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La littérature et la musique entretiennent depuis longtemps des rapports fertiles. Dans cette série intitulée Lectures musicales, Le Devoir explore un genre musical et ses déclinaisons littéraires avec l’aide d’observateurs passionnés de notes et de mots. Cette semaine, on s’intéresse au country.
Quand Bob Dylan a gagné le Nobel de littérature en 2016 pour les textes de ses chansons, beaucoup se sont dit « enfin ! », mais d’autres — des puristes, j’imagine — se sont demandé pourquoi un chanteur avec une guitare qui fait guiling-guiling pouvait bien mériter un tel honneur. Car, cette année-là, ça arrachait le prix à un vrai « homme de lettres », c’est-à-dire un auteur qui n’est pas aussi compositeur-interprète. Bref. Grimace.
Qu’on se le tienne pour dit : une chanson–chef-d’œuvre, ça a une bonne mélodie, mais aussi des mots qui ont été grattés sur du papier. Et drums ou non dans la chanson, ces mots-là peuvent même donner le rythme. Oui oui. Au même titre que les airs folk et country qui, parfois, sont merveilleusement insérés dans des écrits. C’est l’ensemble des mécanismes qui propulse le train sur les rails.
Le roman québécois le plus western que je connaisse est Griffintown, de Marie Hélène Poitras, chroniqueuse au Devoir, publié aux Éditions Alto en 2012. Campé dans une écurie du quartier Griffintown à Montréal, il raconte les cabarets de la dernière chance de ceux qui y passent beaucoup de temps, même s’ils doivent régulièrement quitter leur repaire de Pointe-Saint-Charles, étant cochers dans le Vieux-Montréal. Il n’y a pas que les touristes à ramasser près du port pour gagner dignité et quelques dollars. Autour des calèches parkées à Griffintown : beaucoup de crotte de cheval, des peines, et des bouteilles vides.
Immanquablement, quand je lis des histoires de même, j’entends dans ma tête des classiques country comme There’s a Tear in my Beer, de Hank Williams, paru en 1950. Et, puisque je suis francophone, je crée, l’instant d’une pause-lecture, un court medley avec son adaptation Une larme dans ma bière, par le tout aussi disparu et tout aussi immortel Lévis Bouliane.
Comme dans les films
Plus de dix ans après la lecture de ce roman, j’ai eu envie de demander à Marie Hélène si elle s’était plongée dans ces répertoires pour son écriture. Car, selon mon souvenir, malgré tous les codes et archétypes westerns qu’elle y exploite — avec une poésie hors norme —, je n’avais aucun souvenir de figures musicales, même pas un pianiste honky-tonk dans le fond du saloon.
« Le film Il était une fois dans l’Ouest m’a évidemment marquée, particulièrement la trame sonore d’Ennio Morricone, souligne Marie Hélène. Je me suis dit : OK, je ne suis pas dans un film. Mais comment pourrais-je arriver à reproduire ce lyrisme, celui que les trompettes apportent, par exemple ? Parce que, enlève la musique dans les films de Sergio Leone : il n’y a plus la même poésie. »
Et c’est là, à ma relecture de Griffintown, qu’une énième richesse me hennit en plein visage : sa musique apparaît aussi dans les silences, ou en trame de fond sonore qui nous fait tout comprendre : « Le cow-boy désœuvré, sans monture, reste immobile un long moment à regarder Marie disparaître, avant de repartir vers le village fantôme dont les rues sont à cette heure arpentées par les sabots muets de chevaux de brume. »
C’est donc par un travail de la langue qu’elle y est parvenue, avec un style que son éditeur Antoine Tanguay avait surnommé « fleuri-brutal ». « Le fait que ce soit très, très écrit, parfois même à en former des alexandrins, fait en sorte qu’on ne reste pas au même niveau de réel », m’explique Marie Hélène. Tout cela a tellement de sens. Parce que la culture western, imprégnée dans l’inconscient, provient à la fois de réels moments historiques… et d’autres carrément inventés par le cinéma, hollywoodien ou spaghetti. Sans compter, pour Marie Hélène, l’inspirante plume du contemporain Cormac McCarthy (All Pretty Horses, No Country For Old Men, etc.).
