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L’exposition Battre le pavé. La photo de rue à Montréal ne fait pas que célébrer le genre documentaire. Le Musée McCord Stewart dresse une double histoire, celle de la ville et celle de la photographie, comme si les deux avaient évolué main dans la main.
Battre le pavé, ce sont 160 années de photographies, la plupart issues des réserves du musée. Elle va de l’époque des pionniers — les William Notman et autres membres de l’élite anglo-montréalaise — jusqu’à celle de l’accessibilité et de la facilité qui caractérisent le XXIe siècle.
Avec 400 images d’une trentaine d’artistes, la commissaire Zoë Tousignant, conservatrice du secteur photographie au McCord, a voulu faire une vaste exposition reflétant le plus de points de vue possible. Si elle s’est limitée à « trente corpus », excluant d’emblée certains documentaristes de rue majeurs, c’est pour mieux diversifier le contenu. Elle a retenu des « inconnus » et fait attention à féminiser, avec raison, le métier — cinq professionnelles font partie du lot. Inclure le regard de celles et ceux qui vivent la rue au quotidien allait aussi de soi. De là une louable initiative : prêter des appareils photo à six camelots de L’Itinéraire. La mosaïque d’images que ces femmes et ces hommes ont rendue a été intégrée au reste de l’exposition.
Mais qu’est-ce que la photographie de rue ? L’exposition y répond, sans donner une définition arrêtée. Plus ou moins clair, le parcours en six sections repose sur un sujet à la fois intemporel et muable qui relève, par essence, de la perception, de la subjectivité, et non de données objectives.
Le regard que pose Brian Merrett sur l’architecture s’accompagne d’un commentaire. Les angles exploités dans sa série 45° on De Maisonneuve (1982) rendent compte des formes architecturales qui créent des espaces extérieurs près des trottoirs, mais dont l’usage, ou le bénéfice, ne serait pas pour tout le monde. Il en est tout autrement des images « carte postale », littéralement, produites au début du XXe siècle par Harry Sutcliffe. Des vues en grand-angle font du square Phillips ou du parc Saint-Viateur des lieux rassembleurs dont on s’enorgueillit.
Photo: Don de Bertrand Carrière, M2017.40.23, Musée McCord Stewart
Bertrand Carrière, « Rue Stanley », 1982, de la série « Chronique nocturne », épreuve à la gélatine argentique.
Battre le pavé porte bien son titre. Voici un portrait de la ville à hauteur de photographe. À pied. Au rythme de sa marche, au gré de ses arrêts, selon ses va-et-vient. Comment voir et comprendre la vie urbaine autrement que sur deux pieds ? Battre le pavé, c’est un peu ça, appareil au cou ou sur trépied.
La commissaire a réuni des photographes qui ont, « d’une manière très personnelle et assidue, choisi de montrer les rues de Montréal ». Deux traits caractérisent sa sélection : les visages, isolés ou en foule, et les bâtiments, vus de façade ou de biais. Chiens trouvés (1999-2001) d’Alain Pratte, série qui ne manque ni d’humanité ni de rigueur, en est l’exception.
De la première section (« La rue en spectacle ») à la sixième (« Événements et incidents »), la même frénésie urbaine. Les meilleures compositions semblent naître dans la spontanéité du geste. Entre la série Chronique nocturne (1982-1983) de Bertrand Carrière qui ouvre l’expo et les images des années 1970 du photojournaliste John Taylor, présentées vers la fin, l’attention pour l’anecdote ou le fait divers est palpable. Un œil alerte comme celui de Carrière arrive à fixer une scène où une femme conduit une voiture dont le volant est à droite (voiture britannique), un passager qui affiche une tête de chat et un « Montréal » qui surgit de la noirceur.
Le contexte de création est une des caractéristiques qui distinguent un corpus d’un autre. Carrière enquêtait sur le travail de nuit, alors que la motivation de Taylor le poussait à être le premier sur les lieux d’un drame. La diversité se manifeste aussi dans la scénographie, qui singularise la présentation de chaque photographe. Gilbert Duclos, l’auteur d’une image qui a changé la manière de faire des portraits dans la rue, bénéficie d’un mur de coupures de journaux. Il n’est cependant pas que l’homme de « l’affaire Duclos » : quatorze photos prouvent qu’il cumule les surprises urbaines, de l’unique Grand Antonio à une main cousue sur la fesse d’un pantalon.
La photo de rue est une activité d’affaires historiques. La série Halloween de Serge Clément, par exemple, documente 1995 et le référendum sur la souveraineté. Rare série en couleur, Celebration 76 de Leon Llewellyn nous ramène, elle, à l’été des Jeux olympiques (JO), mais par la marge : c’est la Carifête qu’il a photographiée, tenue en écho au boycottage des JO par des nations qui dénonçaient l’apartheid en Afrique du Sud.
La critique sociale s’immisce partout. Parfois sur un ton positif. La série Sirybal (1982) de Suzanne Girard, la plus originale par sa forme (une mosaïque de petits portraits) et par son contexte (un studio monté à la sortie d’un bar de lesbiennes), montre une communauté qui s’affiche sans peur.
Photo: Don de Gilbert Duclos, M2018.97.4, Musée McCord Stewart
Gilbert Duclos, « Les religieuses », 1977, épreuve au jet d’encre.
Battre le pavé pointe des périodes clés de la photographie, ses techniques comme sa médiatisation. Au XIXe siècle, les diptyques stéréographiques de James Inglis ont été un succès marchand. Que représentaient-ils ? Le printemps 1869, marqué par une quantité monstre de neige et les inondations qui ont suivi.
Que dix-huit des corpus soient issus des décennies 1960 à 1990 n’est pas un hasard : c’est « l’âge d’or de la photographie de rue à Montréal », écrit Zoë Tousignant dans le petit livre riche en références publié pour l’occasion. Avec Jean-François LeBlanc, c’est le très suivi hebdomadaire culturel Voir que l’exposition ressuscite, même si ce n’est qu’en six exemples (1985-1995).
Le survol du travail des photographes de La Presse permet de souligner la fin de la photographie argentique : la collection de négatifs acquise par le McCord se termine en 2001, l’année où le quotidien a décidé de n’utiliser que des appareils numériques. Une telle technologie se retrouve néanmoins exposée, grâce entre autres à Martin Akwiranoron Loft qui, chaque 30 septembre depuis 2021, prend des photographies de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
La rue, c’est la ville, son architecture, ses lieux. Les gens aussi, leur vie, leurs rêves, leurs drames. La photographier, c’est errer à la rencontre de tout ça comme l’a fait Denis Plain à l’été 1981. Leica au cou, il a photographié à hauteur de poitrine, à l’instinct, à l’aveugle. La rue Sainte-Catherine, un ensemble de 90 images projeté dans sa totalité sous forme de diaporama, prend une envergure emblématique. Captivante malgré l’impression de répétition. À l’image de toute l’expo.