« Ce que j’aime le plus faire, je le fais, entre autres, avec Infoman [en tant que chroniqueur] depuis 20 ans : des entrevues », confie Dave-Éric Ouellet, alias MC Gilles, qui est désormais aussi à la barre de Gensses d’influence. Dans cette émission, déclinée à la fois à la télévision et en balado, il s’entretient en effet, à quelque 60 mètres de hauteur dans une cabine de la Grande Roue de Montréal, avec plusieurs personnalités québécoises dont la parole compte beaucoup dans l’espace public et médiatique.

« Le huis clos, le face-à-face, je trouve ça le fun, parce qu’on se complique souvent la vie. Moi, j’aime ces affaires à petite échelle, familiales et sympathiques », précise l’animateur. Selon lui, deux personnes qui ont une conversation, « ça n’a pas besoin de réinventer la roue » — celles et ceux qui le connaissent savent bien qu’il n’est pas avare de plaisanteries. Toujours est-il que, d’après son expérience, ce qui fonctionne à coup sûr, c’est quand la personne interviewée oublie les caméras. « Et puis là, on discute, on jase, les gens m’interpellent. »

Sa meilleure entrevue ? « Celle où tu poses le moins de questions ! » répond-il. L’écoute est ainsi sa grande priorité dans Gensses d’influence. « Étant donné que j’ai habituellement un personnage de clown, là, dans cette situation, je prends moins de place et j’écoute plus que je parle », ajoute Dave-Éric Ouellet. De fait, la promiscuité devient propice à la confidence. « On est enfermés dans une boîte, il n’y a personne à part nous. Après trois minutes, le fait d’être dans les airs, aussi, on est vraiment en face-à-face, on se regarde dans les yeux », dit-il. L’entrevue prend alors une tournure inattendue et l’animateur peut commencer à ausculter l’être humain derrière la persona.

« Ce que j’aime, c’est que la majorité des gens, dès les premières questions, m’ont dit : “Je suis ici, je trouve ça sympathique, sauf que je ne pense pas avoir de l’influence” », rapporte Dave-Éric Ouellet. Pourtant, en 2018, c’est bien Charles Lafortune, l’un des invités à l’émission, qui, d’un simple tweet, a réussi à faire reculer le groupe Walmart, qui envisageait de mettre fin à un programme d’inclusion pour les travailleurs ayant une déficience intellectuelle. « En jasant avec Charles Lafortune, je m’aperçois que ça a dépassé le Québec et que ça s’est rendu jusqu’à New York. Moi qui fais partie du commun des mortels, si je fais un post sur les réseaux sociaux, je ne pense pas que je vais avoir un impact sur Walmart… » souligne-t-il.

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Dans son émission, Dave-Éric Ouellet, alias MC Gilles, s’entretient à quelque 60 mètres de hauteur dans une cabine de la Grande Roue de Montréal, avec plusieurs personnalités québécoises.

Dave-Éric Ouellet aime en outre que ses entrevues sortent du cadre. « Marilou m’a touché en disant que personne ne l’interviewe jamais sur le fait qu’elle est une femme d’affaires, et elle était contente de pouvoir en parler », mentionne-t-il. Explorer les zones grises dans la société, comme le sexisme, est l’un des points forts de Gensses d’influence. Il y a également l’épisode avec Marthe Laverdière, qui joue avec la corde sensible de l’émotion. « Ce n’est pas quelque chose que je voulais d’emblée, car je ne suis pas [adepte de] l’émotion pour l’émotion. C’est un peu culpabilisant quand quelqu’un pleure, mais elle l’a bien expliqué : elle assume ses émotions et elle en a le droit », signale l’animateur.

Une « anti-cassette »

« Je pense qu’on peut aller ailleurs en poussant un peu plus aussi », poursuit l’animateur. Celui-ci fait notamment référence à sa discussion avec Charles Lafortune à propos du fils de ce dernier, atteint d’autisme. « Les gens leur disent toujours, à lui et à sa femme, qu’ils sont courageux et que c’est extraordinaire [ce qu’ils font]. Mais non, s’il le pouvait, il donnerait tout pour [que son fils] ne le soit pas [autiste]. [Il dit] que c’est terrible ce qu’ils vivent », rapporte Dave-Éric Ouellet.

Idem pour Marthe Laverdière lorsqu’elle évoque sa petite-fille malade. « Au début, Jeanne, elle m’avait déçue. […] Je voulais être une grand-mère avec des enfants normaux. […] Mais quand tu rencontres ces personnes, c’est les seules qui sont dans l’amour pur. Elles n’attendent rien en retour de ce qu’elles te donnent. » « Elle dit la vérité », indique MC Gilles, qui décrit son émission comme « une anti-cassette ».

Quels propos formulerait au juste Dave-Éric Ouellet s’il occupait la place de l’interviewé dans la Grande Roue ? « Je pense qu’on a oublié beaucoup l’auditoire. On a fait beaucoup de choses pour l’industrie et non pas pour les gens. Pourquoi est-ce qu’on parle toujours du tapis rouge mais pas de la création artistique du film qu’on va voir ? C’est un peu curieux », constate-t-il. L’animateur aborderait aussi sans aucun doute la santé mentale. « C’est sûr que c’est mon dada. On est quand même dans une société avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens qui ne vont pas bien, affirme-t-il. Si tu te casses un bras, tu n’as pas honte d’en parler. Mais si tu as des problèmes associés à la tête, tout d’un coup, c’est secret », déplore-t-il.

Enfin, à l’heure où la vérité et le mensonge s’affrontent quotidiennement dans les médias, Gensses d’influence mérite toute sa place à l’antenne, croit son animateur. « Je veux dire que le mensonge a autant, sinon plus, de visibilité que la vérité, et ça, c’est vraiment une inquiétude qu’on a tous », dit Dave-Éric Ouellet. Pour lui, il est donc primordial de s’interroger collectivement sur l’information tronquée, privée de contexte, en quelque sorte l’antithèse de ses entrevues au long cours.

L’ère du clip fait pour les réseaux sociaux est-elle dangereuse ? « Je pense que oui, parce qu’aujourd’hui, on n’approfondit plus rien », regrette-t-il. Dave-Éric Ouellet veut pourtant y croire : « Le contenu va toujours gagner », assure-t-il. Dès lors, son émission peut être appréhendée comme un espace de liberté de parole et de ton où « il n’y a pas de cahier des charges ».