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Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice a enseigné la littérature au collégial et est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle vient de publier Raccommodements raisonnables chez Somme toute/Le Devoir.
Alors qu’Elon Musk considère que l’empathie « détruit nos sociétés », notre bon premier ministre, lui, a adoré la série du même nom. Il finit même sa publication Facebook sur « Vive l’empathie ! ». Soulagement ? Le hic, c’est que ses politiques vont souvent à l’encontre de ce qui l’émeut dans la série. Et c’est particulièrement criant ces jours-ci, avec le projet de loi 106 sur « la responsabilité collective et l’imputabilité des médecins ».
Le doigt qui pointe la lune
« Une psychiatre jouée de façon extraordinaire par Florence Longpré arrive dans un hôpital psychiatrique. Elle est désorganisée, alcoolique, mal dans sa peau, mais à l’écoute, remplie d’humanité. Son collègue, Mortimer, a été élevé dans un milieu violent. Les 2, qui n’ont pas d’amis, le deviennent. Les personnages sont extrêmement attachants. La série nous fait rire et pleurer. Textes intelligents. Douceur, tendresse ! Gros coup de cœur ! Vive l’empathie ! » Ce sont les mots qu’a eus François Legault pour la série Empathie, magistralement écrite par Florence Longpré et réalisée par Guillaume Lonergan, qui mérite toutes les fleurs qu’on lui envoie.
Il y a bien sûr des vérités dans ces propos. Mais il y a aussi des omissions problématiques, qui ne sont pas sans rappeler la recommandation faite par notre premier ministre du roman Que notre joie demeure, suivie du moment où Kev Lambert, qui signe ce livre, avait recadré l’élu : comment pouvait-il parler de ce roman sans voir que son gouvernement, qui affaiblit le tissu social, était responsable de ce qui y était dénoncé ?
Ne pouvant être réduite à une relation touchante entre deux écorchés, Empathie nous plonge au cœur de notre système de santé. Et qui dit « système » dit « systémique » — un terme honni par notre gouvernement, qui s’arrête souvent au doigt qui pointe la lune.
La psychose et les troubles de santé mentale poussant dans le terreau fertile des traumatismes, du dénigrement, de la négligence et des dépendances, la série met en relief l’inégalité des chances et les parcours douloureux des personnes cumulant les oppressions et les bad lucks. L’amitié y est émouvante parce qu’elle éclôt au sein d’un système qui tient avec deux bouts de Scotch tape et beaucoup de bonne volonté.
La patiente jouée par Brigitte Lafleur meurt à cause du manque de matériel et de formation continue. Avant sa psychose, elle habitait dans des conditions exécrables : pauvreté, automédication, environnement toxique, alcoolisme, insalubrité… Le personnage joué par Benoît Brière, lui, a passé son enfance menotté à un radiateur. Négligence grave. Il n’a pas été « battu », il a été ignoré. Empathie le montre bien : les adultes ayant des troubles mentaux aujourd’hui sont souvent les enfants passés entre les mailles du système hier.
Si l’on aime tant la docteure Bien-Aimé, c’est parce qu’elle ne réduit pas ses patients à leur diagnostic. Elle est « à l’écoute, remplie d’humanité », écrit le premier ministre. Or, cette écoute et cette humanité nécessitent du temps. Patiemment, Suzanne gratte sous la surface des doses élevées d’antipsychotiques, elle relit les volumineux dossiers de ces personnes souvent polytraumatisées sur le plan psychologique. Elle ne joue pas à la psychiatre-dieu. Elle n’abandonne jamais ses patients et nourrit l’espoir d’une amélioration, même infime, pas après pas, soupe après soupe (salutations à monsieur « Costco »). Pourtant, par la lorgnette du PL 106, la Dre Suzanne Bien-Aimé serait jugée pas assez productive, paresseuse.
