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Au huitième jour de la guerre entre Israël et l’Iran, il apparaît clairement, selon Amélie Myriam Chelly, sociologue spécialiste du Moyen-Orient, que le peuple iranien exprime des positions diverses : certains soutiennent l’ingérence étrangère, d’autres défendent la République islamique. Toutefois, une écrasante majorité rejette la théocratie, sans pour autant souhaiter un renversement du régime par une intervention extérieure.
Le son virtuose d’un violon s’élève dans l’air obscur, jusqu’aux toits d’une grande artère téhéranaise, comme ces colonnes de fumée que les guerres lèguent à l’aube. Nul ne connaît le nom du musicien. Il est debout, les doigts dans l’ombre et, à ses côtés, une femme, complice du mystère, filme la rue que les notes et la nuit enveloppent d’un manteau de tristesse. L’artiste anonyme interprète un air intitulé « Shabi keh barnagashti », « Le soir où tu n’es pas rentré », rendu populaire par la chanteuse Parvin.
Et l’on songe au Juif ukrainien de Joseph Stein, dans un Violon sur le toit, funambule sur le faîte du monde, tenu de jouer sa vérité avec brio sans choir. Une grande partie des Iraniens avancent ainsi, tendus sur leur propre corde, contraints de faire résonner leur partition en équilibre entre deux gouffres : les bombes israéliennes ou la République islamique.
Diversité des positions
La société iranienne est éclectique dans ses positions. Une partie marginale défend bec et ongles l’idéologie du velayat-e faqih (tutelle du juriste-théologien), au fondement de la République islamique. À l’autre extrémité du spectre, une faible frange populaire se range dans une opposition si forte, si virulente, qu’elle tient un discours très compatible avec celui des néoconservateurs américains, défendant, par exemple, la perspective d’un regime change causé par l’ingérence de puissances extérieures, voire par le feu d’armes étrangères. Parlez avec les uns, conversez avec les autres, et ils vous diront que leur position est celle de l’intégralité du peuple iranien.
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Il suffit cependant d’élargir le cercle des témoignages, d’entrer en contact avec des personnes d’extractions sociales différentes (en Iran, les classes sont culturellement plus cloisonnées, on rencontre peu ou fortuitement des représentants de milieux très distincts du sien), d’observer les actions populaires et l’inventivité des slogans, dans leur diversité, pour se rendre compte d’une chose : l’écrasante majorité des Iraniens n’aime pas la théocratie et considère les quarante-cinq années de turban comme un bail de location de très courte durée en comparaison avec les millénaires de pouvoir couronné, sans souhaiter, cependant, un départ des mollahs par l’intervention d’un pays tiers.
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Une image relayée par les réseaux sociaux depuis le 17 juin symbolise bien l’ambivalence : elle montre un visage doux, coiffé d’un bandeau aux couleurs de l’Iran, sans lion impérial ni emblème évoquant l’unicité d’Allah. La figure sourit à moitié et pleure à demi. Dans l’œil joyeux, on voit le reflet d’enturbannés paniqués sous les bombes, dans l’œil bordé de larmes, le reflet du monument phare de la capitale, construit en 1971, la tour « Liberté » (Azadi), en flammes, encerclée de cadavres.
En Iran, on entend beaucoup de cris de ralliement faisant référence à la monarchie déchue, et cela ne date pas du 13 juin 2025. Repensons aux élans protestataires qui s’étaient étalés de la fin décembre 2017 au début de l’année 2018. Dans les rues, on entendait alors, entre autres slogans – comme « Mort au Hezbollah » ou encore « Mort au guide » – le nom de « Pahlavi ! Pahlavi ! ». Aujourd’hui, on peut encore trouver la référence à la dernière dynastie régnante avant la République islamique dans la formule scandée : « C’est le dernier combat ! Pahlavi reviendra ! ». Les tendances royalistes existent bel et bien en Iran, mais elles sont marginales. La référence à l’ancien ordre ne doit pas être comprise comme une volonté qui serait uniformément répandue de revenir à la monarchie.
