NE LAISSER PAS LE 5G DETRUIRE VOTRE ADN Protéger toute votre famille avec les appareils Quantiques Orgo-Life® Publicité par Adpathway
Dans la zone industrielle d’Innisfail, une petite municipalité à un peu plus d’une heure de route au nord de Calgary, le site de l’entreprise Deep Sky se fond dans le décor.
Avec son assemblage de tuyaux, de préfabriqués ATCO et de camionnettes, l’endroit pourrait être une usine de raffinage de pétrole ou de gaz, mais c’est tout le contraire. L’entreprise québécoise tente ici de gagner la lutte contre les changements climatiques et l’atteinte de la carboneutralité.
Le terrain d’un peu plus de deux hectares est un laboratoire à ciel ouvert de capture de CO2 dans l’air.
Nous avons des technologies de partout dans le monde, du Canada, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas et elles sont toutes réunies ici à Deep Sky Alpha, à Innisfail pour éliminer le CO2 de l’atmosphère et le séquestrer dans le sol, explique Alex Petre, la cheffe d’exploitation et prochaine directrice générale de l'entreprise.

La prochaine directrice générale de Deep Sky, Alex Petre, est fière des avancées du chantier à Innisfail après seulement onze mois.
Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette
Casque de chantier sur la tête, elle décrit d’une voix assurée comment chaque technologie fonctionne. Trois unités de capture du CO2 dans l’air sont en cours d’installation, mais huit ont déjà été sélectionnées. L’endroit pourrait en accueillir jusqu’à quatorze.
Côte à côte, ces technologies vont être testées sur leur efficacité, la pureté du CO2 absorbé, mais aussi leur résistance au climat canadien.
Toutes ces technologies ont subi des tests préliminaires, [mais] elles sont uniques à cette échelle. Deep Sky Alpha est leur banc d’essai pour valider les données et pouvoir dire : nous les avons fait fonctionner assez longtemps, en été, en hiver…, explique-t-elle.
C’est une toute nouvelle industrie, alors une grande partie du travail est de comprendre ce qui fonctionne, ce qui risque de casser et comment le réparer pour obtenir le meilleur résultat.
Comment fonctionne la capture directe dans l’air?
Un ventilateur aspire l’air ambiant dans l’unité de capture. L’air est poussé dans un matériau qui par réaction chimique se gonfle de dioxyde de carbone comme une éponge. Ce matériel peut être solide comme du calcaire ou liquide.
Le mélange est ensuite soumis à un procédé de séparation entre le matériel absorbant et le CO2 sous forme gazéifiée. Ce procédé de séparation peut être une chaleur intense ou un courant électrique.
Agir plus vite que le réchauffement climatique
L’enjeu est gros pour l’entreprise. Deep Sky souhaite déployer la technologie ou les technologies qui se révèleront les meilleures à grande échelle.
Ce site d’environ deux hectares permettra d’enlever 3000 tonnes de CO2 par an. Les sites commerciaux que nous voulons mettre en place élimineront de 500 000 à un million de tonnes par an. On passe de 2 hectares à plus de 40 et on pense qu’il pourrait y en avoir des centaines comme cela au Canada, prédit Damien Steel, le directeur général sortant de Deep Sky. Il a annoncé son départ mi-mai, mais reste plusieurs mois comme conseiller.

Deep Sky Alpha pourra relier jusqu’à 14 unités à sa tente principale de liquéfaction du CO2.
Photo : Radio-Canada / Jocelyn Boissonneault
Pour la société, ces plans ambitieux ne sont pas du domaine du rêve parce qu'elle mène à la fois de front les tests et la commercialisation.
Alors que le laboratoire n’est même pas encore fini et devrait commencer à fonctionner cet été, Deep Sky conduit déjà des consultations sur deux endroits pour lancer cette technologie à grande échelle : Thetford Mines au Québec et un emplacement dans le sud du Manitoba.
Nous sommes prêts à risquer notre tête et à investir dans de futures installations avant même de savoir quelles technologies nous allons utiliser, si nous allons pouvoir vendre les crédits carbone associés à ces installations et même avant de pouvoir financer toutes les installations.
Et tout ça, en deux ans.
Nous n’avons pas le temps [d’attendre]. C’est une course contre la montre.

