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Écologie et féminisme ont fait partie des principes au cœur de la révolution kurde, qui a débuté en 2012 dans le nord-est de la Syrie. Près de 13 ans plus tard, les luttes écoféministes sont loin d’être achevées. Ce qui a été longtemps considéré comme une tentative de révolution sociale au XXIe siècle reste fragile, isolé, et est confronté à des défis géopolitiques complexes. Mais les femmes continuent à se mobiliser.
Dans la cour de l’école primaire du quartier sud d’al-Chaddadeh, des femmes sont assises par terre et retirent délicatement des coques de pistaches fraîches. La terre a creusé de petits sillons dans leurs mains asséchées par le climat aride. Sous le soleil de ce matin d’avril, elles participent au reboisement de leur région, dévastée par des chocs environnementaux et des années de conflits armés entre le groupe État islamique (EI), l’armée du dictateur déchu Bachar al-Assad et les forces de l’administration autonome kurde, qui gère la région.
Nada Brahim Raïssa courbe son dos et enfouit une des graines dans un petit sac noir. « Dès que j’ai su qu’il y avait ce projet, j’ai voulu y participer, car j’adore l’agriculture et l’idée de voir les graines grandir », explique au Devoir l’enseignante de 30 ans, dont la voix est quelque peu couverte par les rires des enfants.
Photo: Philippe Pernot
Un graffiti lisant «Jin, Jiyan, Azadi» (« Femmes, vie, liberté »), sur un mur
Depuis près de cinq ans, l’association Les Tresses vertes — en référence à la fois aux oliviers et aux tresses des femmes, symbole de résistance — mène des projets socioécologiques au Rojava. Dans cette cour d’école reconvertie en pépinière, l’objectif est de faire pousser 10 000 arbres. Ils seront distribués aux bénévoles et au reste de la population, qui pourra en revendre les fruits.
Sur la centaine de bénévoles, la moitié sont des femmes. Mais ce matin-là, aucun homme à l’horizon. « Les femmes ne voulaient pas avoir des hommes autour d’elles. Ces derniers voient les femmes comme des machines à faire des enfants. Certaines font face à d’importantes difficultés pour venir ici : qu’elles sortent de chez elles est déjà un succès », souligne Lolav Sheikha, coordinatrice de projet à l’association Les Tresses vertes.
Dans cette bourgade rurale, le groupe État islamique était présent jusqu’en 2020 et, selon certains, une partie de ses idées sont restées. « L’extrémisme, qu’il soit religieux ou nationaliste, et le sexisme pourraient disparaître petit à petit. Pour cela, les gens doivent connaître le rôle des femmes dans la société », poursuit la coordinatrice de la section des femmes au sein de l’association.
Redonner vie aux zones mortes
Un muezzin lance l’appel à la prière. Il sera bientôt midi. Malgré la chaleur étouffante et la poussière, Meriam Awad al-Awad arrose les nouvelles plantations. « Je voulais redonner vie aux zones mortes, lance la mère de famille de 40 ans. C’est aussi un projet qui peut permettre aux femmes d’acquérir un peu d’indépendance. »
Photo: Philippe Pernot
Lolav Sheikha, coordinatrice de projet à l’association Les Tresses vertes.
Dans la pépinière, les femmes travaillent en équipe. La plupart témoignent d’un lien à la nature fort, qui a été menacé, voire rompu, en raison des combats dans la région. « Aujourd’hui, la norme est de faire travailler les femmes dans les champs avec un homme comme chef. Nous essayons de changer cela à travers les formations, les pépinières, le jardinage… Ainsi, les femmes peuvent se réapproprier leur rôle dans l’environnement », dit Lolav Sheikha.
Écologie et défense des droits des femmes font partie des principes fondateurs de la région autonome du Kurdistan, qui se targue d’être démocratique, sociale et écologique. Celle-ci s’est inspirée des idées d’Abdullah Öcalan, leader du PKK (Parti travailliste kurde), emprisonné par la Turquie depuis 1999. Le PKK a féminisé ses rangs et est à l’origine de la jinéologie (« science des femmes ») : une approche critique du discours sur le féminisme considéré comme eurocentré et élitiste, explique la chercheuse Somayeh Rostampour. « L’idéologie est en général axée sur l’environnement : l’un des principaux piliers du système de l’organisation de l’administration. Malheureusement, en pratique, les efforts ne sont pas à la hauteur des attentes », tacle Lolav Sheikha.
