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FIGAROVOX/TRIBUNE - À l’heure où les décisions américaines laissent présager une remise en cause durable du paradigme libre-échangiste, les États africains ont une carte à jouer s’ils utilisent les droits de douane de façon ciblée, analyse Hubert Vermeren, spécialiste de l’économie africaine.
Hubert Vermeren est consultant financier et spécialiste de l’économie africaine.
Depuis avril dernier, les mesures et contre-mesures décidées par Donald Trump concernant les tarifs douaniers américains alimentent les débats à travers le monde, y compris en Afrique. Leur diffusion instantanée et globale via X, l’absence de méthodologie transparente, et l’aspect très étonnant de certaines dispositions et déclarations (par exemple, pour parler de l’Afrique, le taux de 50 % appliqué au Lesotho, un pays «dont personne n’a jamais entendu parler», dixit le président américain) peuvent donner l’impression d’une mauvaise série.
Cependant, le thème est sérieux pour au moins deux raisons. D’une part, ces dispositions auront à l’avenir un impact concret, quoique difficile à précisément estimer, sur les économies africaines, tant au niveau national que continental, avec la remise en cause possible de l’AGOA, l’accord commercial Afrique/États-Unis. D’autre part, ce contexte est pour les autorités africaines une opportunité de repenser leur arsenal douanier pour en faire un outil fort de soutien au développement économique, notamment industriel et budgétaire.
Les décisions américaines, et d’autres initiatives telles que leur mise en retrait tacite de l’OMC, laissent présager une remise en cause durable du paradigme libre-échangiste ayant façonné les relations commerciales internationales depuis des décennies. Avec ce paradigme devraient se relâcher les contraintes restreignant les mesures douanières protectionnistes, imposées notamment aux pays du Sud par les institutions internationales en échange d’aide financière, à commencer par le FMI et ses plans d’ajustement structurel.
En Afrique, la mise en œuvre de tarifs à l’export (sur les matières premières) ou à l’import (sur les produits finis) pour favoriser la transformation locale a déjà fait ses preuves
Le tarif douanier redevient un outil acceptable dans l’arsenal des pays du monde entier. En Afrique, la mise en œuvre de tarifs à l’export (sur les matières premières) ou à l’import (sur les produits finis) pour favoriser la transformation locale a déjà fait ses preuves : l’interdiction d’exporter des grumes (2010) a fait du Gabon un des leaders mondiaux de la production et de l’exportation de contreplaqué, tandis qu’une industrie avicole prospère au Sénégal car des tarifs la protègent des flux sud-américains bien plus compétitifs.
À rebours de Trump tirant tous azimuts, l’enjeu pour les États africains est d’utiliser les outils douaniers (tarifs, quotas, interdictions d’exporter) de façon ciblée et raisonnée, pour favoriser l’essor des filières industrielles locales, et non les grever. À ce titre, l’exemple des filières de fruits à coque (cajou, macadamia) est parlant : la simple application de tarifs à l’export de noix brutes peut s’avérer contre-productive dans le contexte africain, car les exports informels peuvent se développer, ou les petits producteurs se détourner de cultures qu’ils ne jugent plus assez attractives. L’initiative douanière doit s’accompagner de mesures plus larges soutenant l’industrialisation intégrée des filières, y compris des subventions pour les transformateurs locaux, le développement d’activités de valorisation des sous-produits (coques), des financements adaptés aux industriels, etc. C’est ce qui a fait le succès de la filière cajou ivoirienne depuis quelques années, qui envisage de transformer localement 50 % de sa production brute en 2030.
Au-delà de l’industrie, la question douanière est au cœur d’un autre défi majeur pour les États africains, leur budget, et ce notamment à l’heure où le «multilatéralisme généreux» des pays du Nord s’essouffle, et alors que les besoins budgétaires explosent.
L’instauration de mesures douanières et le contrôle scrupuleux de leur respect sont clé pour sécuriser des recettes. En 2020, l’ONU a estimé à environ 90 milliards de dollars le manque à gagner annuel pour les États africains liés aux flux financiers illicites, incluant les fraudes en douanes. Ces fraudes (sous-valorisation, fausse classification de marchandises ou d’origine pour accéder à des tarifs réduits, passage par des sociétés intermédiaires dans des paradis fiscaux) touchent aussi bien les flux d’importation que d’exportation, sur des catégories de produits variés, allant des produits alimentaires surgelés aux minerais.
Pour combattre ces pratiques, les États africains disposent d’un nombre croissant d’outils, notamment technologiques. La numérisation, l’harmonisation et l’interconnexion des systèmes douaniers entre voisins sont par exemple au cœur du projet SIGMAT, lancé par plusieurs pays de la CEDEAO en 2019. Au-delà de la collaboration régionale, le recours à des solutions innovantes (IA) et la meilleure formation des effectifs douaniers sont essentiels pour mieux gérer les flux commerciaux internationaux. C’est notamment le pari réussi de la Côte d’Ivoire : au début des années 2010, les autorités lancent un projet de développement et d’optimisation de leur système de contrôle en douanes, notamment en termes de valeur des marchandises. Avec l’appui d’un consultant privé externe, engagé sur une période limitée pour éviter un phénomène de dépendance, Abidjan a atteint son objectif, en accroissant ses revenus douaniers de 70% en moins d’une décennie.
Ainsi, à l’heure du ravivement des tensions commerciales internationales, les États africains ont une fenêtre stratégique pour dépoussiérer et muscler intelligemment leur arsenal douanier, pour devenir protagonistes de leur développement industriel et budgétaire.