Le directeur sortant de Deep Sky, Damien Steel, fait preuve d’une grande confiance en l’avenir de son modèle d’affaires.
Photo : Radio-Canada / Jocelyn Boissonneault
Le sentiment d’urgence est palpable sur le site. Tous les membres de l’entreprise peuvent citer la date de possession du terrain, il y a à peine onze mois, le 24 juin 2024.
Rodée aux visites, Alex Petre sort de son discours bien huilé lorsqu’on lui demande ce qu’elle ressentira lorsque du CO2 circulera dans les tuyaux.
Vous n’avez aucune idée. La fête est prête et l’équipe veut des boucles de ceinture pour la première tonne de CO2 [capturée]. Ça va être extrêmement excitant.
Ce qui me fait carburer, c’est cet énorme problème qui s’en vient et nous devons faire quelque chose, renchérit Damien Steel.
Qu’arrive-t-il au CO2 absorbé?
À Deep Sky Alpha, le CO2 filtré par chaque unité est acheminé dans un réseau de tuyau jusqu’à une grande tente de l’entreprise. Il y est liquéfié, puis stocké dans une citerne. Ce CO2 sous forme liquide sera ensuite transporté dans le nord de l’Alberta à deux centres où il sera injecté à plusieurs kilomètres de profondeur pour y demeurer séquestré dans des cavernes de sel. Pour les installations à grande échelle, la séquestration se fera sur le lieu de la capture.
Une solution avec un risque de malédiction
Le captage de dioxyde de carbone directement dans l'atmosphère fait maintenant partie des méthodes considérées comme nécessaires par le Groupe international d'experts sur le climat (GIEC) de l'ONU pour lutter contre le réchauffement climatique.
Fort probablement, on voudra garder certains avantages que la société moderne nous offre dans nos vies, comme des voyages en avion. Pour certains de ces usages-là, on ne trouvera pas de substitut décarboné moins cher que simplement du captage et de la séquestration, explique Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie.
C'est extrêmement important de développer ces technologies-là, non pas pour nous éviter de réduire nos émissions à la source, mais vraiment pour nous permettre d'atteindre la carboneutralité.

Cette technologie de l’entreprise québécoise Skyrenu prévoit capter 50 tonnes de CO2 par an.
Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette
Le professeur s’inquiète de la façon dont ces technologies sont parfois présentées comme une voie pour ne pas agir et maintenir des activités telles qu’on les a connues depuis une centaine d’années. La capture directe dans l’air ne peut se faire sans l’étape primordiale de réduction des émissions, insiste Pierre-Olivier Pineau.
En 2023, le Canada a ainsi émis 694 mégatonnes de CO2. Même si Deep Sky arrive à atteindre ses objectifs de commercialisation, il faudrait entre 700 et 1400 usines du genre simplement au Canada, avec assez d’électricité propre pour les alimenter et assez de place en sous-sol pour tout ce volume de CO2.
Damien Steel est bien clair que ce n’est pas le but. Si c’est notre seule solution [climatique], nous sommes condamnés, n’hésite-t-il pas à dire. Mais toutes ces installations derrière moi, c’est la seule solution applicable à grande échelle partout.
Ça représente quoi une tonne de CO2?
- Une tonne de CO2 est l’équivalent de la pollution d’un voyage en voiture entre Vancouver et Montréal ou d’un vol entre Paris et New-York.
- En moyenne, un Canadien émet 17,3 tonnes de CO2 par an.
- Le gaz étant dilué dans l’air ambiant, une unité de capture doit aspirer l’équivalent du volume de 720 piscines olympiques pour obtenir une tonne de CO2 selon les calculs de MIT.
Laissons les innovateurs travailler
C’est cette urgence d’agir qui a amené Deep Sky à quitter le giron québécois et à venir en Alberta. Grâce à sa longue histoire d’exploitation des hydrocarbures, la province a une très bonne connaissance de la géologie du sous-sol. C’est aussi une des trois juridictions au Canada à s’être dotée d’un cadre légal pour la séquestration du CO2 dans le sol.
L’Alberta a aussi connu une croissance exponentielle de son énergie renouvelable, ce qui a permis à Deep Sky de conclure un contrat d’achat d’électricité propre.

Située à 120 km au nord de Calgary, Innisfail dénombre 8700 habitants.
Photo : Radio-Canada / Jocelyn Boissonneault
Et derrière ces allures de petite municipalité rurale typiquement albertaine, Innisfail cache en fait une politique énergétique très progressive. Une énorme ferme solaire borde la route, une entreprise transforme des locomotives du diésel à l’hydrogène et la municipalité aimerait transformer ses déchets en énergie.
Nous avons acquis une réputation de rapidité et nous sommes un bac à sable pour les innovateurs, souligne la mairesse, Jean Barclay.
Nous laissons les entrepreneurs travailler. Laissons les rêveurs et les innovateurs faire ce qu’ils ont à faire parce qu’ils auront la solution.
L’arrivée de ce laboratoire a attiré quelques inquiétudes de la population, mais selon la mairesse, elles ont été vite apaisées.

