Autrefois pays des bonnes manières, la France est en train de devenir la nouvelle nation des incivilités. La civilité est pourtant un art à la portée de tous, qui, bien maîtrisé, mène à une vie sociale harmonieuse. Les bonnes manières ont la vertu d’être universelles, sans distinction de race, de religion ou de milieu social. Elles sont aussi naturellement communicatives et appréciées de tous.
La civilité et les bonnes manières occupent une place centrale dans l’identité culturelle française et plus largement dans la civilisation occidentale. Les valeurs de politesse, d’urbanité et de retenue ont été célébrées à travers les siècles comme des vertus sociales, faisant de la France un modèle civilisationnel pour les autres nations.
Mais aujourd’hui, ce modèle est en train de s’inverser. Une commune suisse, située à une dizaine de kilomètres de la frontière française, a décidé récemment d’interdire l’accès à la piscine aux Français, à cause de «comportements inappropriés» et d’ « incivilités » de « bandes de jeunes » venant de France. Nous assistons à une explosion de ces incivilités en France.
Revenons sur nos pas, pour comprendre pourquoi la civilité fait partie intégrante de la culture française et ce que nous perdons en laissant les incivilités gagner.
La civilité, pilier de l’identité française et occidentale
En France, la civilité est bien plus qu’un ensemble de règles, elle est constitutive de notre sociabilité. Selon Dominique Picard, professeure émérite de psychologie sociale, la politesse est « un art de la vie en société » qui crée du lien entre les individus. Les formules de politesse (« Bonjour », « Merci », « S’il vous plaît », « Pardon », « Je vous en prie ») et les titres de civilité (« Monsieur », « Madame ») structurent les interactions, réduisent les frictions et favorisent la coexistence.
Cette importance accordée à la civilité s’inscrit dans une tradition humaniste héritée de la Renaissance, où l’individu est appelé à se perfectionner pour mieux vivre en communauté. Contrairement à d’autres cultures qui privilégient le rapport de force verbal ou la violence physique, la civilité française s’inscrit dans une tradition occidentale plus large, marquée par une capacité à l’esprit critique et une régulation des comportements.
Norbert Elias, dans La Civilisation des mœurs (1939), analyse ce « processus de civilisation » comme une domestication progressive de l’agressivité et une régulation des pulsions par des normes sociales. Les manuels de civilité, en explicitant ces normes, ont permis de structurer et d’apaiser les interactions dans une société de plus en plus complexe.
En France, le savoir-vivre est perçu comme un élément de l’identité nationale. Frédéric Rouvillois, dans Histoire de la politesse de 1789 à nos jours, souligne que les bonnes manières sont un « bien commun » qui reflète des valeurs comme la loyauté, le courage et l’honnêteté. L’étiquette française est un symbole de prise en compte d’autrui avant soi-même, renforçant l’image d’une France comme le berceau de la culture occidentale.
Une image qui est malheureusement en train de s’inverser aujourd’hui.
La France, nouvelle nation des incivilités
Malgré son ancrage dans la culture française, la civilité est aujourd’hui confrontée à des défis, marqués par une montée des incivilités dans l’espace public. Ces comportements, souvent perçus comme des atteintes au vivre-ensemble, reflètent des tensions sociales et communautaires de plus en plus exacerbées au sein du peuple français.
Quelques exemples récents alertent d’une situation devenant hors de contrôle. Le 1er juillet dans la Sarthe, un aquaparc familial a été contraint de fermer juste après son ouverture face à des violences et des incivilités. Plus de 200 jeunes venant des cités alentours ont envahi la structure, ne respectant ni le droit d’entrée ni les règles de sécurité et manifestant de la violence envers le personnel. Le propriétaire a été contraint de fermer le parc aquatique, au détriment des familles et de son commerce.
Depuis le 4 juillet en Suisse, des incivilités ont entraîné l’exclusion des Français de la piscine de Porrentruy, située à quelques kilomètres de la frontière française, en raison « de comportements inappropriés, d’incivilités et de non-respect des règles en vigueur ».
