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La question revient régulièrement : Donald Trump est-il réellement simple d’esprit ou s’agit-il d’une posture stratégique délibérée, mise en œuvre à des fins politiques ? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann, directeur de recherche honoraire au CNRS, auteur de « L’homme reconstruit » (Buchet Chastel), prend la question très au sérieux. Le langage simplifié utilisé par le président américain, marqué par des oppositions binaires à forte charge morale – typiques de l’univers de l’enfance –, revêtirait une fonction identitaire significative dangereuse, notamment pour les plus modestes.
Il aura suffi de l’élection d’un homme, à la tête du pays le plus puissant, pour que le monde assiste, stupéfait, à un bouleversement de la géopolitique et des règles de l’économie, à une remise en cause des valeurs culturelles et des fondements de la démocratie, à la relativisation du poids des institutions face à la volonté d’une seule personne. Dans ce contexte très particulier, au croisement de l’individualisation de la société et de la mondialisation, il semble intéressant de s’interroger sur ce qui se passe dans la tête de Donald Trump, quelles sont les modalités de son fonctionnement mental ; et leurs répercussions.
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Des débats ont déjà lieu pour savoir (à propos des droits de douane ou du DOGE, de l’Ukraine ou de Gaza) si Donald Trump met en œuvre un « art du deal » consistant à créer un état de choc initial lui permettant ensuite de négocier de façon plus raisonnable, ou si son intention première était sincère et que seul le poids du réel l’a ensuite forcé à faire marche arrière, dans l’improvisation et le chaos. Mais trop rares sont ceux qui osent aller plus loin et questionner directement les capacités et le fonctionnement mental du 47e président des États-Unis.
Je ne suis pas psychiatre, ni spécialiste des États-Unis, je ne suis donc pas le mieux placé pour établir un diagnostic médical ou une biographie suffisamment informée, mais il m’est possible par contre de souligner comment cette question s’articule avec la mutation des structures mentales à notre époque. Car nous ne pensons pas de la même manière aujourd’hui qu’hier.
Heureux les simples d’esprit
Sans qu’il soit besoin de développer une expertise psychiatrique, quelques caractéristiques pourtant sautent aux yeux, dont l’obsession pour les calculs bassement mercantiles. Il utilise un vocabulaire très réduit, ce qui le pousse à forcer le sens de certains mots, et de les écrire en majuscules dans ses tweets. Ce langage réduit correspond à des catégories de pensées elles-mêmes réduites et rudimentaires, fondées sur une opposition binaire à portée morale : il y a les méchants et les gentils, les perdants et les gagnants, des choses qui ne sont pas bien et d’autres qui vont dans le bon sens.
Ce type de fonctionnement mental est caractéristique de l’enfance, et certains commentateurs inquiets se sont d’ailleurs demandé quels étaient les « adultes dans la pièce » parmi l’entourage de Donald Trump. Mais le plus important à souligner est qu’il s’agit d’une pensée simple, ou simpliste si l’on préfère, se prêtant si bien à une mise en récit autour de quelques slogans (Make America Great Again) qu’elle peut même intégrer des incohérences, contradictions et revirements. La conviction de l’instant entraînant une réécriture instantanée du narratif.
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Donald Trump surjoue-t-il le simplisme ou est-il vraiment ainsi, simple d’esprit ? Dans le langage d’aujourd’hui, le terme a pris une évidente connotation négative, qui renvoie à une pauvreté cognitive, si ce n’est une déficience pathologique. Mais il est intéressant de remonter à des usages plus anciens, notamment dans la Bible. Quand on lit dans l’Évangile de Matthieu « Heureux les simples d'esprit, car le royaume des cieux leur appartient », il ne faut pas imaginer des débiles mentaux mais des personnes tellement engagées dans une foi sincère qu’elles refusent de se brouiller l’esprit avec des pensées de type analytique et critique.
Le tournant identitaire
Car toute la question est là, dans la montée de ce type de pensée, se voulant rationalisante et imitant la démarche scientifique, fondatrice de la modernité depuis les Lumières. Au cœur de la gestion de la société, dans les grandes institutions étatiques et l’exercice du gouvernement : il en résulte des dossiers d’une complexité inouïe, bien difficiles à expliquer clairement à la population, très loin d’un narratif simpliste. Mais aussi au niveau de l’individu lui-même, dans sa vie ordinaire : comment peut-on tout remettre en question et garder la cohérence de soi ?
C’est cette limite à la montée de la réflexivité de type rationnel, conjuguée à l’individualisation, qui explique le tournant identitaire, qui a remodelé nos sociétés dans l’après-guerre. Le processus identitaire ne se résume pas aux affirmations de quelques minorités, de nationalismes exacerbés ou autres fondamentalisme religieux, il intéresse tout le monde, nous sommes tous désormais contraints à la fabrication permanente de notre identité. Pour une raison simple : parce que l’individualisation a brisé les cadres sociaux et moraux qui définissaient les individus.
Aujourd’hui, alors que ce cadrage venu de l’extérieur est devenu plus incertain et mouvant, les individus sont contraints d’en élaborer un substitut, qui leur permette, tout simplement, de pouvoir penser avec un minimum de suivi et de cohérence, et même d’agir, de se reposer sur des évidences constitutives de leur existence. Telle est la nouvelle donne de la médiation cognitive, filtrage mental préalable où s’élabore le guidage identitaire de nos pensées et de nos actions.
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La production identitaire nécessite toujours une simplification extrême, en forme de croyance. Mais elle se développe de façon très différente sur l’échiquier social. Les milieux aisés et les milieux diplômés ont des ressources et des inscriptions relationnelles qui leur permettent de jouer avec des identifications multiples et changeantes. La simplification est passagère.
Elle laisse même la possibilité d’ouvrir des espaces de pensée de type rationnel et une ouverture aux faits tels qu’ils se donnent à voir. Les plus démunis au contraire sont contraints de s’enfermer dans des certitudes défensives, en adoptant une pensée binaire qui, en cas de fragilité, restaure d’autant mieux l’estime de soi qu’elle devient agressive contre un ennemi constitué en bouc émissaire. Hier les plus démunis n’étaient victimes que de la pauvreté et du mépris de classe, aujourd’hui s’y surajoute le risque d'enfermement identitariste.
Un leader de type nouveau ?
C’est le tournant identitaire qui, parmi les déshérités de la planète, alimente le populisme, les leaders ne font qu’utiliser la vague venue d’en bas. Et ils suivent le mouvement du changement cognitif qui est à l’œuvre. Certains obtiennent leur succès grâce à leur compétence d’acteurs, sachant jouer de la binarité simpliste, pour tisser un récit entraînant, contre les étrangers ou les élites, voire contre des « nazis » imaginaires comme le fait Poutine.
Mais le peuple condamné au simplisme par le tournant identitaire n’en est pas moins intelligent pour autant. Il observe, et sait débusquer, les moindres manques d’authenticité et de sincérité. Il se pourrait donc qu’un nouveau type de leader émerge dans l’avenir, plus convaincant parce que réellement simple d’esprit, et nous entraîne dans des aventures encore plus incertaines. Mettre Donald Trump sur le divan me semble donc aujourd’hui une question politique d’importance majeure.