L’environnement et les droits des femmes étaient parmi les piliers de la révolution du Rojava, qui a démarré en 2012. Certains objectifs restent à atteindre, mais les militants se réjouissent déjà qu’une majorité de la population considère, selon eux, les luttes écologiques et féministes comme égales et complémentaires. Le Devoir s’est entretenu avec Verona Evdke, coprésidente de l’Académie d’écologie de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, âgée de 21 ans.

L’écoféminisme fait partie des valeurs essentielles de la révolution au Rojava. Comment cela se traduit-il aujourd’hui ?

Nous pensons que l’exploitation de la nature fait partie du même système qui oppresse les femmes : patriarcal, capitaliste et colonial. C’est pourquoi nous ne pouvons pas parler de libération de la femme sans la lier à la libération de la terre, et inversement. À tous les niveaux d’organisation de la vie dans ce territoire, les femmes participent fortement, dans les conseils locaux, les comités environnementaux, les municipalités… là où les décisions en lien avec l’agriculture, l’eau et l’énergie sont prises, dans une perspective écoféministe.

Comment cette lutte écoféministe a-t-elle évolué en 13 ans ?

Bien que la première phase ait été difficile en raison de la guerre, du blocus et de l’héritage environnemental destructeur laissé par les politiques centralisées précédentes, les communautés locales, les organisations de femmes et les initiatives écologiques ont travaillé dur pour restaurer l’équilibre écologique. Cependant, il est impossible de parler d’environnement sans mentionner l’État turc, qui a représenté le plus grand danger pour l’écosystème du Rojava. Les bombardements répétés de zones agricoles, les incendies de récoltes, la coupure de l’eau de l’Euphrate et l’assèchement des sources fluviales sont des pratiques systématiques visant à affaiblir les communautés locales et à détruire directement leur environnement. L’occupation turque de certaines zones du nord a également entraîné la disparition du couvert végétal, l’érosion des sols et la pollution de l’eau et de la terre.

Malgré cela, de véritables transformations ont émergé. Les gens ont commencé à discuter de l’environnement comme faisant partie intégrante de la lutte communautaire, et des projets concrets ont vu le jour pour protéger la nature et restaurer un rapport sain à celle-ci. Même si les défis restent immenses, le changement fondamental est que la société comprend aujourd’hui que l’environnement n’est pas un luxe, mais une question d’existence, de liberté et de justice.

Que reste-t-il à faire pour les luttes écologistes et féministes ?

Il reste beaucoup à faire pour renforcer la lutte environnementale et les droits des femmes au Rojava. Il est essentiel d’améliorer l’éducation environnementale et au genre afin de sensibiliser les gens au lien profond entre l’émancipation féministe et la protection de la nature. Il faut également soutenir davantage les initiatives écologiques portées par des femmes — comme les projets agricoles durables, le reboisement ou la gestion de l’eau —, car elles renforcent à la fois la protection de l’environnement et le rôle des femmes dans l’économie et la société. Des cadres juridiques locaux doivent être mis en place, pour faire en sorte que la responsabilité des destructeurs soit assumée et que les femmes soient dotées d’outils légaux pour agir et participer.

Il est également important d’élargir la solidarité internationale, car les luttes féministes et écologiques d’ici s’inscrivent dans celles mondiales contre le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. Ce que nous devons approfondir, c’est ce modèle alternatif qui conjugue justice environnementale, sociale et de genre, pour le rendre plus durable et plus largement partagé.

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.