Plusieurs piscines en France, comme dans le Bas-Rhin, ont vu leur personnel exercer leur droit de retrait devant des groupes d’individus qui les ont insulté et les ont menacé physiquement, quand on leur a rappelé de respecter les codes de conduite de l’établissement.
La liste des incivilités s’allonge jour après jour. Dans les grandes villes, elles s’exacerbent dans les transports en commun, dans la rue et sur les trottoirs, dans les établissements scolaires, dans les commerces, etc. et se manifestent par des comportements agressifs, des insultes, des bousculades, les conversations bruyantes au téléphone, la saleté, etc.
Selon Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, la multiplication des incivilités est liée à plusieurs facteurs : l’urbanisation croissante, le multiculturalisme qui confronte des normes culturelles différentes et le manque de respect envers les symboles de l’autorité.
On peut y ajouter une société de plus en plus individualiste, des jeunes voyant le monde à travers le prisme des réseaux sociaux, un état d’esprit anti-français alimenté par des tensions communautaires, religieuses et politiques.
Pourtant, depuis l’Antiquité jusqu’à la Révolution, la politesse a permis de civiliser le continent européen en domestiquant la violence au cours des siècles et en apportant aux hommes des bonnes manières permettant de vivre en société.
Une brève histoire de la civilité française de l’Antiquité à nos jours
La civilité dans l’Antiquité et au Moyen-Âge
On parlait déjà de bienséance et de civilité dans l’Antiquité. Pour Platon, l’homme de la cité doit faire preuve de modération, condition essentielle à l’émergence de la civilisation. Quatre vertus cardinales étaient au sommet de la cité : la sagesse, le courage, la tempérance et la justice. Elles étaient entendues comme un travail sur soi, une recherche d’une harmonie entre soi et les autres.
Au Moyen Âge, la politesse revêt une dimension plus spirituelle. La courtoisie fait son apparition au XIIe siècle à la cour des seigneurs et dans les codes de la chevalerie. La notion de courtoisie désigne à la fois des aspects intérieurs comme la modestie, l’humilité et le contrôle de soi, et des aspects extérieurs comme la modération des gestes, la domination des instincts et le respect des codes voulus par la société.
L’apogée de la Renaissance et des temps modernes
La Renaissance voit l’émergence d’une codification du savoir-vivre avec la publication du premier traité consacré aux bonnes manières en France. Le philosophe et humaniste Érasme écrit le Traité de civilité puérile qui marque un changement majeur dans les codes de l’étiquette. Érasme y définit la civilité comme la capacité à « ignorer les fautes d’autrui tout en évitant soi-même d’en commettre ». Ce traité marque un tournant, en posant les bases d’un savoir-vivre universel, au-delà des seules élites aristocratiques. Tout au long de son manuel, Érasme veut faire quitter aux jeunes enfants leur « barbarie » et les mener vers la civilité. Selon lui, l’homme civilisé parvient à exprimer les valeurs bienveillantes de l’humanité présente dans sa nature, en l’arrachant aux instincts mauvais de son animalité, lui permettant de sortir de la barbarie. Une considération civilisationnelle qu’il serait utile d’apprendre aujourd’hui aux jeunes élèves pour canaliser leur propre violence.
L’idéal français de la civilité naît avec l’idéal de l’honnête homme du XVIIe siècle. Antoine de Courtin publie en 1671 le plus célèbre des traités de l’époque, le Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens. Ce texte, traduit en plusieurs langues, reflète l’influence du modèle français des bonnes manières à travers l’Europe. On sait depuis l’antiquité que l’esprit anoblit l’homme (« De tes études en sagesse viendra ton vrai lustre, ton anoblissement », Sénèque) et au fur et à mesure que l’on avance dans le XVIIe siècle, un changement se fait sentir dans la conception de la nature humaine, que l’on veut entourée d’un mariage entre l’héritage chrétien du Moyen-Âge et l’héritage antique gréco-romain.
