Le 17 juin dernier, le lieutenant-général à la retraite Michel Maisonneuve publiait dans le National Post un texte coup-de-poing sur l’état des Forces armées canadiennes, intitulé « Canada’s military can’t be fixed with cash alone ». Il y accueillait avec prudence l’annonce de Mark Carney, qui promet d’atteindre dès 2025-2026 la cible de 2 % du PIB en dépenses militaires, objectif de l’OTAN que le Canada s’obstine à ignorer depuis plus d’une décennie. Maisonneuve y exprime cependant un doute fondamental : si les structures restent inchangées, si la culture ne se réforme pas, si les lourdeurs bureaucratiques persistent, alors même des milliards n’y feront rien.

Cette mise en garde rejoint plusieurs critiques déjà formulées dans un article que j’écrivais en 2024, à propos du désengagement militaire canadien et des propos de Donald Trump sur l’OTAN. Ce que les deux textes révèlent — au-delà des divergences politiques — c’est une crise structurelle profonde, qui ne se réglera pas par des annonces électoralistes ou des augmentations budgétaires isolées.

Carney rompt avec Trudeau, mais suffira-t-il d’un chèque?

Selon Michel Maisonneuve, la promesse de Mark Carney d’atteindre la cible de 2 % du PIB est « long overdue », mais elle est bien accueillie. Après des années de tergiversations et de sous-financement chronique sous Justin Trudeau — qui aurait affirmé en privé que le Canada « n’atteindra jamais » l’objectif de l’OTAN — cette volte-face représente une rupture symbolique importante. Maisonneuve note que le financement serait déjà approuvé par le Conseil du Trésor, ce qui indique une volonté politique réelle.

Une portion significative de l’enveloppe de 9 milliards $ irait aux salaires et avantages des militaires, dans le but de freiner l’hémorragie des départs et de rendre la carrière plus attrayante. Des bonis à la réintégration seraient à l’étude, et l’embauche de personnel civil serait accrue pour soutenir l’administration. Maisonneuve y voit là un risque : « Je m’interroge sur le bien-fondé d’ajouter encore à une fonction publique déjà hypertrophiée », écrit-il.

Une armée en ruine : matériel désuet, casernes délabrées, moral en chute libre

Maisonneuve ne mâche pas ses mots : moins de la moitié des véhicules, navires et aéronefs sont pleinement opérationnels. L’infrastructure militaire est en délabrement avancé : bases, logements, centres d’entraînement et manèges militaires sont vétustes, affectant à la fois la logistique et le moral des troupes. Les soldats doivent parfois payer de leur poche pour des équipements élémentaires, une situation dénoncée depuis plusieurs années, y compris dans mon propre article de 2024.

À cela s’ajoute un autre problème majeur : la sous-utilisation chronique du budget de la Défense. Environ 1 milliard $ par année ne sont pas dépensés, faute de personnel pour gérer les projets, ou à cause de chaînes d’approvisionnement kafkaïennes et d’un système d’approvisionnement inefficace. Comme le notait déjà un rapport interne, entre 2017 et 2021, l’armée canadienne n’aurait même pas réussi à dépenser 10 milliards $ qui lui avaient été attribués.

Des réformes attendues : une nouvelle agence d’approvisionnement, mais quelle efficacité?

Parmi les mesures annoncées, la création d’une nouvelle agence de passation de marchés supervisée par un secrétaire d’État — potentiellement en uniforme — est vue comme un pas dans la bonne direction. L’achat local, la diversification des fournisseurs et la reconstitution des stocks de munitions sont identifiés comme prioritaires.

Le Business Council of Canada appuie l’élaboration d’une stratégie industrielle nationale en matière de défense, ce qui semble marquer un début de concertation entre les milieux économiques et l’armée. Mais là encore, Maisonneuve met en garde : sans une mise en œuvre intergouvernementale, fondée sur la confiance avec le milieu industriel et académique, le projet échouera.

La culture militaire en question : entre inclusion et efficacité

Enfin, l’ancien général soulève une question hautement sensible : le rôle des politiques identitaires au sein de l’armée. Sans s’opposer à la diversité, Maisonneuve affirme qu’il faut en finir avec la « performance symbolique » et remettre l’accent sur l’éthique du devoir, de la discipline, de l’honneur. L’objectif de la défense nationale ne peut pas être subordonné à des impératifs de signalement vertueux : « La fonction militaire doit refléter les valeurs canadiennes, mais ce n’est pas un terrain d’expérimentation sociale », dit-il. La priorité doit rester la préparation au combat et la capacité à faire face à des menaces réelles.

Cet appel à un retour à une culture du mérite et de l’efficacité rappelle les critiques déjà formulées dans mon texte de 2024 : les campagnes de recrutement aux accents wokes ne parlent pas aux profils recherchés, et contribuent à rendre la carrière militaire peu attrayante pour ceux qui seraient prêts à se battre, non à militer.

Réformer pour exister : une question existentielle pour l’OTAN

Comme je l’écrivais alors, les critiques de Trump sur les membres de l’OTAN qui ne paient pas leur part peuvent paraître brutales, mais elles touchent un point névralgique. Le Canada a, depuis des années, manqué à ses engagements envers ses alliés, sapant la crédibilité de sa parole. Que ce soit en Lettonie, en Haïti ou en Turquie, l’image du Canada est celle d’un partenaire timide, plus prompt à donner des leçons qu’à fournir de l’aide concrète.

Le texte de Michel Maisonneuve, tout comme mon analyse précédente, convergent donc sur une conclusion essentielle : ce n’est pas un problème de fonds, c’est un problème de volonté. Nous avons l’argent, le savoir-faire, le personnel — ce qui manque, c’est une réforme structurelle de notre système militaire et administratif, ainsi qu’un engagement clair, stable et à long terme envers notre propre sécurité.