Les dernières miettes d’humanité
Le 8 mai dernier, la page Facebook « Spotted : Soigner au Québec » a été créée. Chaque jour depuis s’y accumulent les témoignages anonymes de soignants qui mettent en lumière l’incompatibilité du PL 106 avec une pratique humaine de la médecine. Une femme se présente avec une épaule disloquée, la médecin suspecte de la violence conjugale… devrait-elle fermer les yeux pour atteindre les objectifs de performance ?
Quiconque a déjà été traité en psychiatrie dans la vraie vie sait que l’approche productiviste est absolument irréaliste dans ce champ. Or, des critères de performance sont déjà en vigueur dans certains CIUSSS, ce qui oblige notamment des groupes de médecins à voir un certain pourcentage de nouveaux patients à l’intérieur d’un délai donné. Est-ce responsable de délaisser des patients (y compris jeunes, en pédopsychiatrie) dont la santé mentale n’est pas encore rétablie pour faire de la place à d’autres ?
Les craintes à l’égard du PL 106 sont nombreuses, comme en témoignent les multiples prises de parole des principaux intéressés : si ces critères de performance se multiplient, qui donc seront les personnes qui les fixeront ? Pour l’heure, un pédopsychiatre ne peut pas facturer deux fois une thérapie la même semaine. Dans le jargon de la facturation, « thérapie » s’applique à toute rencontre de 35 minutes ou plus. Or, les enfants aux prises avec des troubles de santé mentale requièrent temps, patience et lien. Facile d’imaginer qu’un jeune en crise, pour des idéations suicidaires, puisse requérir deux longues rencontres la même semaine. Mais le gouvernement n’a pas prévu ce cas de figure. Qu’en sera-t-il avec le PL 106 ?
Suivre davantage de patients en santé mentale pourrait être possible avec un réseau fort, mais quiconque n’a pas les moyens de se tourner vers le privé (au demeurant congestionné) sait que l’accès au public est compliqué, long, voire impossible. Si les psychiatres se voient dans l’obligation de « congédier » des patients, ils les congédieront vers quoi ? Le néant ? Info-Social ? L’urgence, qui retourne parfois des patients suicidaires à la maison quand ils n’ont pas de plan précis pour mettre fin à leurs jours, et qui finissent dans le journal parce qu’ils sont passés à l’action dans les heures suivantes ?
Suzanne Bien-Aimé est humaine : elle cherche à défaire les nœuds derrière les diagnostics, elle investigue pour mettre le doigt sur un trouble de l’attachement, vécu dans la jeunesse, doublé de traumatismes complexes. Elle ne veut pas être cette psychiatre qui expédie ses patients en 15 minutes. On lui dit souvent, d’ailleurs, qu’elle est « différente » — dans le bon sens. C’est cette différence que salue le premier ministre, alors que le système actuel ne valorise déjà pas ces façons de faire et que les praticiens de la santé craignent que le PL 106 les décourage plus encore.
Les patients ne veulent pas être pris en charge par des héros de la productivité — et les soignants eux-mêmes ne veulent généralement pas en être. Des politiques qui agissent aussi en amont des problèmes de santé mentale seraient plus constructives et pérennes : revenu minimum garanti, logement social, solutions à l’itinérance et aux dépendances… Mais l’empathie de nos décideurs est à géométrie très variable — il serait bien que les personnes les plus vulnérables de nos sociétés l’obtiennent aussi hors de la fiction.
« Vive l’empathie » n’est que du vent quand on n’adopte pas les politiques qui iraient dans ce sens et qu’on a le pouvoir de le faire. Le gouvernement a décidé de faire des médecins « paresseux » des boucs émissaires pour alimenter la grogne populaire. Ça ne grogne pas. Car la population veut des soins — mais surtout des soins humains. Ce n’est pas ce que rendra possible le PL 106, qui risque de gruger les dernières miettes d’humanité d’un système déjà en ruine et de rendre encore plus rares les approches à la Suzanne Bien-Aimé.
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