En parlant de la civilité, Courtin note que « le mot même de contenance l’exprime tout seul, en ce que venant du mot contenir, une personne n’est censée avoir de la contenance, que parce qu’elle contient en premier lieu ses passions ». L’honnête homme doit aussi apprendre à repousser, selon Courtin, l’animalité au profit de la raison : « La raison nous dicte naturellement que plus nous nous éloignons de la manière des bêtes, plus nous nous approchons de la perfection où l’homme tend par un principe naturel pour répondre à la dignité de son être. »
Cette période marque l’essor des salons, où la conversation devient un art. Elle permet de civiliser l’homme, de mettre des mots sur ses maux ainsi que d’exprimer ce qu’il y a en lui de plus beau. Le critique littéraire Marc Fumaroli parle d’un « âge de la conversation », où la civilité devient synonyme de sociabilité et de raffinement.
La civilité à l’épreuve de la Révolution et de l’époque contemporaine
La Révolution de 1789 bouleverse les codes de la civilité et oblige les Français à se séparer de toutes formes de politesse. Le gouvernement révolutionnaire entre en guerre contre les bonnes manières et instaure la lutte des hommes contre les hommes. Le vouvoiement, l’emploi de ‘Monsieur’ ou ‘Madame’ et même les formules de politesse comme « merci », sont perçus comme des marques de servilité et deviennent prohibés face à la « nouvelle civilité républicaine ».
En 1793, dans ses Pensées républicaines pour tous les jours de l’année, le « citoyen » Gerlet, auteur du catéchisme républicain, explique que « c’est insulter ses amis que de les remercier de quelque chose. » Cette «anti-politesse» faisait partie intégrante des idéaux de la Révolution pour détruire la culture du passé.
À la chute de Robespierre en 1794, cette anti-politesse connaîtra un déclin. L’arrivée de Napoléon au pouvoir en 1799 sonne le retour des bonnes manières. Napoléon officialise une nouvelle étiquette impériale et instaure une œuvre de civilisation colossale, le Code civil. Le Code civil (1804) sera écrit comme « un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité ». Plusieurs articles du Code se basent sur les « règles de la courtoisie et de la bienséance » pour juger le bien du mal dans les affaires humaines. « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles […]. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil », dira Napoléon à Sainte-Hélène en 1815.
Ce retour à la civilité reflète un besoin de stabilité après les bouleversements révolutionnaires. Plus de 350 manuels de bonnes manières verront le jour en France entre la fin de la Révolution et la Première Guerre mondiale. L’Empire et la République n’auront de cesse que d’essayer de rétablir ces codes de bonnes manières.
En France, les évènements de Mai 68 finissent de chasser les bonnes manières en imposant un libéralisme social et la disparition des anciennes règles de savoir-vivre. Une fois de plus, la galanterie et la politesse sont reléguées au rang d’une hypocrisie sociale contre laquelle il faut lutter. Les « soixante-huitards » les qualifiaient de « domination masculine », alors que la femme avait dans le passé une forme de supériorité morale par la vie qu’elle pouvait donner et l’homme avait comme devoir de la respecter et de la protéger.
Depuis les années 2000, on observe un regain d’intérêt pour la civilité et les bonnes manières, notamment dans l’Éducation nationale mais, alors que la civilité était synonyme de contenance et de travail sur soi, elle rime aujourd’hui aux comportements extérieurs à adopter face aux questions politiques et sociales du moment : discrimination envers les minorités ethniques et sexuelles, dérèglement climatique, citoyenneté européenne, laïcité, etc.
Ces nouvelles règles venant du champ politique complexifient des codes de conduite considérés pour la plupart comme extérieurs à l’homme et rendant quasiment impossible leur application. Il faudrait plutôt revenir aux bases d’un savoir-vivre centré sur le vrai travail sur soi, celui qui civilise à la fois le corps et l’esprit.
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