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Cher collègue, Gordon Louis Aronoff, en tant qu’enseignante travaillant depuis trente ans dans le réseau collégial, j’ai lu avec intérêt votre texte « Le Québec doit reprendre le contrôle de ses cégeps », dans Le Devoir. Votre expérience au sein du réseau et vos préoccupations pour nos étudiantes et étudiants méritent respect. Permettez-moi de partager une perspective différente sur des enjeux qui vont bien au-delà de la posture idéologique que vous semblez y voir, et des « champs de bataille » qui diviseraient nos communautés collégiales.
Les initiatives en équité, diversité et inclusion (EDI) et les approches décoloniales suscitent des questions normales et saines. Des concepts que vous qualifiez de « flous » s’ancrent pourtant dans une riche littérature scientifique s’appuyant sur des cadres théoriques développés depuis 40 ans dans une pluralité de disciplines. Elles ne relèvent pas de dogmes, mais plutôt de démarches intellectuelles rigoureuses soutenant un désir de documenter des mécanismes d’exclusion bien réels. Ces postures cherchent à enrichir nos contenus d’enseignement en intégrant des perspectives longtemps invisibilisées ou marginalisées. Elles n’impliquent pas d’abandonner les corpus classiques ou de les dévaloriser, mais bien de les interroger et de les compléter. Il s’agit donc davantage d’une invitation à explorer la complexité du monde que d’une volonté d’imposer une pensée unique.
Vous laissez entendre que les collèges s’éloigneraient de leur mission d’accessibilité. J’y vois plutôt l’occasion de bonifier de façon cohérente, responsable et intelligente cette mission actuellement menacée par des coupes budgétaires sans précédent.
Au cours de mes trois décennies comme enseignante en anthropologie, j’ai eu le privilège de mesurer à maintes reprises les effets d’une plus grande inclusivité dans nos cégeps. Les initiatives que vous critiquez visent justement à lever les obstacles à l’accessibilité qui empêchent certains groupes historiquement marginalisés et en quête d’équité de déployer leur plein potentiel. Qui plus est, si les cégeps mettent en place des mesures concrètes en matière d’EDI (équité, diversité, inclusion), de décolonisation ou de justice sociale, c’est parce que ces enjeux ne relèvent pas d’une tendance passagère. L’engagement des collèges constitue une réponse à des responsabilités légales, éthiques et éducatives. Elles s’inscrivent dans notre mission collective de former des citoyennes et citoyens capables de vivre en paix dans une société plurielle, qu’on soit d’accord ou pas avec cette diversité. N’est-ce pas là l’essence même d’une éducation dite supérieure ?
Votre proposition d’imposer un cadre uniforme à tous les cégeps est préoccupante. L’autonomie institutionnelle permet à chaque établissement de répondre aux besoins spécifiques de sa communauté, tout en maintenant des standards éducatifs élevés. Cette diversité identitaire des établissements collégiaux est une grande richesse de notre système, non une faiblesse. Vous placez en opposition programmes éducatifs et orientation idéologique. Cela m’amène à réfléchir plus en profondeur encore. L’éducation n’a jamais été un territoire neutre. Elle s’inscrit inévitablement dans des contextes sociaux et historiques mouvants. Ce que vous percevez comme du « militantisme » est reçu par d’autres, et de façon aussi valide, comme une prise de conscience nécessaire des biais implicites qui façonnent nos programmes depuis que l’école existe.
Nommer ces biais n’équivaut pas à mettre de côté la rigueur, bien au contraire. Liberté et responsabilité pédagogiques peuvent coexister, et elles peuvent le faire en tenant compte des rapports de pouvoir en présence dans nos salles de classe. Reconnaître ces dynamiques ne peut être réduit à un lavage de cerveau ou à de la censure. Il s’agit plutôt de chercher à enseigner de manière plus responsable en évitant les raccourcis intellectuels et les glissements populistes à la mode.
Je partage votre avis sur l’importance d’une éducation rassembleuse. Un véritable rapprochement ne peut se faire en évitant les conversations difficiles. C’est en abordant ouvertement les défis collectifs que nous pouvons (re)construire des liens parfois abîmés. Certes, l’EDI et les approches décoloniales provoquent des réactions d’inconfort. Mais l’expérience de cet inconfort est essentielle et formatrice parce qu’elle nous pousse à remettre en question nos repères, à repenser certains réflexes et à ouvrir des dialogues où l’on apprend et évolue. J’ai la conviction que nous partageons le même désir d’offrir un enseignement à la fois rigoureux et en phase avec les réalités de nos étudiantes et étudiants.
Collègue, votre appel à recentrer les cégeps sur leur responsabilité éducative fondamentale résonne avec mes propres convictions pédagogiques. Je crois que cette mission exige des actions réfléchies et consciemment respectueuses de toutes les populations étudiantes qui choisissent de s’asseoir dans nos classes. Plutôt que de voir dans des évolutions sociétales, conceptuelles et langagières une menace à la liberté, je vous invite à considérer qu’elles pourraient peut-être représenter l’aboutissement logique des idéaux démocratiques qui nous ont motivé·es à choisir l’enseignement.
Nos étudiantes et étudiants sauront encore mieux que vous et moi, et dans leurs propres mots, nommer leur besoin d’une éducation qui les prépare à contribuer positivement au collectif social mais aussi qui honore toutes leurs diversités.
Respectueusement,
Julie Gauthier
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