Photo: Philippe Pernot
Le barrage de Tichrine
Le barrage de la résistance
Autour de la commune, le désert s’étend à perte de vue. Des arbustes touffus détonnent parfois dans ce paysage ocre et désolant. Ils ravivent l’espoir de voir la vie revenir sur cette terre massacrée.
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.
En continuant la route vers le nord-ouest du Rojava, à 300 kilomètres d’al-Chaddadeh se trouve le barrage de Tichrine, au bord de l’Euphrate. Depuis plusieurs mois, des centaines de femmes se mobilisent pour sa défense. Fin 2024, cette infrastructure a été la cible de frappes aériennes turques, qui ont endommagé ses générateurs électriques, privant plus de 400 000 personnes d’eau et d’électricité. Malgré les combats entre les Forces démocratiques syriennes (FDS) et l’Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par la Turquie, des manifestations ont eu lieu dès janvier 2025 : 25 personnes y ont perdu la vie et plus de 200 autres ont été blessées.
Photo: Philippe Pernot
Sharifa, 53 ans, prend part à la résistance kurde populaire en défense du barrage de Tichrine.
À l’un des étages du bâtiment de l’administration, Sharifa (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille pour des raisons de sécurité) chante dans un bureau transformé en chambre pour plus de 22 femmes venues, comme elle, de Girkê Lege, plus à l’ouest. « Ce barrage est un lieu de résistance, de respect et d’hommage à nos martyrs qui ont donné leurs vies ici. Notre résistance se poursuivra sur ce barrage, pour protéger l’eau et l’électricité », dit-elle, dans un phrasé enjoué.
Quelques jours après notre venue, en avril, un accord a été conclu entre les FDS et le gouvernement syrien, avec le soutien de la coalition internationale, pour réduire les tensions. Les forces gouvernementales syriennes ont été déployées aux côtés des FDS autour du barrage, tandis que l’administration civile kurde conserve le contrôle opérationnel du site.
Malgré tout, le calme reste précaire. Le barrage fonctionne seulement six heures par jour en raison d’une baisse radicale du niveau de l’eau. Cette situation menace l’approvisionnement en électricité, l’agriculture et la santé publique dans la région.
Photo: Philippe Pernot
Le sol desséché et salin d’une ferme aux abords de l’Euphrate, souffrant de la pollution, de la guerre et de la sécheresse.
« Avec mon mari, nous sommes égaux »
À 70 kilomètres au nord, dans le village de Boraz, situé au bord de l’Euphrate, Najah Abrushe souffre de ce manque d’eau. L’agricultrice se fraie un passage au milieu de sa terre asséchée. « À cette période de l’année, les plantations devraient être plus hautes et plus grosses », se désole-t-elle. Cette native de Kobane dit avoir « épousé Boraz et la terre » avant même son mari. « Avant de venir ici, j’étais une fille de la ville… Maintenant, j’ai un lien très fort avec cet environnement, affirme-t-elle. C’est aussi ce travail qui m’a donné des droits en tant que femme. Avec mon mari, nous sommes égaux et nous prenons les décisions ensemble. »
Photo: Philippe Pernot
Najah Abrushe, agricultrice à Boraz, près de l’Euphrate, examine sa terre desséchée.
La quadragénaire endure les conséquences du changement climatique, des politiques publiques et agricoles et celles de la guerre sur sa terre, qu’elle considère comme l’un de ses enfants. « Quand tu vas au champ, tu as peur qu’un obus tombe… Je suis triste de voir que notre domaine ne donne plus comme avant la guerre. Nous sommes fatigués, bien sûr, et elle aussi, la terre, est fatiguée… » confie la mère de famille, dont le petit-fils vient de se réveiller. Najah Abrushe le prend dans ses bras et le berce.
Malgré les difficultés pour cultiver son domaine et en tirer un revenu suffisant, l’agricultrice n’entend pas déserter. Elle l’a déjà quitté en raison du groupe EI en 2014 : un déracinement de plusieurs mois vécu comme une tragédie. « Venez manger, il est l’heure de déjeuner », nous lance-t-elle, un large sourire éclairant son visage tanné par le soleil. Une lumière scintille dans son regard vert et pétillant, plein d’espoir malgré tout.
Avec Khalil Ahmad Muhammad et Soha Ezzi.