Une situation inextricable
À ce stade, la perspective du pluralisme en politique est celle qui fait le plus consensus, peu importe la forme qu’il doit prendre. La référence à Reza Shah renvoie surtout à une figure qui avait, en son temps, confisqué aux mollahs nombre de leurs prérogatives, interdit le port du voile, ou encore les processions chiites. Scander son nom, c’est d’abord crier son exaspération quant au système théocrate et à son fonctionnement liberticide.
La mentalité impériale dont les Iraniens sont tous les héritiers, voit de la noblesse dans le temps long et l’humiliation comme le pire des maux, même si cette dernière va dans le sens des aspirations du plus grand nombre. Autrement dit, mettre un terme à ce régime, oui, mais pas n’importe comment, pas sans rester souverain à toutes les étapes du processus. Les Iraniens de la diaspora ne reçoivent pas les bombes et ne font pas directement les frais de la répression. Parce que répression il y aura, si la République islamique se maintient. N’oublions pas que certaines attaques ont été menées par Israël grâce à des drones infiltrés, ce qui veut dire que des « traîtres » sont présents sur le territoire. L’Internet, coupé depuis deux jours, fait redouter à la population des arrestations à l’insu de familles qui ne peuvent plus communiquer.
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La situation est donc paradoxale et inextricable : les Iraniens, dans leur grande majorité, ne veulent plus du mollahs mais pas non plus d’un renversement opéré par l’extérieur et, en même temps, s’attendent à ce qu’une éventuelle pérennisation de la République islamique – par la réouverture éventuelle de négociation avec le géant américain, par exemple – accouche d’une vaste campagne de violence perpétrée par l’État. Le sacrifice martyrophile promu depuis toujours par l’idéologie du régime laisse peu de doute au peuple : le jusqu’au-boutisme théocratique se traduira, il faut s’y attendre, par un intérêt négligeable pour la quantité de morts.
Tergiversations américaines
Nombreux sont les pères du succès, mais l’échec est orphelin. Les tergiversations américaines sur la question de la guerre israélo-iranienne sont-elles liées à la division des partisans du locataire de la Maison-Blanche sur la perspective d’entrer en guerre, à la volonté du Président-homme d’affaires de négocier de façon bilatérale avec Téhéran et de s’ouvrir à terme de nouveaux marchés, ou bien à la compréhension de la complexité des rouages du régime iranien qui ne garantirait pas forcément un succès rapide ?
Bien que l’ayatollah Khamenei, Guide suprême, détienne l’autorité ultime et trace les grandes lignes de la politique d’État, la gouvernance de la République islamique repose, en réalité, sur une répartition du pouvoir bien plus horizontale qu’on ne l’imagine. Les décisions majeures, comme celles concernant la sécurité nationale, sont le fruit d’un consensus entre plusieurs centres de pouvoir : le Conseil suprême de sécurité nationale, le commandement des Gardiens de la révolution, le pouvoir judiciaire, le parlement, ou encore le président.
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Cette architecture institutionnelle décentralisée confère au régime une grande capacité de résilience. Les assassinats récents de hauts responsables n’ont pas paralysé le système. Tous les dignitaires sont remplaçables par d’autres stratèges de haut vol et si, d’aventure, certains postes ne devaient pas être immédiatement pourvus, la mécanique des rouages institutionnels ne s’en trouverait pas grippée au point de la rendre dysfonctionnelle. Reste à voir si la disparition de figures clés peut d’exacerber les tensions bureaucratiques et créer plus de rivalités internes.
Ainsi, du haut des toits, entre deux abîmes, on entend le son du violon qui ne couvre ni les bombes ni les cris sourds d’une répression souterraine. Il chante le vertige d’un peuple qui avance sur un fil, ni du côté des mollahs, ni du côté des missiles. Dans le silence qui suit chaque note, on entend le poids de quarante-cinq années de répression, mais aussi l’écho millénaire d’un imaginaire impérial qui aspire à autre chose qu’au fracas des armes. Puis on attend, comme toujours, que Washington fasse la pluie ou le beau temps.