internet pendant les temps morts a fait un bond de 40 points depuis 2013, atteignant 70%. La grande hantise de l’époque, c’est l’ennui. Il faut l’éradiquer car l’homme démantelé ne supporte pas ce face-à-face avec lui-même que lui impose la vacuité de l’existence. Dans notre modernité libérale, l’ennui est ainsi connoté très négativement. Ce dernier est synonyme d’improductivité, d’oisiveté voire d’égoïsme. L’industrie du numérique a néanmoins réussi le tour de force de rendre profitable l’ennui !

Le manque d’ambition politique en matière de régulation du numérique met en danger les générations qui viennent – qui sont pourtant la société de demain

Baptiste Detombe

En pressurant le temps d’attention de ces temps morts – qui sont peut-être en réalité nos seuls temps de vie – et en le monétisant par la vente de nos données, l’homme a pu se délester à prix d’or de son ennui. Il en a dès lors été débarrassé, sans savoir que ce dernier était ce qu’il avait de plus précieux. L’ennui est fertile : il offre de l’espace pour que puisse s’épanouir la pensée, il donne le temps de l’introspection pour mieux se connaître et, à travers soi, connaître l’universalité humaine, il est aussi ce silence désagréable qui donne l’impulsion pour les grands projets et les belles idées. Bref, l’ennui est cette absence qui force à sortir d’une routine aliénante de consommation-production, rappelant à l’individualité en quête d’elle-même que « vivre, ce n’est pas respirer » comme le dit si bien Jean-Jacques Rousseau.

Vous regrettez que le législateur n’encadre pas drastiquement l’usage des écrans. La contrainte est-elle la solution miracle ?

Aucune solution n’est miraculeuse, toutes auront un coût tant en matière de profits pour l’industrie du numérique que de libertés pour le consommateur, ou encore de risque de dérive autoritaire. Il ne faut néanmoins pas se leurrer, faire reposer sur les seules épaules des parents et des écoles le poids de l’éducation aux écrans n’est pas réaliste. Et cela s’explique simplement : il n’est pas possible d’éduquer aux écrans. Ces derniers sont structurellement faits pour nous aliéner, pour être addictifs. L’information a beau être diffusée, les leçons de morale prodiguées, l’homme demeure un être soumis à sa biologie que l’industrie du numérique est parvenue à détourner à son profit. Alors il est possible d’attendre des comportements individuels certaines prises de conscience, mais face à un enjeu civilisationnel, il faut une réponse globale et systémique. Le manque d’ambition politique en matière de régulation du numérique met en danger les générations qui viennent – qui sont pourtant la société de demain.

Les certitudes qu’offre un monde où l’on peut tout planifier grâce à son smartphone étouffent-elles la possibilité de la foi, de la spiritualité ?

La foi se nourrit de mystères, d’incompréhensions, d’ouverture à son for intérieur. Le smartphone, en donnant l’illusion du contrôle absolu (de sa posologie, de son attrait social...) et du savoir universel (par l’accès à internet et à l’IA), glorifie illusoirement l’individu. L’homme démantelé nage ainsi dans le mirage de sa puissance au profit d’un monde désormais pensable sans Dieu. Et à vrai dire, il n’est même plus nécessaire d’y penser : l’écran tourne l’attention, soit, étymologiquement, la tension de l’esprit, non pas vers son intériorité ou des spéculations métaphysiques, mais bien sûr une extériorité superficielle, un ensemble de vies fantasmées et médiatisées par l’écran que nos réseaux nous renvoient.

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Il n’en reste pas moins que, paradoxalement, l’insatisfaction structurelle que crée le numérique peut aussi nourrir la recherche d’un nouvel élan. Le trop-plein du monde numérique peut aussi donner la nausée, devenir indigeste, et nourrir la recherche d’une harmonie plus grande. De même, la foi peut être vue par le désespéré comme l’ultime recours pour dépasser l’attrait de l’aliénation technique. Les générations désabusées par un numérique qui donne à voir trop vite et trop tôt pourraient ainsi rechercher dans la foi la possibilité d’annoncer, comme saint Paul dans sa Première épître aux Corinthiens, que « tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir à quoi que ce soit ».

L’homme démantelé, Baptiste Detombe, Éditions Artège, 240 p., 18,90e., 2025. Editions Artège
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