NE LAISSER PAS LE 5G DETRUIRE VOTRE ADN Protéger toute votre famille avec les appareils Quantiques Orgo-Life® Publicité par Adpathway
Sept ans après avoir remporté le prix de la mise en scène dans la section Un certain regard pour son drame de guerre Donbass, le cinéaste ukrainien Sergueï Loznitsa était de retour mercredi avec Deux procureurs (Dva prokourora), qui, lui, concourt pour la Palme d’or. On y suit la vaine quête de justice d’un jeune juriste idéaliste en Union soviétique en 1937, c’est-à-dire au faîte des Grandes Purges staliniennes, ou de la Grande Terreur, au choix. Avec un sens marqué de l’absurde, mais un sérieux de chaque instant, Sergueï Loznitsa s’en prend à la bureaucratie, au fonctionnariat et à la corruption politique à paliers multiples.
Il faut savoir que Deux procureurs est inspiré d’un roman de Gueorgui Demidov (1908-1987), un scientifique et un écrivain qui a connu le goulag. À cet égard, il n’est pas étonnant que Sergueï Loznitsa ait souhaité l’adapter. De fait, en 2017, le cinéaste a réalisé le documentaire Le procès, qui revient sur un procès stalinien fomenté en 1930 contre des scientifiques. Qui plus est, Loznitsa a lui-même un passé de scientifique. Bref, par-delà les époques, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer.
L’une des premières séquences montre comment, dans une prison, un détenu est mandaté pour brûler les milliers de lettres écrites par les prisonniers. L’homme en lit quelques-unes : toutes évoquent de fausses accusations et en appellent à Staline.
Par miracle, une des missives parvient jusqu’au procureur Kornev, diplômé en droit depuis à peine trois mois. Le voici donc à la prison, réclamant un entretien avec ledit détenu, au grand dam des geôliers. Kornev tient bon.
Photo: SBS Productions
Une scène du film «Deux procureurs» de Sergei Loznitsa, présenté à Cannes
S’ensuit une longue séquence à la fois cocasse et anxiogène dans un dédale de couloirs et de portes. Devant chacune de celles-ci se tient un garde, et chaque garde détient la bonne clé. Par cumul, la vision de ces portes successives qu’on déverrouille, ouvre, referme et verrouille de nouveau derrière Kornev devient écrasante.
Ce n’est qu’après s’être entretenu avec le mystérieux prisonnier, dont les révélations choquent Kornev, que ce dernier partira pour Moscou afin d’alerter le fameux procureur en chef.
Satire sans rire
Tout du long, Kornev paraît lancé sur un parcours à obstacles, et pas qu’administratifs : il faut le voir, tombant de sommeil, subir l’interminable anecdote d’un vieux bolchevique décidé à le garder éveillé. À cet égard, à chaque personnage croisé son monologue. Là encore, Loznitsa imprime à son film un effet répétitif. Effet répétitif qu’on retrouve également dans tous ces escaliers que gravit Kornev, et qui parfois semblent ne mener nulle part.
Comme si des forces extérieures complotaient pour freiner le jeune homme dans son élan… On pourra évidemment voir là une manifestation du régime.
À noter que des « forces » semblables se déchaînaient contre l’héroïne d’un précédent long métrage de Loznitsa : Une femme douce (2017), d’après Dostoïevski. L’héroïne de cet autre film sélectionné à Cannes tente de faire parvenir un colis à son mari injustement incarcéré. Le contexte est moderne, mais les thèmes et les motifs sont similaires à ceux de Deux procureurs.
Sans être un coup de cœur, Deux procureurs impressionne par sa maîtrise et son côté « satire sans rire » très particulier.
Les jeunes filles et la mort
Premier long métrage de Mascha Schilinski, Sound of Falling (In die Sonne schauen) est aussi envoûtant que frustrant. La réalisatrice allemande y alterne des fragments de vie de quatre personnages féminins — une enfant, deux adolescentes et une toute jeune femme — ayant en commun de vivre dans la même ferme au cours d’une période d’un peu plus de cent ans. Outre la grande maison, une grange, un champ et une rivière s’avèrent des lieux importants. Au gré de ce qui s’apparente à un flot de souvenirs entremêlés, on assiste à divers moments tournant le plus souvent autour des thèmes du désir et, surtout, de la mort. D’ailleurs, le film commence et se termine avec une photo de défunt, une tradition macabre d’antan. Il faut voir la petite Alma, la plus jeune des protagonistes, reconnaître sur sa sœur décédée avant sa naissance la robe noire qu’elle porte à présent. Sur la même photo, leur mère, ayant tourné la tête, ressemble à un fantôme. Ce motif reviendra plus tard lorsqu’un autre personnage, ayant quitté en hâte un portrait de famille, apparaît ensuite tel un fantôme sur l’instantané. Chacune à son époque, trois des protagonistes fantasmeront leur propre mort, tandis qu’une quatrième mettra fin à ses jours. L’ensemble des segments se déroulant en été, la facture est solaire, éthérée, comme dans un rêve (ou comme dans un film de Sofia Coppola : on sent dans les parties plus récentes l’influence de The Virgin Suicides/Cri ultime). Or, avec cette mort qui rôde, cela autant lors d’une veillée funèbre que dans les jeux d’enfants, le film dégage en permanence une atmosphère funeste. Plusieurs images frappent l’imaginaire. Il est toutefois certains éléments narratifs inaboutis (la présence de deux oncles amputés à deux époques dans deux des périodes historiques, les relents d’inceste). Le volet campé à l’aube de la Première Guerre mondiale, vu à hauteur d’enfant, est le plus réussi (et le plus visuellement ambitieux), et celui ayant pour cadre le présent l’est le moins. À terme, on reste avec une vague impression de confusion, comme si on essayait de voir à travers l’eau limoneuse de la rivière qui jouxte la ferme. Ou plutôt, c’est comme si Mascha Schilinski, dans ce portrait en quatre temps, n’était parvenue à capter que la part évanescente des personnages et des événements, comme la mère sur la photo de la fillette trépassée. Il reste les fantômes, il reste le flou. C’était peut-être voulu, après tout.
François Lévesque est à Cannes à l’invitation du Festival et grâce au soutien de Téléfilm Canada.