Les cowboys du Saint-Laurent
Dans une langue très simple et parlée, le roman jeunesse Louise et les cowboys du Saint-Laurent, publié chez Boréal l’an dernier, nous amène aussi dans deux dimensions. Vous vous souvenez du film Jumanji ? Adaptation du livre pour enfants du même titre (Chris Van Allsburg, 1981), il a été un succès au box-office en 1995. Âgé d’une dizaine d’années, un garçon se voit aspiré par un mystérieux jeu de société qu’il trouve sur un chantier. Un quart de siècle plus tard, deux orphelins emménagent dans un manoir abandonné et trouveront, par d’étranges sons de tambour provenant du grenier, la même boîte de jeu… À leurs risques et périls.
Dans le roman de Victoria Lord, le grand-père de Louise l’a bien prévenue de ne pas plaisanter avec son captivant gramophone. Tous ceux qui l’auraient fait jouer auraient disparu. Mais Louise, préado passionnée de musique, timide, gaffeuse, anxieuse et se trouvant tellement ordinaire, se dit qu’elle pourrait faire jouer une chanson, juste une… question de mettre du piquant dans sa vie. « Elle attrape un disque au hasard dans la bibliothèque. Sur la pochette usée par les années, il y a la photo d’un homme et d’une femme qui se regardent tendrement. “Paul et Paule Chabotte”, lit Louise. Ils sont dans une grange, entourés de bottes de foin. Leurs habits rouges sont couverts de strass. La femme tient une contrebasse par le manche, alors que l’homme a un violon sous le bras. »
Wow, c’est badass. Moi aussi, comme Louise, j’aurais décidé de dépasser la frontière. Sans pouvoir imaginer que je me retrouverais catapultée en Gaspésie, en 1974, obligée à partir en tournée avec le célèbre duo country Paul et Paule Chabotte. Une traversée du Québec qui sera salvatrice pour Louise, elle qui n’osait même pas s’inscrire au spectacle de fin d’année malgré ses compositions à la guitare. Trop effrayée de monter (et d’avoir l’air nouille) sur scène.
Willie Lamothe, la famille Martel, la famille Daraîche ont nourri l’autrice. Pourquoi avoir choisi la fiction pour parler de notre héritage musical aux enfants ? « En proposant une histoire pleine de rebondissements pour accrocher les jeunes lecteurs, j’ai pu aborder par la bande tout ce que j’aime de la musique country. Les chansons peuvent paraître simples, mais il y a derrière le travail acharné des interprètes, la virtuosité des musiciens, leur authenticité et, surtout, des histoires bien ancrées dans l’émotion et le vécu. »
Bien que l’objectif premier de Louise et les cowboys du Saint-Laurent était d’éveiller la jeunesse d’aujourd’hui au vieux country, ne contient-il pas aussi le message que, grâce à la musique, on peut survivre à la vie ? Un long métrage inspiré du roman est actuellement en développement par les productions La Fête. Un Conte pour tous country ? Il est permis d’espérer…
En raccrochant avec Marie Hélène et Victoria, me voilà prise dans un vortex YouTube, voulant écouter toutes les versions inimaginables de l’épique chanson (Ghost) Riders in the Sky. Plus il y a de chœurs, et plus il y a de percussions imitant le galop, plus j’ai peur qu’on vienne aussi me chercher. Car, comme l’a si bien dit Dolly Parton, le country, c’est des histoires ordinaires racontées par des gens ordinaires, d’une façon extraordinaire.
Sur ma selle cet été
1. True Adventures With the King of Bluegrass, de Tom Piazza (Vanderbilt University Press, 1999) : un classique de journalisme musical dont je ne me tanne pas, sur le pas-toujours-aimable Jimmy Martin, qui s’est joint aux Blue Grass Boys de Bill Monroe en 1949. 2. James Lee Burke, qui parle beaucoup de country cajun et de zydeco dans ses romans (je n’ai juste pas encore choisi lequel lire). 3. J’ai téléphoné à Jean de la librairie Résonance (spécialisée en musique) pour qu’il me commande Roll Me Up and Smoke Me When I Die, les mémoires de Willie Nelson (Harper Collins, 2012). Ça arrive dans moins d’une semaine, et j’ai trop hâte d’aller voir mon libraire préféré !