La mairesse d’Innisfail, Jean Barclay, a constaté un afflux d’intérêt d’entreprises depuis l’installation de Deep Sky Alpha sur son territoire.
Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette
Une course à plusieurs
Même si elle en est à ses balbutiements, la technologie de capture directe du CO2 dans l’air n’est pas non plus toute neuve.
L’entreprise suisse Climeworks a déjà ouvert deux usines en Islande et en développe une troisième en Louisiane. La canadienne Carbon Engineering, qui a été rachetée par la pétrolière américaine Occidental, construit une énorme usine au Texas.
Au moment où j'ai commencé à travailler avec Carbon Engineering, je dirais qu'il y avait 2 à 3 joueurs clés dans le monde de la capture directe du CO2. Puis maintenant il y a des centaines d'entreprises qui travaillent à trouver la solution la plus optimale pour capturer le CO2 et décarboniser notre planète, explique Ulric Chayer, ingénieur mécanique chez BBA Consultants. Cette entreprise de génie-conseil aide Deep Sky à établir son laboratoire.
Selon les dernières données de l’Agence internationale de l’énergie, 130 usines de large échelle sont en cours de développement dans le monde.
Mais le coût demeure une barrière élevée à surmonter. Selon l’ingénieur mécanique, le laboratoire de Deep Sky aide les jeunes pousses à sortir des confins des essais en université et à obtenir une première unité de démonstration. Ça demande des infrastructures assez massives, l’achat ou la location d’un terrain, des installations électriques et tous les différents services. C’est là que Deep Sky vient s’insérer comme un joueur clé, dit-il.

L’ingénieur mécanique Ulric Chayer a travaillé sur l’établissement du projet de Carbon Engineering en Colombie-Britannique et aide maintenant Deep Sky.
Photo : Radio-Canada / Danielle Bénard
La marche de la démonstration à la commercialisation est toutefois haute. Les investisseurs veulent voir que ça a été prouvé à plus grande échelle avant d'investir des sommes assez importantes pour le développement d'une usine commerciale. Donc il y a un certain travail pour prouver la technologie qui est nécessaire, ajoute-t-il.
On s'attend à voir quelques succès et beaucoup d'échecs, malheureusement.
Pour Deep Sky Alpha, l’entreprise a réussi à lever 75 millions de dollars d’investisseurs privés et a reçu une subvention de 40 millions de dollars américains du fonds Breakthrough Energy Catalyst de Bill Gates.
Tous les crédits carbone qui seront générés par la séquestration du CO2 sur le site d'Innisfail ont été déjà vendus aux compagnies RBC et Microsoft.
Qu'est-ce qu'un crédit carbone?
Un crédit carbone est un certificat qui représente la réduction d'émissions de gaz à effet de serre amenée par un projet. Une plantation d'arbres par exemple produit des crédits carbone.
D'autres entreprises peuvent ensuite acheter ces crédits carbone pour compenser leur pollution.
Les crédits carbone peuvent être échangés sur un marché réglementé lorsque les entreprises doivent se conformer à une politique gouvernementale. Lorsque les entreprises ou les individus compensent leurs émissions de manière volontaire pour atteindre leurs propres ambitions climatiques, le crédit carbone est échangé sur un marché dit volontaire. Les crédits du projet Deep Sky Alpha se retrouvent sur ce marché.
Qui est prêt à payer?
Les usines de capture à grande échelle sont toutefois dans un tout autre ordre de financement, plusieurs milliards de dollars, reconnaît le directeur général sortant Damien Steel.
Le gouvernement fédéral a voté un crédit d’impôt pour rembourser jusqu’à 60 % des dépenses d’infrastructures de ce genre de projet. Le reste devra toutefois être financé par la vente de crédits carbone à des entreprises privées.

Cette technologie développée par la britannique Airhive a pour ambition d’éliminer 1000 tonnes de CO2 par an de l’atmosphère.
Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette
Si on regarde le prix des crédits carbone dans le monde aujourd’hui, c’est sous la barre des 100 $ [...] Mais ces technologies peuvent coûter jusqu’à 1000 $ la tonne de dioxyde de carbone, s’inquiète le professeur d'ingénierie pétrolière à l’Université de Calgary, Sean McCoy.
Le plus grand défi est de resserrer le fossé entre le coût et ce que nous sommes prêts à payer.
Le GIEC estime plutôt le coût de capture et séquestration de la tonne de CO2 autour de 300 à 400 $, toujours plus élevé que ce que les entreprises semblent vouloir payer.
Selon un rapport de la banque d’investissement Jefferies (nouvelle fenêtre) (en anglais), 77 % de ces crédits carbone sont détenus par Microsoft. Si les installations se multiplient et les crédits carbone aussi, d’autres joueurs vont-ils se déclarer et être prêts à investir?
Le Canada en tête de peloton?
Damien Steel n’est pas inquiet. La multiplication des projets va amener à une baisse des coûts, affirme-t-il.
Et malgré les discours politiques qui minimisent les risques climatiques, le directeur général sur le départ dit entendre un autre son de cloche derrière les portes closes des grandes entreprises mondiales. Il y a un an, j'aurais dit que le Canada était loin derrière les États-Unis. Aujourd'hui, je pense que le Canada a la possibilité d'occuper une position de leader mondial.
En mai, un groupe d’investisseurs japonais a ainsi visité Deep Sky Alpha, ce qui ne fait que conforter l’entreprise dans son ambition.
Quelques soient les calculs, j’arrive à une industrie de plusieurs billions de dollars et le Canada peut en être un leader. C’est super excitant.
Avec des informations de Paula Duhatschek