Voici ce qui la ravit ces jours: la profession enfin se fâche et se lâche. Les psychomotriciennes, d’ordinaire discrètes, tellement occupées à travailler au mieux-être d’un enfant atteint, par exemple, de TSA (trouble du spectre de l’autisme), sont en colère. Et elles le font savoir en pétitionnant et en frappant à la porte du Conseil d’Etat genevois. Louise Hanmer est l’une d’entre elles: «Nous sommes une corporation qui œuvre comme des petites souris, sans prendre le temps de porter nos revendications. Il fallait que ça change.» Elle poursuit: «La semaine passée, j’étais dans un parc public avec ma fille, qui a 6 ans. J’ai sorti la pétition et j’ai obtenu 60 signatures. Quand on explique aux gens les enjeux de nos doléances, ils sont prêts à nous soutenir. Tout le monde connaît de près ou de loin un enfant qui a besoin d’un thérapeute mais qui est sur liste d’attente.»
Petite sœur trisomique
Le métier est en première ligne dans la prévention, le dépistage et l’accompagnement des troubles du développement, ceux aussi liés à une maladie ou un accident. «Aujourd’hui, dans le canton de Genève, des centaines d’enfants attendent des mois, parfois une année, pour bénéficier de séances de psychomotricité. La situation est alarmante car pendant ce temps-là les troubles se renforcent, les souffrances s’amplifient et les interventions arrivent souvent tardivement», développe Louise Hanmer. Lorsqu’on cherche à définir cette pratique, on tombe souvent sur cette phrase du psychomotricien Christian Ballouard: «Si l’on nous questionne sur le but poursuivi par la psychomotricité, nous sommes tentés de répondre qu’il s’agit de faire bouger les gens dans leur corps pour les faire bouger dans leur tête.» Louise Hanmer complète: «Nous nous intéressons à comment les perceptions, les sentiments et la pensée d’une personne interagissent et ont une influence sur le plan corporel, en particulier sur le mouvement et inversement. Le corps en mouvement est au centre de notre travail.»
Portrait de Louise Hanmer psychomotricienne (danseuse set chorégraphe), le 24 juin 2025 à Genève. — © Nora Teylouni / Le Temps
Cela fait près de vingt ans qu’elle a ouvert, avec une consœur, un cabinet privé. Elle y reçoit des enfants présentant des retards du développement moteur, des troubles du comportement et de l’attention, ceux liés à l'hyperactivité aussi, à l’autisme, bien entendu, des difficultés dans les interactions sociales, et des troubles de l’apprentissage appelés «dys» comme la dyspraxie. «Le nombre de demandes est en telle augmentation que répondre au téléphone et aux mails devient de plus en plus difficile», témoigne-t-elle. Jusqu’en 2008, l’assurance invalidité remboursait les soins en psychomotricité à hauteur de 120 francs l’heure. Le canton a pris le relais et n’a augmenté que de 10 francs ce tarif horaire. Depuis cette date, la profession n’a bénéficié d’aucune valorisation financière.
Exemple: 400 francs pour 8 à 10 heures de travail pour un bilan psychomoteur. «Je gagne moins qu’il y a 10 ans, mon pouvoir d’achat a baissé», déplore Louise Hanmer. Il faut ajouter à cela 25% du travail qui est non rémunéré, comme la rédaction des rapports, le travail en réseau avec les autres professionnels (médecins, éducateurs, enseignants, etc.) et les entretiens essentiels avec les parents. «Il nous faut acquérir une mallette pour les bilans standardisés. Coût: 1000 francs, à nos frais bien sûr. C’est sur la base du bilan que les parents peuvent bénéficier du remboursement du traitement», indique-t-elle. L’association Psychomotricité Suisse craint une perte d’attractivité de la profession. Il existe deux centres de formation en Suisse, l’un au sein de la Haute Ecole de travail social de Genève, l’autre à Zurich. Les étudiants décrochent un master en psychomotricité. Une trentaine sont formés par an en Suisse romande.
Louise Hanmer est venue à la psychomotricité par l’art. Enfant, elle pratiquait la danse rythmique et le théâtre. Elle décroche une maturité artistique à Genève, se pose la question: opter pour l’art ou le social? Car il y a cette petite sœur trisomique qui la sensibilise au handicap, ce besoin d’aider. Une thérapeute venue parler de psychomotricité au collège lui a donné envie d’apprendre le métier. Mais il faut une expérience de six mois auprès d’enfants. Elle effectue un stage dans une crèche Montessori à Londres tout en suivant des cours de danse. A son retour, elle tente le concours d’entrée. «Dans l’épreuve d’improvisation corporelle, alors que les autres candidates étaient au sol, j’ai galopé tel un cheval dans toute la salle. Ça a convaincu.»
La danse, de New York à Genève
Sitôt diplômée, elle s’inscrit dans une école de danse new-yorkaise. Ainsi se dessine sa vie: la psychomotricité en institution puis en cabinet, et la danse. Elle crée la compagnie Breathless en 2001 et chorégraphie des spectacles. En février dernier, elle était sur la scène du Galpon à Genève, seule, évoquant avec grâce et finesse un accident de la main dont elle garde des séquelles avec une perte de mobilité définitive. «Cela a nécessité une certaine réorganisation, mais aujourd’hui je pratique encore ces métiers dont le corps, même un peu cabossé, reste mon vecteur principal de travail», confie-t-elle.
Portrait de Louise Hanmer, le 24 juin 2025 à Genève. — © Nora Teylouni / Le Temps
La psychomotricité, pour l’heure, accapare son temps. La crainte de perte d’attractivité la désole, «car notre métier est beau et tellement utile». «Voyez, la ville de Genève a ouvert des postes de psychomotricienne en crèche dans tous les quartiers pour faire de la prévention et dépister les troubles possibles chez les tout-petits. On en identifie évidemment, mais on doit dire aux parents qu’il existe une longue liste d’attente pour un traitement en privé. Parfois, on perd un an, ce qui peut porter préjudice, plus tard, à la scolarité de l’enfant.»
Près de 1800 signatures ont d’ores et déjà été récoltées par l’association Psychomotricité Suisse. Le dépôt de la pétition se fera le 20 août. Les psychomotriciennes et psychomotriciens réclament, entre autres, une revalorisation immédiate des tarifs, une indexation sur le coût de la vie et une rémunération des actes hors présence des patients. Un combat très demandeur. «Je préférerais dédier mon temps et mon énergie à mes patients plutôt qu’à des actes politiques. Mais s’il faut en passer par là, je réponds présent.»
Profil
1973 Naissance à Brampton (Canada).
1995 Etudes de psychomotricité.
1998 Ecole de danse à New York.
2006 Ouverture de son cabinet privé.
2015 Naissance d’Arthur.
2019 Naissance d’Anna.